Dans les jours qui viennent, on va beaucoup parler d’islam. Experts, imams, croyants, athées et impies finiront peut-être par trouver les bons mots, les gestes justes. Ceux qui feront qu’on distingue, enfin, les millions de musulmans qui vivent en France des fous qui s’arment de fusils d’assaut pour affronter des papys assis sur leur chaise.
Dans les jours qui viennent, on va beaucoup parler d’autorité. Les discours politiques seront fermes et déterminés, les plans Vigipirate élevés d’un niveau, de nouvelles lois sécuritaires peut-être votées.
On peine à imaginer ce que monter d’un cran supplémentaire la surveillance et la punition pourrait bien changer à notre sécurité, mais on aspergera le tout de République en danger et on ajoutera une couche de bleu-blanc-rouge. Tout ça en leur nom, eux qui conchiaient tant les drapeaux et les médailles, les monuments aux morts et les caméras de surveillance…
Dans les jours qui viennent, on va beaucoup parler de terrorisme. On remontera les filières, on passera par des banlieues délaissées et des prisons trop pleines. On traquera les recruteurs qui s’agitent sur Facebook, on montera sur des pick-up rouillés devenus automitrailleuses, sous des ciels pleins de drones et de missiles « chirurgicaux ».
Bref, dans les jours qui viennent, c’est ce qui nous divise, nous sépare et nous fait peur qui va concentrer l’attention. Pas ce qui nous fait vivre, aimer, pleurer, travailler, débattre ensemble. Pas ce qui réunit les voisins fâchés, les amis perdus, les familles déchirées, les collègues brouillés ou les amants fatigués.
Et dans les jours qui viennent, le courage, ce ne sera pas de bander ses muscles dans un éditorial ou de frapper du poing sur la table des plateaux de télévision, pour qu’on pourchasse ceux qui ont fait ça et qu’on les punisse.
Ça, oui, il faut le faire, la police et la justice le feront – on est en France, et ces dernières font plus souvent bien leur travail qu’elles ne le font mal, il n’est pas interdit de leur faire confiance. C’est la priorité, mais ce n’est pas l’essentiel.
L’essentiel, ce sera de s’efforcer, chaque jour, chaque heure, à penser plutôt à ce qui nous unit et nous rend, collectivement, plus forts et plus heureux.
Ce sera se souvenir de ce qui nous a poussés, ce mercredi soir, à descendre dans la rue, des larmes plein les yeux, pour ne rien faire, juste pour être là, se compter et se réchauffer l’âme.
De se rappeler ces e‑mails, ces textos, ces tweets, ces appels, tous ces petits fils qu’on a tissés entre nous pour vérifier que oui, on est bien là ; qu’on va bien, oui, enfin, on fait aller avec la douleur.
Il va falloir serrer les dents. Ils vont bicher, les Finkielkraut, les Zemmour, les Houellebecq et tous ceux pour qui, au fond, un Français musulman sera toujours un Français musulman, jamais un Français tout court. A coup de on-vous-l’avait-bien-dit, ils vont nous traiter d’angéliques, de bobos irresponsables et d’idiots utiles.
Ils vont bicher aussi, les petits excités de Twitter, ces têtes pleines d’eau qui pensent, ou feignent de penser, que la meilleure façon de lutter contre l’injustice, c’est de mitrailler et de massacrer –là où l’histoire a si souvent prouvé que faire ce choix fait perdre les plus beaux combats.
Mais on refusera d’entrer dans leur jeu, à eux tous. De dresser des camps contre d’autres camps, de demander des comptes à celui qui porte une barbe un peu trop longue, de voir un djihadiste en puissance derrière chaque jeune à capuche.
Et on tiendra bon. Parce que la France qu’ils prophétisent voire qu’ils appellent de leurs vœux, ce pays en guerre contre lui-même ; ce champ de bataille où les communautés s’affrontent chacune depuis leur tranchée ; cette société où, peu à peu, il faudrait s’habituer à attendre de moins en moins de chacun de nous ; cette France-là, nous n’en voulons pas.
Doucement, mais fermement, il faudra se mettre sur leur chemin. Leur dire que défendre la culture française, ce n’est pas en exclure tout ce qui ne date pas de Clovis ou de Jeanne d’Arc.
Leur dire qu’une pensée nuancée n’est pas une pensée faible, que tout compromis est pas une compromission, qu’il est rarement juste de camper sur une idéologie plutôt que d’exercer son droit au pragmatisme.
Leur dire que non, la nation française ne va pas disparaître rongée dans l’acide parce qu’on sert des blancs de dinde halal aux gamins dans les cantines, parce qu’on laisse une mère voilée accompagner une sortie scolaire au musée ou parce qu’on l’autorise à s’asseoir sur les bancs d’une université.
Leur dire que oui, un homme qui se présente aux urgences doit accepter d’être examiné par une femme, ou de voir sa femme examinée par un homme. Parce qu’un médecin est un médecin, et qu’on ne va pas couper un hôpital en deux au nom de préceptes religieux.
C’est à ça que ça sert, la laïcité. Ce n’est pas un totem contre lequel s’arc-bouter dès qu’on croise une crèche, un voile ou une kippa. C’est une solution astucieuse, une ruse de républicains pour qu’on se fréquente plus et qu’on s’apprécie davantage.
A chaque fois qu’un dilemme se présentera, on fera comme ça : on s’écoutera, on prendra une grande respiration et on choisira la solution qui nous permet d’être ensemble, pas celle qui nous sépare un peu plus.
Une nation, c’est une histoire, d’accord. De ce côté-là, en France, on a tout ce qu’il faut, de la grandeur et des heures noires, des salauds et des héros ; la journée de mercredi en a ajouté une couche, pas qu’on en avait besoin, mais voilà, elle est là, il faut faire avec.
Mais une nation c’est aussi un projet, un chemin qu’on a envie de prendre ensemble, en acceptant d’écouter ce que chaque partie a à dire pour espérer, un jour, former un grand tout.
Pour espérer, un jour, sortir de cette nuit glacée.