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6 phrases sur l’avenir du journalisme pour briller dans les dîners

Je ne parles pas forcément du futur du journalisme, mais quand je le fais, c'est avec des citations trouvées Dans mon labo.
Je ne parle pas souvent du futur du journalisme, mais quand je le fais, c’est avec des citations trouvées Dans mon labo.

Vous n’étiez pas au Festival international de journalisme de Pérouse la semaine dernière, et vous avez bien fait. Il y avait beaucoup trop de conférences intéressantes en même temps, ça rend le choix impossible et on finit la journée avec un super mal de crâne, après avoir subi un tel flot de bonnes idées, de conseils utiles et d’expériences passionnantes.

Et puis c’est totalement gratuit, alors les salles sont bondées, remplies d’étudiants en journalisme et d’activistes sans le sou, merci bien. Quant aux intervenants, c’est bien simple : ils répondent aux  questions, débattent avec le public, sont ouverts aux critiques et accessibles même le soir, au restaurant. Tant de démagogie, c’est fatiguant.

Enfin, j’ai pensé à vous et j’ai fait une petite compilation de phrases que vous pouvez ressortir dans les dîners entre journalistes, pour faire croire que vous y étiez.

1. « Tu sais, si tu chasses les clics, tu finis par publier des chatons »

Comme le blogueur Jeff Jarvis, auteur de cette formule pendant sa keynote, beaucoup d’intervenants ont rappelé que les médias devaient mieux choisir les statistiques à suivre pour bien développer leur site :

« Les métriques doivent être repensées. Les pages vues, les visiteurs uniques, le nombre de likes… tout ça, c’est du passé.

Avec Chartbeat, on peut mesurer le temps passé sur le site, et vendre aux annonceurs du temps d’affichage de leurs publicités [et non un nombre d’affichages, ndlr]. Ça va dans la bonne direction, mais ça aussi, je pense qu’on pourra le truquer.

Il faut aller vers des mesures plus qualitatives, pour savoir si ce que les journalistes font a vraiment de la valeur, comprendre ce qu’ils apportent à la vie des gens. Je ne sais pas comment on peut mesurer ça, mais il faut trouver. »

Même constat pour Stijn Debrouwere, spécialiste des statistiques des sites de médias, dont la conférence était pleine de bons conseils – je l’ai d’ailleurs retranscrite.

2. « Il faut casser les services et travailler en équipe »

D’accord, il y aura toujours des rédacteurs de génie et des enquêteurs hors pair qui bossent en solo, se contentant d’envoyer un fichier Word par e‑mail une fois leur tâche terminée.

Mais pour tous les autres, être capable de bien travailler dans des équipes mêlant des métiers de plus en plus variés devient un impératif.

Aron Pilhofer a ainsi raconté qu’à son arrivée à la tête du numérique au Guardian, il s’est ainsi empressé de créer un pôle « Visuals », regroupant des compétences en photo, en illustration, en design, en multimedia… Une idée empruntée à la NPR, le réseau américain de radios publiques :

« Avant ça, ces métiers étaient plus ou moins dans des services séparés. Ça n’a pas de sens : quand vous montez un projet numérique, ça implique forcément du texte, des images, de la vidéo, des graphiques, des animations…

Vous ne devriez pas avoir à négocier entre les différents services pour former votre équipe. C’est quelque chose qui était vraiment difficile pour moi quand j’étais au New York Times et dans d’autres rédactions.

Ça oblige à mener des négociations dignes de pourparlers à ONU, en allant voir chaque responsable pour le convaincre de l’intérêt de votre idée. Ça prend un temps fou, ça se termine avec une réunion avec quarante personnes dans la pièce, et ce n’est pas comme ça qu’on fait du bon journalisme. »

Qu’ils le veuillent ou non, les médias ne sont plus seulement des fournisseurs de contenu, mais aussi des créateurs de technologie. Et seuls ceux qui peuvent monter rapidement des équipes pluridisciplinaires seront à même de mener des projets rédactionnels ambitieux sans les voir s’enliser.

3. « L’Afrique mérite mieux que le journalisme-hélicoptère »

Trouver des solutions africaines aux problèmes africains : l’adage vaut aussi pour les médias, à en croire le journaliste et poète Tolu Ogunlesi. Basé à Lagos, au Nigéria, il en a assez de voir des reporters de télés occidentales débarquer dans un pays pour couvrir une crise pendant quelques heures, avant de repartir pour toujours :

« J’appelle ça le “journalisme-hélicoptère”. Les médias locaux, eux, sont là sur la durée. Depuis quelques années, les journalistes africains ont gagné en confiance, assez pour raconter leur propre expérience. Les réseaux sociaux ont permis à leur voix de porter davantage.

Avant, CNN ou la BBC étaient les seuls à avoir les moyens de dominer la conversation mondiale, maintenant on a des chaines comme Channels au Nigeria qui a très bien traité les récentes élections.

Quand vous parlez de l’endroit dans lequel vous vivez, où se trouve votre maison, vous pouvez vous permettre d’aller plus loin, d’être plus nuancé. »

4. « Recruter un abonné pour son journal, ce n’est pas seulement lui prendre son argent »

Fini le temps où on pouvait faire signer un chèque ou un formulaire de prélèvement automatique à son lecteur et puis partir en courant, en espérant qu’il reste fidèle pour les dix ou vingt ans à venir. C’est ce qu’a rappelé Jeff Jarvis dans sa keynote :

« Les gens veulent désormais qu’il y ait une vraie collaboration entre leurs médias et eux. Un sentiment d’appartenance, un engagement à faire des choses ensemble. […]

Il faut trouver de nouvelles façons de contribuer, pas seulement en envoyant de l’argent, mais en faisant un effort, en proposant du contenu, de l’aide pour le marketing, des lignes de code, bref tout ce qui peut aider dans notre mission d’informer.

Et en retour, il faut trouver comment récompenser cette participation, et ça ne peut pas être seulement l’accès à un contenu. Ça peut être une invitation à un événement, mais aussi une forme de reconnaissance sociale. »

Alors que beaucoup de sites d’actualité peinent à définir ou rendre attractives leurs offres d’abonnement, c’est peut-être cherchant des « membres actifs » ou des « soutiens » plutôt que de simples « abonnés » qu’ils réussiront. La méthode a en tout cas réussi pour Mediapart.

5. « Le nouveau datajournalisme, c’est le journalisme de capteurs »

On pourrait penser que les cigales sont toujours dans le coin, qu’il suffit de s’installer dehors pour l’apéro pour commencer à les entendre. Mais il en existe un genre particulier, la magicicada Brood II, qui ne débarque sur la côte est des Etats-Unis qu’une fois tous les dix-sept ans.

Pour prévoir le moment exact de son arrivée et ne pas la rater, l’émission Radiolab a lancé début 2013 le projet Cicada Tracker, et proposé aux internautes motivés d’assembler un boîtier électronique capable de mesurer la température à 20 centimètres sous la surface du sol, grâce à un capteur de température.

Des diodes lumineuses indiquent quand la température atteint 17,8 °C, soit juste avant le réveil des cigales mâles, qui rejoignent la surface et commencent à faire du boucan pour attirer les femelles. Les données étaient ensuite centralisées pour dresser des cartes nationales.

Si vous avez envie de tester ça dans votre garage afin de vous préparer pour la vague de 2030, le fabricant Arduino propose toute une gamme de supports qu’on branche à son ordinateur et sur lesquels se montent des capteurs de température, de son, de vent, d’humidité, d’accélération, de lumière, de proximité, de rythme cardiaque, de tension artérielle…

Tous ces produits (présentés par la creative technologist Linda Sandvik à Pérouse) sont loins d’être nouveaux mais, un peu comme les drones, ils ouvrent de nouveaux horizons aux journalistes et aux activistes bidouilleurs. Comme ces étudiants chinois qui ont fait voler des cerf-volants pour mesurer la pollution dans  le ciel chinois.

6. « Aujourd’hui, tu peux plus te contenter d’être un observateur, il faut t’engager »

Le journaliste est de moins en moins vu comme un pur esprit, observateur objectif de la marche du monde mais ne prenant jamais part aux événements qui le secouent.

Ce mythe-là a vécu, comme l’a prouvé la récente initiative du Guardian, qui veut faire pression sur la fondation Bill et Melinda Gates et d’autres fonds d’investissement afin qu’ils n’investissent plus dans les entreprises exploitant les énergies fossiles, afin de lutter contre le réchauffement climatique.

Une vraie libération pour Aron Pilhofer :

« Après vingt ans de journalisme, je m’étais toujours arrêté devant cette porte-là. On est là pour raconter ce qui se passe, ce qui ne va pas, ce qu’il faudrait faire, mais on ne s’empare pas d’un combat. Et ça, c’est vraiment frustrant à force.

Ce serait impossible de faire ça au New York Times, ils ne veulent vraiment pas aller vers un « journalisme de solutions. »

Beaucoup de projets reposent aussi sur la collaboration avec des organisations non gouvernementales (ONG) ou des groupes d’activistes, comme le lancement de la revue Alter-mondes, en France.

Pourquoi les sites d’actu se servent mal de leurs stats, et comment ça peut changer

La salle de contrôle des vols spatiaux de la Nasa en 2005 (Nasa).
La salle de contrôle des vols spatiaux de la Nasa en 2005 (Nasa).

Ça fait partie de ces conférences où l’on se surprend à applaudir et à encourager mentalement l’intervenant pendant son exposé, tant ce qu’il dit paraît pertinent.

Stijn Debrouwere, spécialiste des statistiques des sites de médias, parlait jeudi au Festival international de journalisme de Pérouse. Voici une retranscription que j’espère fidèle, mille excuses d’avance si j’ai déformé un propos ou raté une idée importante

Stijn Debouwere. Je travaille sur les statistiques des sites d’information depuis quatre à cinq ans, j’ai commencé dans des médias locaux (télévisions et quotidien), ensuite j’ai rejoint le service d’analyse des données du Guardian. Récemment, j’ai réalisé une mission pour le Tow Center  sur ces sujets.

J’ai pu voir des statistiques de beaucoup d’entreprises différentes, et je me suis aperçu que les mêmes problèmes apparaissent un peu partout.

Quand on parle des statistiques d’un site, bien souvent l’image mentale qui se forme est celle d’une salle de contrôle sophistiquée, comme celle de la Nasa à Houston, où chaque employé a plein de moniteurs différents.

Travailler de cette façon a bien marché pour la Nasa : dans le cas d’Apollo 13, c’est même ce qui a permis de ramener les astronautes sur Terre malgré les défaillances, grâce à toutes les données à disposition que les ingénieurs ont pu analyser pour déterminer la marche à suivre.

Ça peut aussi marcher dans des start-ups ou des entreprises centrées sur les nouvelles technologies, on voit qu’elles réussissent à lever des fonds ou réaliser un bon chiffre d’affaires en utilisant correctement les indicateurs dont elles disposent.

Mais ça ne marche pas aussi bien pour les médias. On voudrait des outils simples, objectifs et qui aident à la décision, et ce qu’on a bien souvent, c’est du « bruit », des fausses pistes et un miroir aux vanités.

Et quand on utilise mal les statistiques, ça peut avoir des conséquences néfastes, comme ces posts sur Facebook où on « optimise » les titres pour chasser les clics, avec des formules du type « vous n’allez pas croire ce qui arrive à ce chat après ça ».

Selon le consultant américain Peter Drucker, la meilleure façon de supprimer toute perception est d’inonder les sens avec des stimuli. Ça veut dire que les services que vous utilisez doivent être configurés pour vous donner uniquement l’information que vous souhaitez avoir. Sinon, vous ne pourrez rien faire.

Dans les rédactions aujourd’hui, les métriques se sont peu à peu accumulées : Google Analytics, Facebook Insights, Twitter Analytics… Ce sont de bons outils, mais on se retrouve avec des dizaines de tableaux de bord différents, tous mis à jour constamment.

Il faut se poser des questions de base. Pourquoi est-ce qu’on regarde des stats ? Parce qu’on veut pouvoir en tirer des conclusions. Mais en réalité, peu de rédactions sont capables de réagir immédiatement à une donnée, par exemple faire un article quand un sujet est en train de buzzer.

Je croise des journalistes très accros à Chartbeat [service de statistiques sur la fréquentation de son site mesurées en temps réel, ndlr], il faudrait leur passer sur le corps pour leur enlever ça. Mais quand je leur demande à quoi ça leur sert vraiment, ils ne savent pas trop quoi répondre.

Et vous avez sûrement déjà assisté à une réunion où quelqu’un débarque avec une grande idée, un changement à faire sur le site, en ayant au préalable sélectionné précisément LA donnée qui va dans son sens, en ignorant tout le reste.

Sans parler des biais qui peuvent se glisser. Il y a quelques années, YouTube a fait un gros effort pour optimiser les pages, et accélérer le chargement des vidéos. Quand ils ont mis ces changements en production, ils se sont rendus comptes que les métriques allaient dans le mauvais sens, qu’en fait le temps de chargement des vidéos avait tendance à augmenter.

C’est une donnée cruciale pour eux, donc ils avaient un vrai problème. En analysant davantage, ils se sont aperçus qu’ils avaient tellement bien travaillé que des internautes avec des connexions lentes ou de vieux ordinateurs s’étaient mis à regarder des vidéos, alors qu’avant ils ne pouvaient pas du tout le faire.

Et ce sont ces nouveaux utilisateurs qui faisaient plonger les statistiques, parce que les vidéos mettaient beaucoup de temps à se charger pour eux – mais au moins, ils pouvaient les voir. Les mêmes données qui les ont induits en erreur leur ont permis de comprendre vraiment ce qui se passait, en les examinant de plus près.

Sachant tout ça, qu’est-ce qu’on peut faire pour mieux travailler les statistiques ?

1. Avant de regarder vos statistiques, regardez votre site

D’abord, il faut garder en tête qu’il y a plein de changements possibles sans même avoir à les consulter, il suffit d’ouvrir les yeux.

On sait par exemple que les newsletters sont une façon de gagner du trafic et d’avoir des lecteurs plus fidèles. Regarder votre site : combien de temps vous faut-il pour vous inscrire à la newsletter ?

Même remarque pour le placement des boutons de partage des réseaux sociaux : est-ce qu’ils sont accessibles, est-ce qu’ils sont assez visibles ? Ce sont des choses très simples à corriger.

Un autre conseil que je donne, c’est d’avoir une check-list à remplir avant toute publication d’un contenu.

Je m’aperçois que dans beaucoup de sites, il y a toute une partie du contenu qui n’est jamais mis en avant nulle part, ni sur la page d’accueil, ni sur les réseaux sociaux. Il faut passer par une sous-sous-rubrique pour y accéder. Même leur auteur ne tweete pas un lien vers son article une fois publié !

Il faut avoir une stratégie interne pour chaque publication, par exemple programmer des tweets avec outils comme Buffer pour couvrir les différents fuseaux horaires. Vérifier que l’article comporte bien des liens externes et internes, c’est aussi important, et c’est le genre de choses qu’on peut mettre dans une check-list. Vous voyez, il y a zéro technologie en jeu ici, juste du bon sens.

2. Ne vous contentez pas des valeurs proposées par défaut

Ensuite, il faut mesurer les bonnes choses. Trop souvent, on se contente des métriques qui sont proposées par défaut. Si Google Analytics vous propose trois mesures quand on charge la page (par exemple « sessions », « utilisateurs » et « pages vue »), ça ne veut pas forcément dire que ce sont ces trois métriques-là que vous devez surveiller.

Au début, il était beaucoup question de pages vues, ensuite de « reach », après d’engagement. Je me souviens qu’un type a publié une tribune un jour sur Medium pour expliquer qu’il fallait vraiment regarder le temps passé sur le site, que c’était ça l’important.

Des clients ont commencé à m’appeler et à me dire qu’ils voulaient faire pareil, et je leur ai dit : « Vous allez vraiment changer complètement de stratégie, juste parce qu’un type a écrit ça sur Medium ? »

3. Regardez les ratios plutôt que les totaux

Il faut s’intéresser davantage aux ratios qu’aux valeurs absolues. Le nombre de pages vues, par exemple, ça ne m’intéresse pas forcément si je le prends isolément. En revanche, si je compare avec le nombre d’articles publiés dans la journée, ça peut devenir intéressant.

Si le nombre de pages vues aujourd’hui est le double de celui d’hier et que le nombre d’articles publiés a doublé aussi, ce n’est pas une bonne nouvelle, ça veut dire qu’on n’a pas amélioré la visibilité de chaque contenu. Regarder le nombre de pages vues par auteur, ça peut être bien aussi.

Des rédacteurs en chef me disent : « On ne publie pas beaucoup le week-end parce qu’on n’a pas beaucoup de visiteurs le week-end. » Mais en fait, c’est parce qu’ils publient peu le week-end qu’ils n’ont pas beaucoup de trafic le week-end – en tout cas, c’est une hypothèse que je ferais…

Si on regarde le nombre de pages vues par article, à chaque heure du jour ou bien pour chaque jour de la semaine, on peut sortir de ce type de problème d’œuf et de poule.

4. Suivez moins d’indicateurs mais suivez-les mieux

Il faut aussi réduire le nombre de métriques surveillées. Se concentrer sur la fidélité des lecteurs par exemple, c’est un bon réflexe, mais ça peut vous mettre dans des situations surprenantes. Mettons qu’un de vos articles devienne viral : ça va faire chuter vos indicateurs de  fidélité, parce que vous allez attirer soudain des gens qui ne viendront qu’une fois chez vous, pour un seul contenu.

Ce que je préfère observer, c’est l’évolution des frequent users, les lecteurs réguliers, une notion utilisée par les entreprises technologiques : par exemple, on regarde l’évolution de ceux qui ont passé au moins dix sessions dans les trois derniers jours. Et là, on se rend compte que c’est une courbe beaucoup plus stable, les pics de trafic sont gommés.

Quand Facebook s’est lancé, on ne pouvait s’y enregistrer qu’avec e‑mail hébergé par une série d’universités américaines. Ça faisait donc très peu d’utilisateurs en valeur absolue. Mais les fondateurs ont senti qu’ils tenaient un service intéressant quand ils se sont aperçus que les gens restaient très longtemps quand ils venaient.

Dans les rédactions, on ne mesure pas assez la qualité des contenus. Une expérience simple à réaliser, c’est de demander aux journalistes de donner une note de 1 à 10 au contenu qu’il vient de publier. On peut demander aux lecteurs de le faire aussi. Au final, cette statistique obtenue de façon artisanale est aussi importante que les chiffres de Google Analytics.

5. Cherchez un bon compromis plutôt qu’un objectif isolé

Plutôt que des cibles ou des objectifs, il faut chercher des sweet spots, de bons compromis. « Surperformer » peut être aussi mauvais pour un site que « sous-performer ».

Mettons que vous vouliez absolument multiplier le nombre de contenus en ligne. Vous allez vous organiser pour que vos auteurs publient 50 articles chaque semaine. Votre trafic va augmenter, OK, ça peut sembler super. Mais la qualité de ce qui est produit va plonger, et si vous ne la mesurez pas, vous ne le saurez jamais.

Du coup on va plutôt se dire : peut-être qu’on peut réduire un peu la longueur des articles, ce qui nous permettrait d’en publier un peu plus, sans que le lecteur ne se sente lésé.

J’entends dire : « Notre objectif est d’attirer un million de visiteurs en plus en provenance des réseaux sociaux. » OK, mais quel effet ça va avoir sur les autres métriques ?

Sur le Web, on s’est vite aperçu qu’il n’y avait pas de corrélation entre la longueur d’un article et le nombre de visites qu’il reçoit. Ce n’est pas parce que le texte est plus long qu’il sera plus vu.

Du coup, certains ont dit : il faut faire court, pour faire plus de pages vues. D’accord, mais on en fait quoi ? La plupart des sites ont déjà trop d’inventaire, les campagnes publicitaires ne sont pas assez nombreuses pour remplir tous les emplacements.

Si vous ne le monétisez pas, ce trafic supplémentaire, c’est un trafic-poubelle : en vérité, vous n’en voulez pas ; ce que vous voulez, ce sont des lecteurs qui reviennent souvent.

Les statistiques doivent être au service d’un projet, ce ne sont pas des buts en soit.

Quand je parle à des gens des entreprises de technologie, ils se demandent comment utiliser leurs statistiques pour améliorer le service qu’ils rendent aux internautes ? Mais côté médias, la question qu’on me pose c’est : quelle est la statistique que je dois cibler ? Ils ne veulent pas faire grandir le site, le rendre meilleur. Juste faire monter des chiffres.

6. Faites des tests sur la durée avant de décider

Il ne faut pas hésiter à faire des expériences, comme celle des articles evergreen de Vox : ils ont pris des contenus forts publiés plusieurs mois avant, ils les ont mis à jour et republié. Et ils ont gagné beaucoup de pages vues, pour des contenus qui étaient enterrés dans les archives. Certains lecteurs les avaient ratés, d’autres les avaient oubliés, dans tous les cas ils étaient contents de les lire.

Slate aussi tente des choses : par exemple, ils demandent à leur rédacteur de faire du  trafic whoring pendant toute une journée ; chasser les clics avec un maximum de contenus très attractifs. En échange, ils vont avoir deux ou trois jours sans contraintes, pour creuser un sujet.

Même chose avec Quartz, et leur théorie sur les contenus de longueur moyenne, qu’il faut éviter de publier, pour privilégier les articles soit plus courts, soit plus longs [la Quartz curve, ndlr].

Il faut cependant laisser ces expériences vivre assez longtemps. Un seul article sur une nouvelle thématique ne suffit pas à savoir s’il faut lancer une nouvelle rubrique, pourtant je l’ai vu faire aussi.

D’abord parce que Google Analytics pratique l’échantillonnage : les calculs ne sont pas forcément fait sur l’ensemble des stats, mais sur un échantillon, pour que ça aille plus vite. Du coup un changement ponctuel aura moins d’impact.

Mais surtout parce qu’il y a un tas de facteurs extérieurs qui peuvent influer énormément, comme l’auteur de l’article ou l’heure de publication.

7. Montrez à vos journalistes des mesures qui ont du sens pour eux

Une bonne pratique, c’est aussi de proposer la bonne métrique à la bonne personne. Souvent, la frustration ressentie face aux statistiques vient du fait qu’on n’a pas vraiment de prise sur les chiffres qu’on vous donne.

Par exemple, améliorer la visibilité de l’abonnement à la newsletter, c’est un objectif intéressant pour designer, mais pas pour le journaliste, qui ne peut rien faire pour changer ça.

Pour un journaliste, savoir le nombre de visites que son article a fait, ça n’est pas très utile finalement, puisqu’il a déjà terminé son travail.

Même chose si vous mettez un grand panneau lumineux dans la rédaction avec des informations du type : « les pages vues ont baissé de 5% par rapport à hier ». Le journaliste va se dire : « OK, mais qu’est-ce que je peux y faire ‚à mon niveau ? » Au final, ça aura des effets néfastes sur sa motivation.

8. Analysez vous-même vos données

Quand vous regardez vos statistiques, sachez que le bouton « Exporter » est votre meilleur ami. Récupérer les données brutes et les analyse vous-mêmes dans un tableur de type Excel, ça va vous permettre de creuser davantage et de garder le plus pertinent.

Au final, les stats en temps réel ont leur intérêt, c’est cool à regarder, ça donne l’impression que vous êtes dans la salle de contrôle de la Nasa. Mais régler des petits problèmes sur le site, cocher des cases sur une check-list, c’est peut-être moins prestigieux, cependant c’est ça  qui fait la différence. Et pour les médias il y a de gros gains à faire avec un minimum d’efforts, dans certains cas il suffit de se baisser pour les ramasser.

L’économiste Robert Solow a décrit dans les années 70 un paradoxe : les entreprises disposaient d’ordinateurs, de tableurs (c’était nouveau à l’époque), mais pourtant la productivité ne s’est pas vraiment améliorée à cette période.

C’est un peu pareil pour les médias : les statistiques ont le potentiel de vraiment améliorer les choses, mais ce n’est pas le cas pour le moment. D’où l’intérêt d’écouter Peter Drucker, et d’arrêter de se laisser submerger par elles.

Mis à jour le 17/4 à 21h30. Quelques précisions et menus changements grâce aux retours du conférencier que j’ai reçus par e‑mail. Une erreur corrigée : c’est YouTube et non Facebook qui a eu des stats surprenantes après avoir optimisé le chargement des vidéos.

Stijn Debrouwere a eu la gentillesse d’y ajouter une série de liens pour ceux qui souhaitent prolonger leur réflexion sur le sujet :

Pourquoi il faut des licornes dans les rédactions (et ce qu’on peut faire avec)

Une licorne sur un laptop (Yosuke Muroya/Flickr/CC-NC)
Une licorne sur un laptop (Yosuke Muroya/Flickr/CC-NC)

A en croire le joli panel réuni à l’hôtel Brufani lors de la première journée du Festival international de journalisme de Pérouse, les rédactions doivent d’urgence embaucher des « licornes » afin de mieux innover sur les supports numériques et de réussir leur mutation.

Ces « licornes », ce sont les journalistes ayant des compétences de développement ou, inversement, des développeurs aimant travailler sur l’actualité. Comme l’animal mythologique, ces profils sont rares et donc précieux au sein d’un effectif.

C’est le constat dressé par les intervenants de ce débat :

Voici une retranscription de ce qui s’est raconté, modulo quelques ellipses et reformulations de mon fait – d’avance, mille excuses si j’ai déformé un propos ou raté une idée importante.

Jacqui Maher. Je suis du Queens, à New York, et quand j’étais jeune je voulais être poétesse. Heureusement pour moi, avant d’entrer à la la fac, j’ai commencé à traîner avec un groupe de hackers. J’avais 15 ans, et c’est un âge où on trouve ce type de personnes plutôt cool, mais j’aimais aussi leurs idées et leur façon de voir le monde.

Vers 1999, la Hearst Corporation a lancé un « studio interactif » que j’ai rejoins. J’ai notamment fait un CMS [content managing system, service qui permet de gérer les contenus publiés par un site web, ndlr] pour Popular Mechanics [une revue scientifique américaine, ndlr] mais aussi des quiz pour Cosmopolitan.

« Je suis passée par Friendster en Californie et un hôpital au Malawi »

Il était un peu trop tôt pour tout ça, et le studio a fini par fermer. J’ai travaillé un temps en Californie, pour des start-ups comme Friendster, un réseau social que les plus jeunes d’entre vous ne connaissent sans doute pas. J’ai trouvé intéressant de voir comment on pouvait mettre au point une technologie pour résoudre un problème, en l’occurence permettre aux gens de retrouver leurs amis.

J’ai ensuite voyagé en Afrique, j’ai travaillé pour une ONG de lutte contre le sida au Malawi. J’ai fini par rentrer à New York. Un ami avait trouvé un job dans une nouvelle équipe que le New York Times constituait. J’ai passé un entretien et j’ai fini pas être embauchée un an plus tard.

J’y ai notamment travaillé sur un outil mis en ligne après le tremblement de terre à Haïti pour aider les gens qui cherchaient des nouvelles de leur proches, en collaboration avec Google et la Croix Rouge.

J’ai globalement trouvé le travail au sein d’une rédaction très gratifiant, comparé à ce qu’on fait dans une start-up ou une ONG.

Mais j’ai fini par déménager à Londres pour rejoindre mon compagnon et travailler pour la BBC. Je travaille notamment sur la couverture des élections et sur des outils de narration interactive.

Aron Pilhofer. J’ai un parcours très classique, avant de commencer à m’intéresser aux données, au datajournalisme. C’est une spécialité qui peut se décliner de beaucoup de façons, et ce n’est pas forcément quelque chose de si nouveau.

Ce qui est de nouveau en revanche, c’est la capacité qu’on a désormais d’utiliser les données pour créer des récits qui ont une forme non traditionnelle. On est en train de voir apparaître de nouveaux formats.

Prenez la mode pour l’explanatory journalism [le journalisme pédagogique, que pratiquent aussi les Décodeurs du Monde, ndlr] : pour moi, les meilleurs dans ce domaine, c’est la rubrique Upshot du New York Times, parce qu’ils ne se contentent pas du texte mais travaillent aussi beaucoup sur le visuel.

« Ce n’est pas compliqué, mais sans licorne vous ne pourrez pas le faire »

Mais pour faire ça, il faut des journalistes ayant des compétences en développement, sinon, vous serez incapables de produire ce genre de contenu.

Prenez le projet Immigrants in Their Own Words, du Guardian. On a voulu que les immigrants prennent eux-mêmes la parole, alors que leur histoire est toujours racontée par d’autres.

Le résultat est plutôt basique : des textes et des images, le tout créé entièrement par les lecteurs du Guardian eux-mêmes.

Ça a l’air simple, mais ça met en œuvre pas mal de choses en coulisses. Il vous faut un CMS qui va gérer le cas où il y a une image avec le texte et celui où il n’y en a pas, mais aussi gérer le cas où l’image est au format portrait et celui où elle au format paysage.

Et tant qu’à faire, vous voulez que tout ça soit dans un gabarit qu’on puisse réutiliser plus tard.

Au final, rien de très compliqué, mais si vous n’avez pas une licorne dans votre rédaction, vous ne pourrez pas le faire.

La page qu’on a mise en ligne pour suivre tous les sondages publiés avant les élections en Grande-Bretagne vise à aider nos lecteurs à aborder une problématique qui peut sembler simple, mais qui est infiniment complexe si on va dans le détail.

On produit des synthèses graphiques de toutes les études d’opinion et de leur évolution dans le temps, et on montre les basculements qui sont en train de s’opérer circonscription par circonscription.

C’est un problème technologique, c’est un problème de design, et c’est un problème de journalisme.

Jacqui Maher. J’ai travaillé pour un journal papier et je travaille désormais pour une radio. Dans les deux cas, le fait d’avoir à s’occuper d’un autre mode de diffusion que le numérique est un handicap, bien sûr.

Mais à la BBC je trouve les gens globalement plus à l’aise avec la technologie, notamment parce que c’est une structure où les ingénieurs ont toujours joué un rôle important, au fil des innovations de la radio et de la télévision.

John Crowley.  Il y a un vrai changement en cours, on est en train de passer d’un traitement de l’information principalement centré sur le texte à quelque chose davantage fondé sur le visuel et les interactions.

La BBC a publié Syrian Journey, une sorte de jeu plaçant l’internaute dans la peau d’un réfugié syrien tentant de rejoindre l’Europe – dans beaucoup de cas, le voyage se termine par la mort.

Elle a été critiquée, certains ont trouvé malsain le fait de prendre une actualité tragique pour en faire quelque chose de ludique. L’idée que dans l’avenir, l’actualité sera jouée plutôt qu’elle sera lue peut être difficile à accepter pour beaucoup d’entre nous.

Pourtant, le jeu vidéo est pratiqué par une part grandissante de la population. Et désormais, c’est le principal concurrent des médias, puisqu’on peut consacrer son temps passé dans le métro le matin à l’un ou à l’autre, sur son smartphone.

« Hé, mon article est prêt, tu peux ajouter une illustration ? » Ben non.

Pour produire ce type de contenus, là encore, il faudra des licornes.

Mais il faut savoir travailler avec elles. Par exemple, ce qui ne marche pas, c’est de produire un article et ensuite de leur demander : « Hé, tu peux pas ajouter une illustration ? » Il faut les associer dès le départ au travail sur l’article.

Il faut aussi que les licornes apprennent à mieux communiquer sur leur travail. Par exemple, j’ai demandé à nos employés qui travaillent sur le visuel partout dans le monde d’envoyer un e‑mail à l’équipe à chaque fois qu’elles mettaient quelque chose en ligne, pour expliquer ce qui a été fait et comment ça a été fait.

Le Wall Street Journal embauche des développeurs, mais il y a encore parfois un sentiment que ce sont des personnes extérieures à la rédaction, qu’il y a « eux » et qu’il y a « nous ».

Ça me rappelle ce que j’ai vécu il y a quelques années, au Daily Telegraph, quand la direction avait fait venir « quelqu’un d’Internet » au sein de la rédaction papier. Certains de ses membres avaient dit : « Mais qu’est-ce que “quelqu’un d’Internet” peut bien nous apprendre ? »

Encore aujourd’hui, la production de datavisualisations ne colle pas toujours au mode de fonctionnement d’une rédaction, notamment au niveau des critères d’évaluation : pour un rédacteur classique, être un bon journaliste c’est écrire bien, sortir des scoops. C’est aussi cette culture qui est en train de changer.

J’ai travaillé pendant six mois sur 100 Years Legacies, collection de cent histoires sur la Première Guerre mondiale. Il y a assez de textes pour un petit livre, mais on ne peut pas le deviner sur la page d’accueil, c’est très fragmenté. On utilise dedans plein de petits modules interactifs, et chaque histoire peut être partagée séparément sur les réseaux sociaux.

On y a passé six mois et on a voulu capitaliser sur ce travail, du coup on a repris ce format après la mort de Robin Williams, pour multiplier les angles sur cet acteur.

« Des outils pour l’équipe, pas seulement des contenus pour les lecteurs »

Enfin, nos licornes ne produisent pas que des choses destinées au lecteur, mais aussi des outils pour l’équipe, par exemple un petit module qui permet de générer une carte de situation en quelques secondes.

Jacqui Maher.  C’est variable mais c’est une grosse partie de mon travail en ce moment. Par exemple, je trouve ça motivant de travailler sur des outils destinés aux journalistes d’investigation, il y a beaucoup à faire dans ce domaine.

J’aime ce qu’on peut faire avec le code, mais je n’aime pas l’utiliser sans avoir un but concret, juste pour optimiser un algorithme par exemple. Pour nos besoins, pas besoin d’être dans la programmation hardcore.

John Crowley. Pour filer la métaphore avec la licorne, je dirais qu’il ne faut pas essayer d’attraper un profil de ce type, plutôt le laisser venir.

Ce ne sont pas des gens qui veulent un boulot classique, chaque jour de 9 heures à 18 heures. Ils veulent changer les choses. Il faut aussi qu’ils tiennent bien la pression, parfois un développement doit être fait dans la journée, il faut avoir une dose de réflexes journalistiques.

Jacqui Maher.  C’est vrai que les deadline sont plus dures à gérer dans les rédactions que dans les entreprises technologiques comme Google, même si là-bas aussi il y a des délais à tenir.

[…]

Aron Pilhofer.  Le New York Times ne met pas souvent ses productions en open source parce que la plupart du temps, ce qui est produit n’a pas les caractéristiques d’un projet open source, ce n’est pas quelque chose que d’autres peuvent facilement décliner.

« L’open source, la règle au Guardian, l’exception au New York Times »

Le Guardian a une approche différente, à cause de la volonté affichée pratiquer l’open journalism : on peut dire qu’il pratique l’ouverture par défaut, alors que pour le New York Times ce sera l’exception.

Ce n’est pas une critique, d’ailleurs certains projets que le Guardian met sur Github [plateforme permettant de publier un programme et de le faire évoluer, ndlr] ne sont jamais utilisés par quelqu’un d’extérieur au Guardian.

Cela dit, je me rends compte grâce à cette conférence qu’on travaille sur un outil de cartographie simplifié, en même temps que le Wall Street Journal et se concerter, c’est un peu idiot.

[…]

John Crowley. C’est vrai que notre façon de travailler peut sembler difficilement durable d’un point de vue économique, d’autant que certains projets, comme celui qu’on a fait sur les archives de la Premiere League [le championnat de foot anglais, ndlr], n’ont pas marché.

Le jour où on a lancé 100 Years Legacies, je peux vous dire que j’ai serré les fesses, mais heureusement on a fait 3 millions de pages vues avec…

Aron Pilhofer.  C’est un vrai problème. A la base, il faut qu’il y ait une envie personnelle, et un soutien de la hiérarchie. Et après, il faut des gens pour le faire.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a aujourd’hui un nombre incroyable d’endroits où se former ou apprendre des outils. D’ailleurs, ces derniers se modernisent et sont plus faciles à prendre en main.

Je me souviens de l’époque où je recevais un coup de fil à minuit : « Hé, le truc qu’on a publié est planté, on fait quoi ? » Ce n’est plus comme ça aujourd’hui.

Nous, on travaille beaucoup avec Google Sheets [des feuilles de calcul qui contiennent les textes et nombres utilisés dans une infographie ou un mini-site, ndlr] pour gérer le contenu de nos productions, ça évite une complexité supplémentaire à gérer.

Beaucoup de gens avec qui je bosse viennent du service informatique, ils aiment travailler avec la rédaction sur des projets qui ont plus de sens pour eux que chercher à optimiser le chargement d’une partie du site.

Allez voir des gens avec des autocollants sur leur laptop qui parlent de trucs comme l’Open Knowledge Foundation [association militant pour la culture libre et l’open data, ndlr]. Je suis sérieux ! Allez dans les conventions, partez à la rencontre de ces univers.

« Si votre rédacteur en chef est enthousiaste, il trouvera un peu d’argent »

Si vous arrivez à enthousiasmer votre rédacteur en chef, ça marchera, il trouvera un peu d’argent coincé au fond d’un fauteuil pour prendre un freelance. Ensuite, cet enthousiasme se diffusera à l’ensemble de la rédaction, et puis vous avancerez pas à pas.

La chance que vous avez, c’est qu’il y a énormément de choses disponibles en open source : chaque ligne de code produite par Pro Publica [fondation américain finançant des investigations d’intérêt public, ndlr] ou encore les outils du Knightlab [laboratoire de la Knight Foundation, basée dans l’université Northwestern, ndlr].

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Aron Pilhofer. Je ne connais pas la taille du marché du travail pour les licornes… Mais on ne leur demande pas que de faire des petits graphiques, l’idée c’est d’innover avec eux, d’affronter les évolutions en cours, y compris du point de vue du business model.

Je sais cependant que ce marché est infiniment plus grand qu’il y a dix ans,et qu’il va continuer à grandir très vite. Aujourd’hui, je serais incapable nommer toutes les équipes qui travaillent comme nous aux Etats-Unis, alors qu’à l’époque, on les comptait sur les doigts d’une seule main.

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Aron Pilhofer. Mon obsession du moment, c’est de donner une meilleure visibilité aux contenus que nous produisons

Quand on travaille longtemps sur un projet, on est déçus si l’équipe chargée de composer la page d’accueil ne l’aime pas trop et le vire rapidement. Dès le début du projet, il faut se poser la question : « Est-ce que nos lecteurs vont aimer ? Est-ce que les éditeurs de la page d’accueil vont le mettre en valeur ? » Si la réponse est « peut-être », alors il y a un problème.

Il faut aussi se focaliser sur les autres accès possibles au contenu. Par exemple, notre équipe chargée des réseaux sociaux nous a fait refaire entièrement le sondage qu’on publie chaque année avant les Oscars. D’un année sur l’autre, l’audience s’est retrouvée décuplée ! Même chose quand on l’a rendu accessible sur les mobiles.

« Même un journaliste old school peut s’enthousiasmer pour une datavisualisation »

Il faut que tout le monde monte à bord, que ça fasse partie du traitement global de l’actualité proposé par le média, et que ce ne soit pas la dernière roue du carrosse. Sinon, c’est mort.

Mais on se rend compte que même un journaliste plutôt old school peut s’enthousiasmer pour ces nouvelles façons de raconter des histoires.

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John Crowley. On s’est donné le principe de demander aussi souvent que possible à nos lecteurs si nous avons raté quelque chose sur un sujet donné. C’est devenu un réflexe.

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Aron Pilhofer. On fait énormément de tests, on travaille sur l’expérience utilisateur, on organise des focus groupes, on lance des enquêtes.

Traiter une élection, on pourrait croire que les journalistes savent déjà faire. Pourtant, nos tests montrent que ce n’est pas le cas.

Mais le journalisme reste peu adapté à un travail par itérations, on peut le faire à la marge seulement. Ce qu’on fait est trop périssable, ce n’est pas comme un produit qu’on fait évoluer peu à peu dans le temps.

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Jacqui Maher.  C’est vrai que c’est important de mesurer la réponse des utilisateurs, c’est une habitude que j’ai prise dans les start ups. Mais est-ce que ça veut dire qu’il faut abandonner un sujet s’il est peu lu ? C’est une question compliquée.

Aron Pilhofer.  Il faut tester, tester et encore tester, même si ça ne vous garantit pas le succès : vous allez vous planter au moins aussi souvent que vous allez réussir. L’idée c’est que votre boss ne le remarque pas trop.