Ça coûte combien, une série de 0 et de 1 ? C’est la vertigineuse question à laquelle se confrontent les éditeurs quand il faut fixer le prix de la version électronique d’un de leurs livres.
Et la réponse varie beaucoup d’un titre à l’autre, comme le montre un échantillon d’une cinquantaine de romans et essais, choisi parmi les plus vendus ou signés des auteurs les plus connus.
Pour chacun, j’ai relevé le prix de l’édition originale, celui de l’édition poche et celui des versions iBook d’Apple ou Kindle d’Amazon (données disponibles au format CSV).
A ma grande surprise, l’ebook est dans la plupart des cas plus cher que la version poche.
Le surcoût atteint même 10,90 € pour Boomerang, de Tatiana de Rosnay (éd. Héloïse d’Ormesson) – 17,99 € en version électronique, 7,10 € au Livre de poche (+150%).
De même, Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes (éd. Grasset), vous coûtera 13,99 € si vous souhaitez le lire sur votre Kindle, contre 7,10 € seulement si vous voulez feuilleter les 380 pages de la version Livre de poche (+97%).
Ce décalage m’a étonné : d’un côté, un fichier numérique dont la reproduction ne coûte rien ; de l’autre, un objet physique fait de papier et d’encre et qu’il faut acheminer jusqu’au lecteur.
Sans compter que proposer un prix bas pour les ebooks les rend plus accessibles aux lecteurs les plus fauchés, et pourrait éviter de voir certains se tourner avec le piratage.
Si on compare le prix de l’édition originale et celui de l’ebook, le second est toujours moins élevé, mais la décote est très variable selon les titres : de ‑17% à ‑68% (-41% en moyenne).
Parmi les auteurs dont les ebooks sont vendus à prix cassés, on trouve paradoxalement Frédéric Beigbeder, un farouche opposant du livre électronique – c’est la fin « des librairies, des maisons d’édition, des suppléments littéraires dans les journaux et peut-être la fin de la critique littéraire », déclarait-il sur Europe 1 en 2011.
Son Oona & Salinger est vendu 7,10 € en poche mais seulement 6,49 € chez Apple et Amazon, soit une remise de 9%, la plus élevée de mon échantillon. Et pour Windows on the World, l’ebook est « seulement » 39 centimes plus cher que le poche (7,99 € au lieu de 7,60 €, soit +5%).
J’ai donc contacté les maisons d’édition concernées pour mieux comprendre comment ces prix étaient fixés.
La réponse de Fallois m’a beaucoup surpris : si La Vérité sur l’affaire Harry Québert, best-seller surprise de Joël Dicker, coûte 11,99 € en version électronique (contre 9,20 € en poche, soit +30%), c’est pour éviter qu’elle se vende trop bien, m’explique en substance Philippine Cruse :
« Nous voulons soutenir le livre papier. Si vous mettez un prix trop bas pour les ebooks, les gens ne vont acheter que du numérique et vous allez faire mourir les libraires. »
Si le sort des librairies est en jeu, pourquoi ne pas aller plus loin et retirer la version ebook de la vente ? Parce que l’époque est au compromis : « On est obligés de jongler, c’est une période un peu difficile », reconnaît-elle.
Chez Viviane Hamy, qui vend Coule la Seine de Fred Vargas à 9,99 € en ebook alors qu’il coûte 4,30 € en poche (+132%), Maylis Vauterin a bien voulu détailler la politique tarifaire pratiquée.
Quand le livre est une nouveauté, la décote sera de « 30% au minimum », mais le prix pourra même être descendu à 9,99 € dans le cadre d’une offre de lancement si « le potentiel d’un titre est particulièrement fort pour les lecteurs qui lisent en numérique ».
Pour les livres « de fond », le prix est « de 9,99 € pour la collection policière et 6,99 € pour la collection bis », hors périodes et offres de promotion.
Et c’est justement pour pouvoir proposer des promos que le prix de Coule la Seine et des autres romans de cet éditeur est maintenu plus cher que la version poche :
« Je ne connais pas d’autres mécanismes pour mettre en avant nos livres (dans la masse de livres disponibles, en étant un éditeur indépendant face à des groupes) que de participer à des opérations de baisse de prix.
En pratiquant un prix normal de 9,99 €, j’ai ainsi la possibilité de les proposer à 4,99 € en négociant de beaux focus sur notre production. »
Vauterin reconnaît qu’elle « tâtonne » pour « trouver un modèle éditorial » permettant de maintenir en ligne le délicat équilibre entre « best-sellers et découvertes de talents, forcément déficitaires au plan économique ».
Mais s’il est virtuel, un livre électronique engendre des coûts bien réels pour l’éditeur, ajoute-t-elle. Les revendeurs (Apple, Amazon…) gardent 40% du prix payé par l’acheteur. L’éditeur a choisi de verser des droits d’auteurs plus élevés que pour le papier. Et puis il faut prendre en compte « l’interface vers les plate-formes et la gestion des métadonnées, qui supposent de gros investissements ». Sans oublier la réalisation des fichiers epub eux-mêmes.
Elle se défend en tout cas de toute hostilité envers ces nouveaux supports :
« Le numérique est une part importante de la vie de notre catalogue. Nous avons investi afin de rendre disponible près de 80% de notre catalogue en numérique, y compris des ouvrages qui vendent de très petites quantités. »
Et pour vous, quel est le bon prix pour un livre électronique ? Le débat est ouvert dans les commentaires !