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Pourquoi il ne faut pas virer des amis Facebook à cause d’une élection (surtout si vous êtes journaliste)

Bataille au village d'Astérix
La France entre les deux tours de la présidentielle (allégorie)

« Cette campagne aura au moins eu le mérite de me permettre de faire le ménage dans mes « amis » Facebook. J’en ai viré plusieurs, c’était plus possible de débattre avec eux. » Depuis le premier tour de la présidentielle, j’ai croisé des statuts de ce type plusieurs fois sur ma timeline.

Je comprends tout à fait ceux qui souhaitent se préserver du climat de tension et d’agressivité régnant sur les réseaux sociaux, mais je pense que c’est une très mauvaise idée, particulièrement si vous êtes journaliste. Et dans ce deuxième épisode de ma série consacrée au « journalisme en empathie », je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

La présence de Marine Le Pen au second tour, même si elle semble avoir peu de chances de l’emporter, résonne comme un écho étouffé de la victoire des partisans du Brexit au Royaume-Uni et de celle des supporteurs de Trump aux Etats-Unis.

Dans tous les cas, il est tentant pour les médias de rejeter la faute sur les autres : les algorithmes de Facebook et leur appétit pour les fake news ; les politiciens inefficaces, coupés de la société, menteurs voire corrompus ; la cyberpropagande et les hackers du Kremlin…

« Les journalistes britanniques n’ont pas assez parlé aux gens »

Mais c’est aussi dans leur miroir que les journalistes doivent chercher les responsables de ces résultats qui font vaciller nos démocraties représentatives sur leur base.

C’est en tout cas l’avis d’Alison Gow, qui se confiait lors d’un panel du Festival international de journalisme de Pérouse, début avril.

« La bataille pour le Brexit, nous l’avons perdue il y a vingt ans, quand nous avons commencé à ne plus faire notre travail sur les sujets européens », a commencé par expliquer la responsable de l’innovation au groupe Trinity Mirror,  dont les tabloïds ont soutenu le camp du « Remain » :

« Comme ce sont des questions compliquées, nous nous sommes réfugiées dans une attitude très britannique qui consiste à se moquer de ce qu’on ne comprend pas. »

Au-delà de cette focalisation sur des histoires triviales comme la régulation de la courbure des bananes, Gow estime surtout que les journalistes « n’ont pas suffisamment parlé aux gens » :

« Nous n’avons pas assez cherché à savoir ce qu’ils pensaient et ce qu’ils avaient sur le cœur.  Si on s’était davantage emparés du débat, on aurait pu faire une différence. On est trop restés enfermés dans nos rédactions et dans nos réseaux sociaux. »

« J’aurais dû davantage suivre mon instinct »

Autre panel, même conclusion pour Maria Ramirez, qui a couvert la campagne de Trump pour le groupe Univision :

« Il faut faire davantage confiance à ce que remarquent les reporters sur le terrain et moins à ce que disent les sondages.

J’avais déjà couvert d’autres campagnes, mais en me rendant dans les meetings de Donald Trump, j’ai découvert quelque chose de nouveau : des gens qui ne se seraient jamais déplacés pour un homme politique avant, une atmosphère différente, plus agressive. J’aurais dû davantage suivre mon instinct. »

Ce besoin se reconnecter avec l’audience, Mandy Jenkins, responsable éditoriale de l’agence Storyful, est bien placée pour le ressentir. Native de l’Ohio, elle voit en effet tous les grands médias américains se ruer dans sa région une fois tous les quatre ans – l’Etat est l’un des swing states, ceux dont le vote peut faire basculer l’élection présidentielle :

« Les journalistes mangent les spécialités locales, parlent des gens qui ont des problèmes comme les agriculteurs ou les métallos, se moquent des ploucs.

Mais ils ignorent les secteurs économiques dynamiques et échouent globalement à raconter ce qui s’y passe vraiment. Ils tombent dans la caricature parce qu’ils ne sont pas d’ici. »

« C’est peut-être mieux d’embaucher quelqu’un qui vit dans l’Ohio pour parler d’Ohio »

Pourtant, pour Jenkins, cet éloignement entre les médias et leur public n’a pas toujours été la règle :

« Au niveau local, les gens avaient l’habitude de connaître ou au moins de rencontrer de temps en temps les journalistes qui parlaient d’eux. Ils étaient allés dans la même école, vivaient dans la même ville, fréquentaient les mêmes lieux de vie.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui.  les journalistes se retrouvent parachutés là où se passe l’actu, et une fois l’actu passée, il n’y a pas de raisons pour eux de rester. »

La concentration s’est en effet accélérée ces dernières années : 13% des journalistes américains travaillent dans le seul quartier de Manhattan, à New York. Trop souvent, les rédacteurs en chef ont peur de ne pas pouvoir contrôler un journaliste s’il travaille à distance, ajoute Jenkins :

« Il aura fallu le plantage de Trump pour qu’enfin, ils se disent, c’est peut-être mieux d’embaucher quelqu’un qui vit dans l’Ohio pour parler de l’Ohio [ou au moins dans un Etat proche, ndlr]. En plus, ça nous reviendra moins cher. »

25 pro-Trump et 25 pro-Clinton dans un même groupe Facebook

Et en France ? Si Marine Le Pen remporte finalement la présidentielle, le défi principal pour les médias généralistes ne sera pas de se prendre pour L’Huma clandestine en entrant en résistance contre le fascisme, mais bien de renouer le lien avec une population qu’ils ont trop souvent exclue de leur radar.

Et l’on aura, nous aussi, le genre de débats qui agitent aujourd’hui les médias britanniques et américains. Une fois (un peu) remis du choc initial, ils ont multiplié les expériences journalistiques sur ce sujet :

Fin 2016, l’ONG Spaceship Media a par exemple rassemblé pendant un moins dans un même groupe Facebook 25 supportrices de Trump vivant en Alabama (considéré comme un des Etats les plus conservateurs) et 25 supportrices de Clinton vivant en Californie (Etat progressiste par excellence).

Non seulement la conversation n’a pas viré au pugilat, mais les participantes se sont peu à peu emparées de cet outil pour faire vivre elles-mêmes un débat difficile sur les questions de race, d’immigration ou de foi.

Pour le journalisme, une raison évidente d’exister

Cette opération m’est revenue en tête en voyant une brève séquence d’un reportage diffusé jeudi dans Quotidien (et que je n’ai pas retrouvé en ligne). Après avoir repéré un couple d’électeurs de Le Pen venue assister à un meeting de Macron (« pour se faire [leur] propre idée »), le journaliste enjoint les autres personnes présentes dans la file d’attente à dialoguer avec eux.

Quand j’étais étudiant, c’était le genre d’intervention qu’on nous recommandait de ne pas faire :  le journaliste ne saurait intervenir sur les événements se déroulant devant lui, pour ne pas sacrifier sa neutralité.

Aujourd’hui, je suis peu à peu convaincu du contraire. Confronté douloureusement à la question de sa propre utilité dans des sociétés hyperconnectées et surinformées, le journalisme tient là une raison évidente d’exister.

Servir de facilitateur pour créer du lien entre l’actualité et sa communauté.  Faire preuve de suffisamment d’empathie et de diplomatie pour ne plus se mettre l’opinion à dos. Maintenir à tout prix le dialogue, comme on protège la flamme d’une bougie menacée par un mauvais courant d’air.

« Ils ont compris comment gagner avec des mensonges et ne vont pas s’arrêter là »

Si vous trouvez ça un peu concon comme conclusion, il y a aussi la version coup-de-pied-dans-le-cul de cette thèse. Elle est servie par Jonathan Pie, reporter fictif incarné par le comédien britannique Tom Walker dans une vidéo énervée :

« La seule chose qui marche, putain, c’est d’en avoir quelque chose à foutre, de faire quelque chose, et tout ce que vous avez à faire c’est entrer dans le débat, parler à quelqu’un qui pense différemment et parvenir à le convaincre.

C’est tellement simple, mais pourtant la gauche est devenue incapable de le faire. Arrêtez de penser que ceux qui ne sont pas d’accord avec vous sont des malfaisants, des racistes, des sexistes ou des idiots. Et parlez-leur, persuadez-le de penser autrement, parce que si vous ne le faites pas, le résultat c’est Trump à la Maison-Blanche. »

Parce qu’en face, ils commencent à avoir de l’entraînement, expliquait en substance Rupert Myers, journaliste politique pour le GQ Magazine britannique, toujours à Pérouse :

« Le camp du Leave a beaucoup appris. Ils ont compris comment gagner avec des mensonges, et ils ne vont pas s’arrêter là.

Par exemple, ils vont proposer de faire un référendum sur la privatisation de la BBC. Ensuite, ils vont vous demander pourquoi vous déniez au peuple britannique la possibilité de se prononcer sur ce sujet.  Avant que vous ayez eu le temps de réagir, ils vont expliquer qu’on pourrait financer des hôpitaux avec le budget de la BBC…

Tant que les journalistes n’auront pas trouver un moyen efficace de lutter contre leurs mensonges, ils ne s’arrêteront pas. »

Pensez‑y avant de vous lancer dans un « ménage » de votre liste d’amis Facebook !

Hé, ce texte fait partie d’une série de notes consacrée au « journalisme en empathie » ! Voici le menu complet :

Les médias n’ont pas besoin de plus de technologie, mais de plus d’empathie

J’ai une confidence à vous faire : je suis censé être un spécialiste de l’innovation dans les médias – c’est en tout cas comme ça que je gagne ma vie –, mais il y a des pans entiers de l’innovation dans les médias qui me laissent dans une profonde indifférence.

Prenez les expériences de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, par exemple. Je vois passer chaque matin dans ma veille un nombre considérable d’expériences, de témoignages ou de tribunes à ce sujet, et malgré mes efforts et mon professionnalisme, je ne parviens pas à m’y intéresser.

Je comprends que beaucoup d’experts surveillent cette tendance de près, et j’ai bien sûr vu passer quelques exemples réussis, comme cette vidéo à 360° tournée parmi les soldats irakiens lors de la reconquête de Falloujah, et diffusée par le New York Times.

(Je vois aussi de beaux ratages, comme l’application lancée par France Télévisions à l’occasion de la présidentielle, bidule particulièrement creux et inutile.)

Mais plus profondément, je n’arrive pas à imaginer un futur où notre rapport à l’information passerait, principalement ou accessoirement, par des expériences d’immersion de ce genre.

L’info en ligne, un écosystème du moindre effort

Prenez la vidéo sur mobile. Ça ne paraît pas bien compliqué de pencher son smartphone sur le côté pour profiter d’une vidéo au format 16/9 en plein écran.

Pourtant, les médias en ligne diffusent de plus en plus souvent des clips au format carré ou vertical – et ils réorganisent leur circuit de production en conséquence – parce que nous privilégions ceux qui nous épargnent ce simple geste du poignet.

Dans un tel écosystème du moindre effort, où on se contente souvent de l’information « poussée » par ses amis sur un réseau social ou notifiée par une application sur son mobile, je ne vois pas de place pour des formats qui imposent au lecteur de mettre un casque sur la tête ou de brandir son téléphone dans toutes les directions pour accéder à de l’information.

Je vois en revanche très bien comment ces dispositifs peuvent s’imposer dans le monde du jeu vidéo, mais ce n’est pas du tout la même limonade.

Est-ce que j’ai vraiment envie de passer mon temps à chercher autour de moi quel degré je suis censé regarder parmi les 360 disponibles pour comprendre ce qui est en train de se passer dans le monde ? Est-ce que c’est vraiment ce que j’attends d’un média ou d’un journaliste ?

Qu’apporte un direct sur Facebook Live par rapport à un direct sur BFM-TV ?

Au risque de passer pour un vieux con, je pourrais tenir le même type de raisonnement pour plusieurs autres technologies qui ont beaucoup occupé les esprits ces derniers temps.

Ça inclut les robots conversationnels dans les messageries instantanées. Les chatbots que j’ai installés sur Messenger m’ont presque tous donné envie de jeter mon smartphone par la fenêtre, tant s’informer par ce canal m’a paru un exercice aussi laborieux que frustrant. L’exception confirmant la règle étant celui lancé par L’Obs pour la présidentielle, et qui raconte au jour le jour les hésitations d’une série d’électeurs indécis.

L’engouement actuel pour la vidéo live me laisse tout aussi sceptique. Je trouve bien sympathiques les jeunes reporters des sites généralistes envoyés dans les cortèges se filmer en direct, interviewer des manifestants et répondre aux réactions en direct des gens sur Facebook.

Mais je peine à voir la valeur éditoriale qu’ils apportent, quand on compare ce qui est diffusé à ce que diffusent les chaines info – qui ont à disposition des journalistes rompus à l’exercice, du matériel de qualité et toute une culture donnant « la priorité au direct ».

Evidemment, il est tout à fait possible que dans cinq ou dix ans, nous ayons tous une paire de lunettes spéciales réalité virtuelle sur la table du salon, afin de s’informer chaque soir avec des vidéos à 360° diffusées en direct et commentées par des robots.

(Si vous vivez dans ce futur et que vous êtes en train de lire ces lignes, merci de ne pas être trop méchant dans les commentaires.)

Un consultant en innovation a besoin d’innovations sur lesquelles être consulté

Au passage, ça me pose un problème professionnel. Comme le trader fait ses profits grâce aux évolutions des cours de bourse et ne gagne rien si rien ne change, le consultant en innovation a besoin d’innovations sur lesquelles être consulté.

Et sauf à être totalement cynique, il a intérêt à croire en ces nouvelles tendances, au moins un minimum, s’il veut gagner sa croûte. J’ai la chance d’avoir des clients que ces nouveautés laissent pour le moment indifférents ; si ce n’était pas le cas, je serais bien embêté.

Attention, je ne suis pas en train de dire que le journalisme n’a rien d’intéressant à prendre dans le grand panier des nouveautés technologiques. Il y a quelques années, c’est autour du datajournalisme qu’il y avait un fort engouement. Et encore aujourd’hui, je lis pas mal de big bullshit sur le big data ou l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins éditoriales.

La data est cependant plus qu’une mode, et modifie de façon non négligeable le travail dans un nombre croissant de rédactions, et je suis très fier d’y avoir contribué par mes formations, conférences ou expériences.

Le « journalisme en empathie », exercice profondément humain

Mais aujourd’hui, les vraies évolutions sont peut-être ailleurs. C’est le sentiment que me laisse la dernière édition du Festival international de journalisme de Pérouse qui se tenait début avril, dont les échanges ont sans doute catalysé en moi d’autres réflexions plus anciennes .

Si j’essaie de mettre toutes mes impressions dans un grand sac et de coller une étiquette dessus, j’appellerais cette tendance le « journalisme en empathie ».

Soit un journalisme vécu comme un exercice profondément humain. Qui prend réellement en compte les attentes du lecteur. Et qui tente de connecter les gens au monde qui les entoure, au lieu de déverser sur leur tête un flux continu d’informations suscitant, au mieux, de l’indifférence ou, au pire, de l’angoisse et de l’isolement.

Je sais, dit comme ça, ça fait « cul-cul la pral’ », mais c’est quand même plus emballant que « le journalisme de drones » ou le « journalisme de robots », non ?

L’empathie était d’ailleurs le thème de l’un des rendez-vous proposés à Pérouse, et au-delà, elle me semble bien résumer une série d’évolutions que traversent (ou devraient traverser) les médias.

Comme ce thème m’inspire, je vais le décliner Dans mon labo en quatre épisodes dans les semaines qui viennent. En espérant vous convaincre de ranger votre casque de réalité virtuelle au placard au moins quelques instants !

Hé, ce texte fait partie d’une série de notes consacrée au « journalisme en empathie » ! Voici le menu complet :

Les journalistes devraient arrêter de s’asseoir au bord de la rivière et plonger dedans

Un chat ayant boulotté un peu trop d'actualité (Liz/Flickr/CC-BY-NC-ND)
Un chat ayant boulotté un peu trop d’actualité (Liz/Flickr/CC-BY-NC-ND)

Si même Christophe Barbier s’y met ! « Aider les lecteurs à trier dans l’infobésité », c’est l’une des priorités de la nouvelle formule de L’Express lancée mercredi, expliquait le directeur du magazine.

L”  »infobésité » serait la source de tous nos maux, et beaucoup de nouveaux médias veulent nous mettre au régime sec. On pense bien sûr aux Jours, lancés il y a peu par des anciens de Libération estimant qu” « il n’y a jamais eu autant d’informations, mais qu’on n’a jamais eu autant de mal à être bien informés ».

L’autre promesse à la mode, c’est de ralentir le rythme en s’échappant du flot continu de l’actu. Ainsi, dans la FAQ de L’Imprévu, qui a lancé en février sa version abonnés, on lit que le site veut « se [détacher] de l’actualité » pour publier « chaque mois » des articles « qui sondent la société […] au-delà des sujets imposés ».

Chasser les kilos en trop de l’info

Avec un peu d’aide, j’ai pu compléter la liste des médias qui trouvent, selon les cas, que l’info a des kilos en trop ou bien qu’elle nous file beaucoup trop vite sous le nez. On y trouve notamment :

  •  Ijsberg, qui explique dans son manifeste : « Nous sommes surinformés, mais tant d’histoires nous échappent. Noyés sous les faits divers, nous n’y faisons presque plus attention et préférons en rire, le Gorafi le prouve » ;
  • Ulyces et son « journalisme narratif » au long cours ;
  • The Conversation et « son journalisme in-depth […] à rebours de l’accélération folle de l’information sur Twitter et des chaînes d’info en continue », comme le décrit ibération ;
  • Le Quatre Heures, qui se veut « une pause dans l’information continue, pour prendre le temps de la rencontre et de l’approfondissement » ;
  • d’autres magazines en ligne moins connus mais qui font des propositions approchantes à leurs lecteurs : Le Zéphyr, 8e étage, 10 001 mots,  Medor ou Global.

Comme nous sommes nombreux à nous inquiéter de l’hyper-connexion de notre époque, je vois bien ce que ce positionnement a de séduisant – et j’espère d’ailleurs qu’il convaincra suffisamment de lecteurs pour faire vivre et prospérer tous les médias cités ici.

« Des journalistes conservateurs dans leur tête, pour être poli »

Ces nouveaux entrants bénéficient d’ailleurs d’une couverture médiatique très favorable – les journalistes ne font pas preuve de beaucoup d’esprit critique quand se montent des projets aux intentions aussi nobles.

Et puis dans la presse, on aime bien caresser l’idée que les lecteurs, en vrai, veulent des récits longs, profonds et fouillés, dont les contraintes du marché et les dérives du marketing n’auraient de cesse de les priver. C’est parfois vrai (et ça explique le succès de XXI ou de Mediapart) mais c’est souvent faux (et ça explique l’échec de presque tous ceux qui ont voulu les imiter).

Certaines voix se font un peu plus critiques. A Rue89, l’historien de la presse Patrick Eveno expliquait toutefois qu’il voyait dans cette tendance « un réflexe de journalistes qui sont conservateurs dans leur tête, pour être poli » :

« On retrouve ça quasiment dès l’invention des journaux. Quand ils ne faisaient que quatre pages, les gens se plaignaient déjà qu’il y avait trop à lire. »

De mon côté, je trouve qu’il y a comme un parfum de défaite dans ces déclarations de principe. Comme si, effrayés par la guerre de l’attention, cette denrée rare que se disputent par un nombre toujours croissant de protagonistes, une bonne partie des journalistes avaient renoncé à livrer bataille.

« C’est chiant d’avoir un système digestif »

Le blogueur Laurent Dupin résume assez bien mon sentiment dans un post consacré aux rapports entre les stars d’Europe 1 et les réseaux sociaux :

« Le côté “oh là là, que c’est chiant d’être dérangé tout le temps, on y arrive plus entre toutes ces sollicitations”, me fait penser à ses bourgeoises soufflant dans un demi-rot post-déjeuner un “oh là là, que c’est chiant d’avoir un système digestif”. »

Le bidouilleur fou Damien Van Achter, alors que je lui faisais lire une première ébauche de ce texte, a eu cette réaction :

« Ce mouvement de prise de distance, je le vois plus comme une tentative de reprendre le contrôle.

Ces journalistes se disent : “Puisque je ne sais pas (ou ne veux pas) surfer sur la vague comme Buzzfeed et les autres, alors je vais essayer de super bien ramer.” Après tout, c’est aussi un sport olympique, qui a du charme et une certaine noblesse. 

Je ne le vois pas comme un aveu d’échec, mais plutôt comme une l’envie furieuse de réussir malgré tout à faire son trou. Quitte à mourir pour son idée du journalisme, la fleur au bout du canon. Perso, je respecte beaucoup ça. »

Se tourner autant vers le passé, ça n’incite pas vraiment à innover

Une fine connaisseuse des médias souhaitant rester anonyme me rappelle, elle, que le phénomène n’est pas si nouveau ; avant Internet, les magazines qui se lançaient proposait déjà de « faire un pas de côté » afin de garantir des contenus plus originaux :

« Aucun média ne se lance jamais en promettant de réagir à chaud, sans aucune distance, sur tout ce qui se passe. Et pourtant ça fait le gros des contenus médias produits, preuve que les engagements ne sont pas si bien tenus que ça . »

(Je n’ai d’ailleurs pas tenu un autre discours lors du lancement de Rue89 Week-end, le magazine tablette de Rue89 que je pilotais. Lors de la conférence de presse de lancement, il était ainsi question de « sortir du flux » pour « prendre le temps » d’apprécier « ces papiers qui restent »…)

Le souci, c’est que lancer un média en se tournant autant vers le passé (quitte à l’idéaliser au passage), ça n’incite pas beaucoup à innover, qu’il s’agisse de tester de nouveaux formats éditoriaux, de chercher de nouveaux modèles économiques ou d’expérimenter des moyens malins d’atteindre son audience.

  • Le mobile n’est pas au cœur de ces projets, alors que les statistiques d’usage sont sans appel et qu’il y a tant à inventer dans ce domaine – Quartz a récemment marqué les esprits avec son appli iOS qui raconte l’information dans une conversation.
  • La vidéo n’est pas non plus une priorité, alors qu’elle occupe une part grandissante de notre temps passé en ligne.
  • Les réseaux sociaux, eux, sont souvent désignés comme la source de tout ce mal-être informationnel. Conséquence : on y porte pas l’effort, alors qu’ils sont devenus un passage obligé vers l’information pour une part croissante de la population, et qu’ils pourraient bien finir par « manger le monde ».
  • Les formats visuels, enfin, intéressent peu ces médias du temps long : on y croise bien quelques belles productions photo, mais pas ou peu  d’infographies interactives, de diaporamas ou d’expériences de serious gaming.

Un peu partout, des impétrants prêts à plonger dans le grand flux

La bonne nouvelle, c’est que pendant que ces journalistes se replient sur ce qu’ils connaissent le mieux (et leur fait le plus plaisir), la place est libre pour toute une série d’impétrants qui n’ont pas peur, eux, de plonger la tête la première dans le grand flux.

C’est le cas d’une série de newsletters (de Brief.me à Artips en passant par Time To Sign Off) qui ajoutent sans complexe à la profusion régnant dans nos boîtes e‑mail.

Il y a aussi ces youtubers qui commencent à vivre de leur travail grâce à la pub et aux contributions de leurs lecteurs (comme les « pourboires » reçus sur Tipee). Et ce avec des productions dont la qualité ne cesse de croître, comme pour Bruce Benamran et sa chaîne E‑penser, Usul et ses Chers contemporains ou encore Léo Grasset de DirtyBiology.

On pense également à Buzzfeed qui assume sans complexe de chercher à être lu partout où le lecteur se trouve, quitte à ajouter du bruit au bruit. Et à la version française de Mashable, qui vient d’être lancée par France 24,  veut « Informer, inspirer, divertir » et n’hésite pas à se définir comme une « purée » associant « différents ingrédients que l’on écrase » pour un résultat « onctueux et goûteux ».

On fait quoi de l’actu, du coup ?

C’est vrai, c’est tentant de sortir du fleuve de l’information connectée pour prendre du temps et du recul – c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai quitté Rue89 pour lancer Dans mon labo en 2014.

Mais « le journalisme n’existe que dans le contexte de son public, c’est pour ça qu’on cherche à l’augmenter », rappelait récemment Chris Moran, responsable de l’audience au Guardian.

Même si on arrive, à force de volonté et de talent, à faire exister des îlots capable de résister aux torrents du numérique, on n’aura fait qu’esquiver le problème : comment bien traiter l’information, à chaud et sans filet, quand l’information est partout, tout le temps ?

Et pour trouver des réponses satisfaisantes à cette question, il va bien falloir se mouiller.

Le numérique, une catastrophe pour les médias ? Le chemin de fer l’était aussi

Il y a des étudiants en journalisme plus chanceux que d’autres. Pour leur leçon inaugurale, ceux qui viennent d’entrer au Centre de formation des journalistes (CFJ) ont pu échanger avec Wolfgang Blau, directeur de la stratégie digitale du Guardian et sur le point de rejoindre le groupe Condé Nast.

Le discours et la séance de questions/réponses qui a suivi étaient denses, mais je tente une retranscription rapide ci-dessous. (Si vous étiez présent, n’hésitez pas à me signaler d’éventuelles approximations en m’écrivant un message ou dans les commentaires.)

Wolfgang Blau. « Pour préparer cette intervention, j’ai passé en revue tous les thèmes de réflexion du moment […] et notamment toutes les menaces qui pèsent sur les médias aujourd’hui.  D’ailleurs, on peut se demander pourquoi, avec tous ces problèmes, il y a malgré tout autant d’enthousiasme dans ce secteur.

J’ai finalement choisi de ne pas aborder une de ces problématiques en détail, mais plutôt de tenter de prendre un peu de recul, ce dont on manque souvent – je pense que nous sommes parfois comme des souris faisant tourner une roue dans leur cage, regardant uniquement devant nous, incapable de voir le cadre global.

Et pour ça, je vais vous parler de l’histoire du chemin de fer. Le train, de nos jours, jouit d’une très bonne réputation. Les compagnies sont parfois une source de fierté nationale, et prendre le train plutôt que l’avion ou la voiture, c’est faire une bonne action, en améliorant son bilan carbone.

« Le train était vu comme une menace »

Mais ce n’est pas du tout comme ça que le train était perçu quand ce mode de transport s’est généralisé au XIXe siècle. C’est d’ailleurs une leçon intéressante : quand de nouveaux concurrents font leur entrée sur un marché, ils sont toujours accusés de tous les maux.

Le chemin de fer était vu comme une menace par beaucoup d’observateurs de l’époque. Certes, ils ont vite compris que le train avait un fort potentiel, notamment parce que rouler sur un rail permet de limiter les frottements avec le sol et évite de se retrouver ralenti ou coincé par la boue, comme l’étaient les voitures à cheval.

Du coup, les premiers à se demander à quoi pourrait ressembler un réseau ferré national ont d’abord pensé qu’il fallait doubler les routes avec des rails, tout simplement.

Ensuite, on a admis que le chemin de fer aurait besoin d’une infrastructure en soi, avec ses propres règles, pas d’une copie de l’existant. Cependant, on s’est mis à imaginer des voies en étoile autour de Londres, sur lesquelles circuleraient non pas des trains, mais des véhicules individuels, l’équivalent des diligences.

« Le frein, ce ne sont pas les outils, mais la culture professionnelle des rédactions »

Les premiers wagons aussi sont copiés sur les voitures à cheval, comme si on s’était contenté de les poser sur les rails – c’est différent aux Etats-Unis, où on prenait plutôt le bateau pour couvrir de grandes distances, et où les premiers wagons étaient donc inspirés de ses cabines.

Ce n’est que des années après, en Suisse, qu’on a pensé à installer des fenêtres pour qu’on puisse voir les wagons précédent et suivant, puis à prévoir des corridors pour circuler à bord du train.

Ça peut nous faire rire, mais c’est logique vu ce qu’on savait à l’époque, et c’est sans doute en faisant les mêmes erreurs qu’on perçoit l’évolution des médias aujourd’hui.

Je pense qu’au sein des rédactions, le principal frein à l’innovation, ce ne sont pas les outils, mais la culture professionnelle.

Livrez-vous à un petit exercice : essayez de faire la liste de tout ce qu’on a pu dire de négatif sur Internet – parfois à juste titre d’ailleurs : je travaille au Guardian, qui a révélé l’existence de systèmes de surveillance globalisée.

Vous allez vous rendre compte qu’on a reproché exactement la même chose au chemin de fer à son arrivée ! Ça marche à tous les coups :

  • Le chemin de fer supprime des emplois.
  • Il favorise l’émergence de grandes compagnies centralisées, qui chassent du marché les entreprises de transport de taille modeste.
  • Il est à l’origine d’une uniformisation culturelle : des gens se mettent à vivre dans une région et à travailler dans une autre ; les échanges se multiplient et les identités se diluent.
  • L’art du voyage au long cours se perd, on ne prend plus le temps de se découvrir et de se parler en chemin.
  • De nouvelles formes de criminalité apparaissent.
  • De nouvelles façons de faire la guerre apparaissent.
  • Les épidémies se propagent plus facilement.
  • C’est une façon de voyager qui transforme l’homme, le rend asocial : « Ils voyagent aussi vite que des balles de fusil, et perdent le contrôle de leur vie », estime un auteur de l’époque.
  • La construction des lignes de chemin de fer, des gares et des terminaux a eu un impact considérable sur les territoires concernés.

« Je ne veux pas avoir à lire tout Twitter »

Il y a tout un tas de peurs et de phobies qui sont alors associées au chemin de fer. Victor Hugo explique qu’à cette vitesse, les fleurs ne sont plus des fleurs, mais des tâches de couleurs informes.

Pourtant, les trains de l’époque font du 50 à l’heure ! Mais à l’époque, personne ne s’était jamais déplacé à une telle vitesse, c’est une révolution culturelle. On imagine même construire des murs de bois le long des voies pour éviter un tel stress visuel aux passagers…

Ça me rappelle ce que m’a répondu, un jour, quelqu’un à qui je demandais s’il utilisait Twitter : « Non, parce que je ne veux pas avoir à tout lire. » On ne peut pas tout lire sur Twitter, mais ce n’est pas grave si on ne perçoit pas tous les détails, ça n’empêche pas de saisir ce qu’il s’y passe ; de même qu’en train, on peut profiter d’un paysage sans voir chaque fleur sur bas-côté.

Regardez les articles écrits sur les imprimantes 3D. L’exemple qu’on prend tout le temps, c’est la pièce de rechange qu’on va pouvoir fabriquer dans un magasin en se basant sur l’original. Mais c’est une vision très étroite de ce qui est en fait un bouleversement.

Des médecins peuvent ainsi réaliser une copie en 3D d’un cerveau et ne plus se baser seulement sur des vues en deux dimensions pour établir un diagnostic. Ça, c’est vraiment un usage innovant, pas juste une copie de ce qui se fait déjà.

« Les frères Lumière ne savaient pas quoi faire de leur invention »

C’est la même chose avec les articles écrits par des algoritmes : ces derniers sont utilisés pour produire ce qu’on produit déjà, des compte-rendus sportifs ou des synthèses sur les résultats financiers d’une entreprise, par exemple. Cette nouvelle technologie est utilisée pour faire de l’ancien, c’est déjà beaucoup, mais ça ne se limitera pas à ça.

(Au passage, c’est un sujet qui fait beaucoup réagir quand vous l’évoquez dans une rédaction. Quand vous parlez web et réseaux sociaux, on vous répond : « C’est très bien, embauchez donc des gens pour s’occuper de ça. » Mais quand on dit que des machines pourront les remplacer pour tout un tas de textes, là, ça touche un nerf.)

Les inventeurs eux-mêmes sont parfois les plus mal placés pour imaginer les nouveaux usages. Les frères Lumière ont réussi à filmer les premières scènes, mais ils ne voyaient pas bien l’intérêt, ils se demandaient pourquoi des gens iraient voir dans une salle obscure ce qu’ils pouvaient déjà voir dehors… Et puis quelqu’un a eu l’idée de mettre bout à bout des séquences, de faire du montage, et le cinéma est né.

La bonne question à se poser c’est :  quelle information peut-on produire qui ne l’est pas déjà ?

Et il faut accepter le fait que beaucoup de postes vont être supprimés.

« On n’a pas assez pensé à la transformation du texte »

On a vraiment besoin de plus de journalistes capables de travailler avec le visuel, ils sont très recherchés aujourd’hui. Pourtant, je pense qu’on n’a pas assez pensé à la transformation du texte. Par exemple, quelle est la taille minimum d’un article ?

Une question que doivent se poser les journalistes, c’est si leur production, c’est la bouteille entière ou bien juste le liquide qu’elle contient. Si c’est juste le contenu, alors il peut être consommé partout, pas forcément dans une forme particulière. Mais dans ce cas se posent des problèmes de financement.

La tendance à suivre, selon moi, c’est la personnalisation de l’information. Il y a un potentiel important. Par exemple, si vous n’avez pas lu d’article sur le sport depuis deux ans, ça ne sert à rien de continuer à vous en proposer. Ou alors, si vous venez de Facebook en suivant un lien posté par un ami, on va vous montrer un article différent de celui affiché pour le visiteur venant de Google Actualités, ce qui montre qu’il cherche à s’informer.

Si je suis dans le train, j’ai davantage de temps pour lire, pourquoi ne pas me proposer une version longue ? Le niveau d’éducation peut aussi être pris en compte, si le lecteur a accepté de confier cette information sur lui.

Je sais ce qu’on va reprocher à ces évolutions : le compartimentage de la société, la perte d’une culture et de repères communs, puisque chacun reçoit une information différente. C’est vrai, mais ça permet aussi au plus grand nombre de s’informer, chacun à son niveau.

A vous qui débutez votre carrière, le conseil que je peux vous donner, c’est de toujours partir du principe que votre compas est faussé, qu’il ne vous indique pas la bonne route. Si on vous dit que votre idée est ridicule, c’est bon signe, c’est souvent là que l’innovation survient.

Je pense que cette crise débouchera sur quelque chose de positif. Beaucoup de phénomènes qui étaient latents dans les années précédentes sont en train de s’accélérer, et ça ira ira plus mal avant d’aller mieux, c’est sûr, mais le résultat sera positif.

J’ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros

Il y a quelque temps, je suis tombé sur un entrepreneur français qui partait s’installer en Amérique latine ouvrir des boulangeries-pâtisseries à la française. Il m’avait raconté ses galères et ses bons plans, et montré le logo (plutôt joli) qu’il allait faire imprimer sur ses cartons à gâteaux :

« Je l’ai fait faire en Chine, ça m’a coûté 5 dollars ! En France, ça te coûte des centaines d’euros pour la même chose. »

Je m’étais promis de tester les sites proposant ce genre d’offres un jour, curieux de savoir quel genre de visuel on pouvait obtenir à un tarif si bas. J’ai alors découvert qu’un designer basé au Japon, Sacha Greif, avait déjà réalisé cette expérience et l’avait racontée sur Medium.

Mais le récent conflit entre UberPop et les chauffeurs de taxis m’a incité à passer commande à mon tour. Je me demandais si, comme beaucoup de professions, les graphistes et maquettistes français avaient des soucis à se faire, avec la concurrence d’amateurs et de professionnels du monde entier désormais disponible en quelques clics, grâce à Internet et son « économie du partage ».

Fiverr, pour trouver un freelance pas cher

Comme Greif, je suis passé par Fiverr, qui permet de trouver des freelance pour des travaux de graphisme, mais aussi de traduction, de programmation, de création musicale…

L’interface est simple et efficace, et plutôt que de chercher parmi les portfolios de tous les designers disponibles, j’ai vite choisi de proposer une tâche (un « gig ») en décrivant sommairement ma demande – le nombre de caractères étant limité, je n’ai pu en dire beaucoup sur mon activité :

« J’ai besoin d’un logo pour mon entreprise. Je suis un consultant et un formateur, je travaille dans le secteur des médias et de la communication. Le nom de mon entreprise est “Dans mon labo”. »

Le texte de l'offre publiée sur Fiverr
Le texte de l’offre publiée sur Fiverr

Une fois l’offre postée, il ne vaut mieux pas trop s’éloigner de son ordinateur : en près de deux heures, j’ai reçu près de 27 offres de services, la plupart au prix plancher, 5$.

Un peu perdu dans cette liste, j’ai finalement décidé de passer trois commandes, pour un prix de 5 $, 15 $ et 55 $. Il faut y ajouter 5% de commission pour le site et puis des frais bancaires : au final j’ai donc payé à peu près 5 €, 15 € et 55 € .

Une fois le paiement par carte bleue effectué, les enchérisseurs sont informés et se mettent au travail – mais ils ne sont payés qu’après que le commanditaire a validé le produit fini.

1. Le logo à 55 dollars, créé en Israël

Dans sa présentation, la designer israélienne que j’ai sélectionné explique avoir douze ans d’expérience dans la réalisation de logos, d’animations et de posters.

Elle garantit, comme Lorie, une « positive attitude » dans ces échanges avec les clients – effectivement, de multiples smileys et points d’exclamation émailleront ses messages.

Peu de temps après ma commande, elle me demande « le nom de mon entreprise » et « un petit mot de description ». Mais elle n’attendra pas finalement ma réponse pour livrer la commande dans un ZIP contenant neuf fichiers : trois visuels en trois versions (JPEG, PNG et une sorte de version « extrudée » du plus bel effet).

La première proposition fait un peu penser à l’enseigne d’un LaserGame :

Le premier logo de la designer israélienne
Le premier logo de la designer israélienne

La deuxième est ma préférée, je suis à deux doigts d’acheter le même chapeau pour les visites chez mes clients :

Le deuxième logo de la designer israélienne
Le deuxième logo de la designer israélienne

La dernière piste est très ensoleillée et donne envie de gober plein de comprimés de vitamine C :

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Le troisième logo de la designer israélienne

Dans son message, elle promettait « une surprise » si je validais son travail (ce qui déclenche le versement de la somme due) et lui  donnais la note maximale (5 étoiles) à son travail – ce que j’ai fait, comme pour les deux autres designers. Mais je n’ai jamais rien reçu.

2. Le logo à 15 dollars, créé au Pakistan

« Le rôle d’un design, c’est de présenter votre message au monde. Un bon design le fait aussi simplement et joliment que possible. » C’est  ainsi que se présente le designer pakistanais que j’avais choisi.

Il m’a d’abord envoyé une liste de questions : une description de mon activité, les textes à inclure avec le logo, des couleurs à privilégier… Quelques heures après avoir reçu mes réponses, il m’a envoyé deux visuels.

La première proposition, avec sa plume Sergent-Major, a un charme désuet.

Le premier logo du designer pakistanais.
Le premier logo du designer pakistanais.

Quant à sa deuxième création, je pense l’utiliser en quatrième de couverture de mon premier recueil de poésie.

 

Le deuxième logo du designer pakistanais.
Le deuxième logo du designer pakistanais.

3. Le logo à 5 dollars, créé au Bangladesh

Sur Fiverr, le designer bengali que j’ai sélectionné explique avoir sept ans d’expérience et avoir réalisé « une grande variété de travaux complexes pour des clients de tout type », qui ont tous été « heureux et satisfaits » du travail réalisé.

Les échanges ont été plus compliqués. Après m’avoir lui aussi demandé plus d’informations, il a vite voulu être payé davantage :

« Si vous souhaitez un logo de qualité et original, alors il faut payer au minimum 20 dollars, ce qui correspond à quatre commandes comme celle-ci. Merci donc de passer trois autres commandes. »

J’ai refusé, expliquant que j’avais juste besoin d’un logo. Il m’a relancé :

« Passez-moi juste une autre commande. Je vais faire de mon mieux pour vous, parce que je veux qu’on continue à faire des affaires ensemble. »

Je n’ai pas répondu, et pourtant j’ai fini par recevoir le logo, le lendemain matin. Mais pas sous la forme d’un visuel utilisable, dans un montage photo.

Le montage photo envoyé par le designer bengali.
Le montage photo envoyé par le designer bengali.

Pour obtenir le visuel lui-même, il a fallu que je valide la commande et que je lui donne une note de cinq étoiles. J’ai ensuite reçu un fichier PNG minuscule.

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Le logo finalement envoyé par le designer bengali

Intrigué, je lui ai demandé une version plus grande ou dans un format vectoriel. Je n’ai jamais reçu de réponses.

Beaucoup de copies de logos existants

Le petit bonhomme utilisé par la designer israélienne.
Le petit bonhomme utilisé par la designer israélienne.

Lorsqu’il s’est livré au même exercice, Sacha Greif s’est rapidement rendu compte que les visuels qu’on lui livrait étaient en fait des copies ou des travaux dérivés d’images existantes, parfois récupérées dans une des grandes banques d’images qu’on trouve sur Internet.

C’est aussi le cas en ce qui me concerne : j’ai retrouvé rapidement le petit bonhomme de la créatrice israélienne, mais sans son chapeau. Il a été utilisé à multiples reprises sur le Web.

Même chose pour le groupe de personnages dont elle s’est servi pour sa première proposition.

Une profession pas simple à « uberiser »

« C’est le Lidl du logo », a commenté un ami directeur artistique à qui je parlais des tarifs pratiqués. Comme lui, je pense qu’un logo ne se résume pas à un joli dessin, mais qu’il doit traduire l’esprit d’une organisation, l’incarner dans le monde extérieur.

On peut ajouter que le travail réalisé par un professionnel inclut en général toute l’identité graphique (incluant, par exemple, le choix de couleurs et de typographies), pas seulement le visuel figurant en haut du papier à en-tête.

Au final, le graphisme me semble une profession difficile à « uberiser », en tout cas d’une façon aussi radicale que celle proposée Fivrr – même si ce secteur, comme bien d’autres, compte son lot de précaires qu’on cherche à payer toujours moins cher.

Le contexte de la marque et la relation directe avec le commanditaire  sont des variables trop importantes, sans oublier les codes culturel : par exemple, le stylo plume semble un bon moyen de symboliser le journalisme et les médias au Bangladesh et au Pakistan, ce qui n’est pas le cas en France.

6 phrases sur l’avenir du journalisme pour briller dans les dîners

Je ne parles pas forcément du futur du journalisme, mais quand je le fais, c'est avec des citations trouvées Dans mon labo.
Je ne parle pas souvent du futur du journalisme, mais quand je le fais, c’est avec des citations trouvées Dans mon labo.

Vous n’étiez pas au Festival international de journalisme de Pérouse la semaine dernière, et vous avez bien fait. Il y avait beaucoup trop de conférences intéressantes en même temps, ça rend le choix impossible et on finit la journée avec un super mal de crâne, après avoir subi un tel flot de bonnes idées, de conseils utiles et d’expériences passionnantes.

Et puis c’est totalement gratuit, alors les salles sont bondées, remplies d’étudiants en journalisme et d’activistes sans le sou, merci bien. Quant aux intervenants, c’est bien simple : ils répondent aux  questions, débattent avec le public, sont ouverts aux critiques et accessibles même le soir, au restaurant. Tant de démagogie, c’est fatiguant.

Enfin, j’ai pensé à vous et j’ai fait une petite compilation de phrases que vous pouvez ressortir dans les dîners entre journalistes, pour faire croire que vous y étiez.

1. « Tu sais, si tu chasses les clics, tu finis par publier des chatons »

Comme le blogueur Jeff Jarvis, auteur de cette formule pendant sa keynote, beaucoup d’intervenants ont rappelé que les médias devaient mieux choisir les statistiques à suivre pour bien développer leur site :

« Les métriques doivent être repensées. Les pages vues, les visiteurs uniques, le nombre de likes… tout ça, c’est du passé.

Avec Chartbeat, on peut mesurer le temps passé sur le site, et vendre aux annonceurs du temps d’affichage de leurs publicités [et non un nombre d’affichages, ndlr]. Ça va dans la bonne direction, mais ça aussi, je pense qu’on pourra le truquer.

Il faut aller vers des mesures plus qualitatives, pour savoir si ce que les journalistes font a vraiment de la valeur, comprendre ce qu’ils apportent à la vie des gens. Je ne sais pas comment on peut mesurer ça, mais il faut trouver. »

Même constat pour Stijn Debrouwere, spécialiste des statistiques des sites de médias, dont la conférence était pleine de bons conseils – je l’ai d’ailleurs retranscrite.

2. « Il faut casser les services et travailler en équipe »

D’accord, il y aura toujours des rédacteurs de génie et des enquêteurs hors pair qui bossent en solo, se contentant d’envoyer un fichier Word par e‑mail une fois leur tâche terminée.

Mais pour tous les autres, être capable de bien travailler dans des équipes mêlant des métiers de plus en plus variés devient un impératif.

Aron Pilhofer a ainsi raconté qu’à son arrivée à la tête du numérique au Guardian, il s’est ainsi empressé de créer un pôle « Visuals », regroupant des compétences en photo, en illustration, en design, en multimedia… Une idée empruntée à la NPR, le réseau américain de radios publiques :

« Avant ça, ces métiers étaient plus ou moins dans des services séparés. Ça n’a pas de sens : quand vous montez un projet numérique, ça implique forcément du texte, des images, de la vidéo, des graphiques, des animations…

Vous ne devriez pas avoir à négocier entre les différents services pour former votre équipe. C’est quelque chose qui était vraiment difficile pour moi quand j’étais au New York Times et dans d’autres rédactions.

Ça oblige à mener des négociations dignes de pourparlers à ONU, en allant voir chaque responsable pour le convaincre de l’intérêt de votre idée. Ça prend un temps fou, ça se termine avec une réunion avec quarante personnes dans la pièce, et ce n’est pas comme ça qu’on fait du bon journalisme. »

Qu’ils le veuillent ou non, les médias ne sont plus seulement des fournisseurs de contenu, mais aussi des créateurs de technologie. Et seuls ceux qui peuvent monter rapidement des équipes pluridisciplinaires seront à même de mener des projets rédactionnels ambitieux sans les voir s’enliser.

3. « L’Afrique mérite mieux que le journalisme-hélicoptère »

Trouver des solutions africaines aux problèmes africains : l’adage vaut aussi pour les médias, à en croire le journaliste et poète Tolu Ogunlesi. Basé à Lagos, au Nigéria, il en a assez de voir des reporters de télés occidentales débarquer dans un pays pour couvrir une crise pendant quelques heures, avant de repartir pour toujours :

« J’appelle ça le “journalisme-hélicoptère”. Les médias locaux, eux, sont là sur la durée. Depuis quelques années, les journalistes africains ont gagné en confiance, assez pour raconter leur propre expérience. Les réseaux sociaux ont permis à leur voix de porter davantage.

Avant, CNN ou la BBC étaient les seuls à avoir les moyens de dominer la conversation mondiale, maintenant on a des chaines comme Channels au Nigeria qui a très bien traité les récentes élections.

Quand vous parlez de l’endroit dans lequel vous vivez, où se trouve votre maison, vous pouvez vous permettre d’aller plus loin, d’être plus nuancé. »

4. « Recruter un abonné pour son journal, ce n’est pas seulement lui prendre son argent »

Fini le temps où on pouvait faire signer un chèque ou un formulaire de prélèvement automatique à son lecteur et puis partir en courant, en espérant qu’il reste fidèle pour les dix ou vingt ans à venir. C’est ce qu’a rappelé Jeff Jarvis dans sa keynote :

« Les gens veulent désormais qu’il y ait une vraie collaboration entre leurs médias et eux. Un sentiment d’appartenance, un engagement à faire des choses ensemble. […]

Il faut trouver de nouvelles façons de contribuer, pas seulement en envoyant de l’argent, mais en faisant un effort, en proposant du contenu, de l’aide pour le marketing, des lignes de code, bref tout ce qui peut aider dans notre mission d’informer.

Et en retour, il faut trouver comment récompenser cette participation, et ça ne peut pas être seulement l’accès à un contenu. Ça peut être une invitation à un événement, mais aussi une forme de reconnaissance sociale. »

Alors que beaucoup de sites d’actualité peinent à définir ou rendre attractives leurs offres d’abonnement, c’est peut-être cherchant des « membres actifs » ou des « soutiens » plutôt que de simples « abonnés » qu’ils réussiront. La méthode a en tout cas réussi pour Mediapart.

5. « Le nouveau datajournalisme, c’est le journalisme de capteurs »

On pourrait penser que les cigales sont toujours dans le coin, qu’il suffit de s’installer dehors pour l’apéro pour commencer à les entendre. Mais il en existe un genre particulier, la magicicada Brood II, qui ne débarque sur la côte est des Etats-Unis qu’une fois tous les dix-sept ans.

Pour prévoir le moment exact de son arrivée et ne pas la rater, l’émission Radiolab a lancé début 2013 le projet Cicada Tracker, et proposé aux internautes motivés d’assembler un boîtier électronique capable de mesurer la température à 20 centimètres sous la surface du sol, grâce à un capteur de température.

Des diodes lumineuses indiquent quand la température atteint 17,8 °C, soit juste avant le réveil des cigales mâles, qui rejoignent la surface et commencent à faire du boucan pour attirer les femelles. Les données étaient ensuite centralisées pour dresser des cartes nationales.

Si vous avez envie de tester ça dans votre garage afin de vous préparer pour la vague de 2030, le fabricant Arduino propose toute une gamme de supports qu’on branche à son ordinateur et sur lesquels se montent des capteurs de température, de son, de vent, d’humidité, d’accélération, de lumière, de proximité, de rythme cardiaque, de tension artérielle…

Tous ces produits (présentés par la creative technologist Linda Sandvik à Pérouse) sont loins d’être nouveaux mais, un peu comme les drones, ils ouvrent de nouveaux horizons aux journalistes et aux activistes bidouilleurs. Comme ces étudiants chinois qui ont fait voler des cerf-volants pour mesurer la pollution dans  le ciel chinois.

6. « Aujourd’hui, tu peux plus te contenter d’être un observateur, il faut t’engager »

Le journaliste est de moins en moins vu comme un pur esprit, observateur objectif de la marche du monde mais ne prenant jamais part aux événements qui le secouent.

Ce mythe-là a vécu, comme l’a prouvé la récente initiative du Guardian, qui veut faire pression sur la fondation Bill et Melinda Gates et d’autres fonds d’investissement afin qu’ils n’investissent plus dans les entreprises exploitant les énergies fossiles, afin de lutter contre le réchauffement climatique.

Une vraie libération pour Aron Pilhofer :

« Après vingt ans de journalisme, je m’étais toujours arrêté devant cette porte-là. On est là pour raconter ce qui se passe, ce qui ne va pas, ce qu’il faudrait faire, mais on ne s’empare pas d’un combat. Et ça, c’est vraiment frustrant à force.

Ce serait impossible de faire ça au New York Times, ils ne veulent vraiment pas aller vers un « journalisme de solutions. »

Beaucoup de projets reposent aussi sur la collaboration avec des organisations non gouvernementales (ONG) ou des groupes d’activistes, comme le lancement de la revue Alter-mondes, en France.

Pourquoi les sites d’actu se servent mal de leurs stats, et comment ça peut changer

La salle de contrôle des vols spatiaux de la Nasa en 2005 (Nasa).
La salle de contrôle des vols spatiaux de la Nasa en 2005 (Nasa).

Ça fait partie de ces conférences où l’on se surprend à applaudir et à encourager mentalement l’intervenant pendant son exposé, tant ce qu’il dit paraît pertinent.

Stijn Debrouwere, spécialiste des statistiques des sites de médias, parlait jeudi au Festival international de journalisme de Pérouse. Voici une retranscription que j’espère fidèle, mille excuses d’avance si j’ai déformé un propos ou raté une idée importante

Stijn Debouwere. Je travaille sur les statistiques des sites d’information depuis quatre à cinq ans, j’ai commencé dans des médias locaux (télévisions et quotidien), ensuite j’ai rejoint le service d’analyse des données du Guardian. Récemment, j’ai réalisé une mission pour le Tow Center  sur ces sujets.

J’ai pu voir des statistiques de beaucoup d’entreprises différentes, et je me suis aperçu que les mêmes problèmes apparaissent un peu partout.

Quand on parle des statistiques d’un site, bien souvent l’image mentale qui se forme est celle d’une salle de contrôle sophistiquée, comme celle de la Nasa à Houston, où chaque employé a plein de moniteurs différents.

Travailler de cette façon a bien marché pour la Nasa : dans le cas d’Apollo 13, c’est même ce qui a permis de ramener les astronautes sur Terre malgré les défaillances, grâce à toutes les données à disposition que les ingénieurs ont pu analyser pour déterminer la marche à suivre.

Ça peut aussi marcher dans des start-ups ou des entreprises centrées sur les nouvelles technologies, on voit qu’elles réussissent à lever des fonds ou réaliser un bon chiffre d’affaires en utilisant correctement les indicateurs dont elles disposent.

Mais ça ne marche pas aussi bien pour les médias. On voudrait des outils simples, objectifs et qui aident à la décision, et ce qu’on a bien souvent, c’est du « bruit », des fausses pistes et un miroir aux vanités.

Et quand on utilise mal les statistiques, ça peut avoir des conséquences néfastes, comme ces posts sur Facebook où on « optimise » les titres pour chasser les clics, avec des formules du type « vous n’allez pas croire ce qui arrive à ce chat après ça ».

Selon le consultant américain Peter Drucker, la meilleure façon de supprimer toute perception est d’inonder les sens avec des stimuli. Ça veut dire que les services que vous utilisez doivent être configurés pour vous donner uniquement l’information que vous souhaitez avoir. Sinon, vous ne pourrez rien faire.

Dans les rédactions aujourd’hui, les métriques se sont peu à peu accumulées : Google Analytics, Facebook Insights, Twitter Analytics… Ce sont de bons outils, mais on se retrouve avec des dizaines de tableaux de bord différents, tous mis à jour constamment.

Il faut se poser des questions de base. Pourquoi est-ce qu’on regarde des stats ? Parce qu’on veut pouvoir en tirer des conclusions. Mais en réalité, peu de rédactions sont capables de réagir immédiatement à une donnée, par exemple faire un article quand un sujet est en train de buzzer.

Je croise des journalistes très accros à Chartbeat [service de statistiques sur la fréquentation de son site mesurées en temps réel, ndlr], il faudrait leur passer sur le corps pour leur enlever ça. Mais quand je leur demande à quoi ça leur sert vraiment, ils ne savent pas trop quoi répondre.

Et vous avez sûrement déjà assisté à une réunion où quelqu’un débarque avec une grande idée, un changement à faire sur le site, en ayant au préalable sélectionné précisément LA donnée qui va dans son sens, en ignorant tout le reste.

Sans parler des biais qui peuvent se glisser. Il y a quelques années, YouTube a fait un gros effort pour optimiser les pages, et accélérer le chargement des vidéos. Quand ils ont mis ces changements en production, ils se sont rendus comptes que les métriques allaient dans le mauvais sens, qu’en fait le temps de chargement des vidéos avait tendance à augmenter.

C’est une donnée cruciale pour eux, donc ils avaient un vrai problème. En analysant davantage, ils se sont aperçus qu’ils avaient tellement bien travaillé que des internautes avec des connexions lentes ou de vieux ordinateurs s’étaient mis à regarder des vidéos, alors qu’avant ils ne pouvaient pas du tout le faire.

Et ce sont ces nouveaux utilisateurs qui faisaient plonger les statistiques, parce que les vidéos mettaient beaucoup de temps à se charger pour eux – mais au moins, ils pouvaient les voir. Les mêmes données qui les ont induits en erreur leur ont permis de comprendre vraiment ce qui se passait, en les examinant de plus près.

Sachant tout ça, qu’est-ce qu’on peut faire pour mieux travailler les statistiques ?

1. Avant de regarder vos statistiques, regardez votre site

D’abord, il faut garder en tête qu’il y a plein de changements possibles sans même avoir à les consulter, il suffit d’ouvrir les yeux.

On sait par exemple que les newsletters sont une façon de gagner du trafic et d’avoir des lecteurs plus fidèles. Regarder votre site : combien de temps vous faut-il pour vous inscrire à la newsletter ?

Même remarque pour le placement des boutons de partage des réseaux sociaux : est-ce qu’ils sont accessibles, est-ce qu’ils sont assez visibles ? Ce sont des choses très simples à corriger.

Un autre conseil que je donne, c’est d’avoir une check-list à remplir avant toute publication d’un contenu.

Je m’aperçois que dans beaucoup de sites, il y a toute une partie du contenu qui n’est jamais mis en avant nulle part, ni sur la page d’accueil, ni sur les réseaux sociaux. Il faut passer par une sous-sous-rubrique pour y accéder. Même leur auteur ne tweete pas un lien vers son article une fois publié !

Il faut avoir une stratégie interne pour chaque publication, par exemple programmer des tweets avec outils comme Buffer pour couvrir les différents fuseaux horaires. Vérifier que l’article comporte bien des liens externes et internes, c’est aussi important, et c’est le genre de choses qu’on peut mettre dans une check-list. Vous voyez, il y a zéro technologie en jeu ici, juste du bon sens.

2. Ne vous contentez pas des valeurs proposées par défaut

Ensuite, il faut mesurer les bonnes choses. Trop souvent, on se contente des métriques qui sont proposées par défaut. Si Google Analytics vous propose trois mesures quand on charge la page (par exemple « sessions », « utilisateurs » et « pages vue »), ça ne veut pas forcément dire que ce sont ces trois métriques-là que vous devez surveiller.

Au début, il était beaucoup question de pages vues, ensuite de « reach », après d’engagement. Je me souviens qu’un type a publié une tribune un jour sur Medium pour expliquer qu’il fallait vraiment regarder le temps passé sur le site, que c’était ça l’important.

Des clients ont commencé à m’appeler et à me dire qu’ils voulaient faire pareil, et je leur ai dit : « Vous allez vraiment changer complètement de stratégie, juste parce qu’un type a écrit ça sur Medium ? »

3. Regardez les ratios plutôt que les totaux

Il faut s’intéresser davantage aux ratios qu’aux valeurs absolues. Le nombre de pages vues, par exemple, ça ne m’intéresse pas forcément si je le prends isolément. En revanche, si je compare avec le nombre d’articles publiés dans la journée, ça peut devenir intéressant.

Si le nombre de pages vues aujourd’hui est le double de celui d’hier et que le nombre d’articles publiés a doublé aussi, ce n’est pas une bonne nouvelle, ça veut dire qu’on n’a pas amélioré la visibilité de chaque contenu. Regarder le nombre de pages vues par auteur, ça peut être bien aussi.

Des rédacteurs en chef me disent : « On ne publie pas beaucoup le week-end parce qu’on n’a pas beaucoup de visiteurs le week-end. » Mais en fait, c’est parce qu’ils publient peu le week-end qu’ils n’ont pas beaucoup de trafic le week-end – en tout cas, c’est une hypothèse que je ferais…

Si on regarde le nombre de pages vues par article, à chaque heure du jour ou bien pour chaque jour de la semaine, on peut sortir de ce type de problème d’œuf et de poule.

4. Suivez moins d’indicateurs mais suivez-les mieux

Il faut aussi réduire le nombre de métriques surveillées. Se concentrer sur la fidélité des lecteurs par exemple, c’est un bon réflexe, mais ça peut vous mettre dans des situations surprenantes. Mettons qu’un de vos articles devienne viral : ça va faire chuter vos indicateurs de  fidélité, parce que vous allez attirer soudain des gens qui ne viendront qu’une fois chez vous, pour un seul contenu.

Ce que je préfère observer, c’est l’évolution des frequent users, les lecteurs réguliers, une notion utilisée par les entreprises technologiques : par exemple, on regarde l’évolution de ceux qui ont passé au moins dix sessions dans les trois derniers jours. Et là, on se rend compte que c’est une courbe beaucoup plus stable, les pics de trafic sont gommés.

Quand Facebook s’est lancé, on ne pouvait s’y enregistrer qu’avec e‑mail hébergé par une série d’universités américaines. Ça faisait donc très peu d’utilisateurs en valeur absolue. Mais les fondateurs ont senti qu’ils tenaient un service intéressant quand ils se sont aperçus que les gens restaient très longtemps quand ils venaient.

Dans les rédactions, on ne mesure pas assez la qualité des contenus. Une expérience simple à réaliser, c’est de demander aux journalistes de donner une note de 1 à 10 au contenu qu’il vient de publier. On peut demander aux lecteurs de le faire aussi. Au final, cette statistique obtenue de façon artisanale est aussi importante que les chiffres de Google Analytics.

5. Cherchez un bon compromis plutôt qu’un objectif isolé

Plutôt que des cibles ou des objectifs, il faut chercher des sweet spots, de bons compromis. « Surperformer » peut être aussi mauvais pour un site que « sous-performer ».

Mettons que vous vouliez absolument multiplier le nombre de contenus en ligne. Vous allez vous organiser pour que vos auteurs publient 50 articles chaque semaine. Votre trafic va augmenter, OK, ça peut sembler super. Mais la qualité de ce qui est produit va plonger, et si vous ne la mesurez pas, vous ne le saurez jamais.

Du coup on va plutôt se dire : peut-être qu’on peut réduire un peu la longueur des articles, ce qui nous permettrait d’en publier un peu plus, sans que le lecteur ne se sente lésé.

J’entends dire : « Notre objectif est d’attirer un million de visiteurs en plus en provenance des réseaux sociaux. » OK, mais quel effet ça va avoir sur les autres métriques ?

Sur le Web, on s’est vite aperçu qu’il n’y avait pas de corrélation entre la longueur d’un article et le nombre de visites qu’il reçoit. Ce n’est pas parce que le texte est plus long qu’il sera plus vu.

Du coup, certains ont dit : il faut faire court, pour faire plus de pages vues. D’accord, mais on en fait quoi ? La plupart des sites ont déjà trop d’inventaire, les campagnes publicitaires ne sont pas assez nombreuses pour remplir tous les emplacements.

Si vous ne le monétisez pas, ce trafic supplémentaire, c’est un trafic-poubelle : en vérité, vous n’en voulez pas ; ce que vous voulez, ce sont des lecteurs qui reviennent souvent.

Les statistiques doivent être au service d’un projet, ce ne sont pas des buts en soit.

Quand je parle à des gens des entreprises de technologie, ils se demandent comment utiliser leurs statistiques pour améliorer le service qu’ils rendent aux internautes ? Mais côté médias, la question qu’on me pose c’est : quelle est la statistique que je dois cibler ? Ils ne veulent pas faire grandir le site, le rendre meilleur. Juste faire monter des chiffres.

6. Faites des tests sur la durée avant de décider

Il ne faut pas hésiter à faire des expériences, comme celle des articles evergreen de Vox : ils ont pris des contenus forts publiés plusieurs mois avant, ils les ont mis à jour et republié. Et ils ont gagné beaucoup de pages vues, pour des contenus qui étaient enterrés dans les archives. Certains lecteurs les avaient ratés, d’autres les avaient oubliés, dans tous les cas ils étaient contents de les lire.

Slate aussi tente des choses : par exemple, ils demandent à leur rédacteur de faire du  trafic whoring pendant toute une journée ; chasser les clics avec un maximum de contenus très attractifs. En échange, ils vont avoir deux ou trois jours sans contraintes, pour creuser un sujet.

Même chose avec Quartz, et leur théorie sur les contenus de longueur moyenne, qu’il faut éviter de publier, pour privilégier les articles soit plus courts, soit plus longs [la Quartz curve, ndlr].

Il faut cependant laisser ces expériences vivre assez longtemps. Un seul article sur une nouvelle thématique ne suffit pas à savoir s’il faut lancer une nouvelle rubrique, pourtant je l’ai vu faire aussi.

D’abord parce que Google Analytics pratique l’échantillonnage : les calculs ne sont pas forcément fait sur l’ensemble des stats, mais sur un échantillon, pour que ça aille plus vite. Du coup un changement ponctuel aura moins d’impact.

Mais surtout parce qu’il y a un tas de facteurs extérieurs qui peuvent influer énormément, comme l’auteur de l’article ou l’heure de publication.

7. Montrez à vos journalistes des mesures qui ont du sens pour eux

Une bonne pratique, c’est aussi de proposer la bonne métrique à la bonne personne. Souvent, la frustration ressentie face aux statistiques vient du fait qu’on n’a pas vraiment de prise sur les chiffres qu’on vous donne.

Par exemple, améliorer la visibilité de l’abonnement à la newsletter, c’est un objectif intéressant pour designer, mais pas pour le journaliste, qui ne peut rien faire pour changer ça.

Pour un journaliste, savoir le nombre de visites que son article a fait, ça n’est pas très utile finalement, puisqu’il a déjà terminé son travail.

Même chose si vous mettez un grand panneau lumineux dans la rédaction avec des informations du type : « les pages vues ont baissé de 5% par rapport à hier ». Le journaliste va se dire : « OK, mais qu’est-ce que je peux y faire ‚à mon niveau ? » Au final, ça aura des effets néfastes sur sa motivation.

8. Analysez vous-même vos données

Quand vous regardez vos statistiques, sachez que le bouton « Exporter » est votre meilleur ami. Récupérer les données brutes et les analyse vous-mêmes dans un tableur de type Excel, ça va vous permettre de creuser davantage et de garder le plus pertinent.

Au final, les stats en temps réel ont leur intérêt, c’est cool à regarder, ça donne l’impression que vous êtes dans la salle de contrôle de la Nasa. Mais régler des petits problèmes sur le site, cocher des cases sur une check-list, c’est peut-être moins prestigieux, cependant c’est ça  qui fait la différence. Et pour les médias il y a de gros gains à faire avec un minimum d’efforts, dans certains cas il suffit de se baisser pour les ramasser.

L’économiste Robert Solow a décrit dans les années 70 un paradoxe : les entreprises disposaient d’ordinateurs, de tableurs (c’était nouveau à l’époque), mais pourtant la productivité ne s’est pas vraiment améliorée à cette période.

C’est un peu pareil pour les médias : les statistiques ont le potentiel de vraiment améliorer les choses, mais ce n’est pas le cas pour le moment. D’où l’intérêt d’écouter Peter Drucker, et d’arrêter de se laisser submerger par elles.

Mis à jour le 17/4 à 21h30. Quelques précisions et menus changements grâce aux retours du conférencier que j’ai reçus par e‑mail. Une erreur corrigée : c’est YouTube et non Facebook qui a eu des stats surprenantes après avoir optimisé le chargement des vidéos.

Stijn Debrouwere a eu la gentillesse d’y ajouter une série de liens pour ceux qui souhaitent prolonger leur réflexion sur le sujet :

Pourquoi il faut des licornes dans les rédactions (et ce qu’on peut faire avec)

Une licorne sur un laptop (Yosuke Muroya/Flickr/CC-NC)
Une licorne sur un laptop (Yosuke Muroya/Flickr/CC-NC)

A en croire le joli panel réuni à l’hôtel Brufani lors de la première journée du Festival international de journalisme de Pérouse, les rédactions doivent d’urgence embaucher des « licornes » afin de mieux innover sur les supports numériques et de réussir leur mutation.

Ces « licornes », ce sont les journalistes ayant des compétences de développement ou, inversement, des développeurs aimant travailler sur l’actualité. Comme l’animal mythologique, ces profils sont rares et donc précieux au sein d’un effectif.

C’est le constat dressé par les intervenants de ce débat :

Voici une retranscription de ce qui s’est raconté, modulo quelques ellipses et reformulations de mon fait – d’avance, mille excuses si j’ai déformé un propos ou raté une idée importante.

Jacqui Maher. Je suis du Queens, à New York, et quand j’étais jeune je voulais être poétesse. Heureusement pour moi, avant d’entrer à la la fac, j’ai commencé à traîner avec un groupe de hackers. J’avais 15 ans, et c’est un âge où on trouve ce type de personnes plutôt cool, mais j’aimais aussi leurs idées et leur façon de voir le monde.

Vers 1999, la Hearst Corporation a lancé un « studio interactif » que j’ai rejoins. J’ai notamment fait un CMS [content managing system, service qui permet de gérer les contenus publiés par un site web, ndlr] pour Popular Mechanics [une revue scientifique américaine, ndlr] mais aussi des quiz pour Cosmopolitan.

« Je suis passée par Friendster en Californie et un hôpital au Malawi »

Il était un peu trop tôt pour tout ça, et le studio a fini par fermer. J’ai travaillé un temps en Californie, pour des start-ups comme Friendster, un réseau social que les plus jeunes d’entre vous ne connaissent sans doute pas. J’ai trouvé intéressant de voir comment on pouvait mettre au point une technologie pour résoudre un problème, en l’occurence permettre aux gens de retrouver leurs amis.

J’ai ensuite voyagé en Afrique, j’ai travaillé pour une ONG de lutte contre le sida au Malawi. J’ai fini par rentrer à New York. Un ami avait trouvé un job dans une nouvelle équipe que le New York Times constituait. J’ai passé un entretien et j’ai fini pas être embauchée un an plus tard.

J’y ai notamment travaillé sur un outil mis en ligne après le tremblement de terre à Haïti pour aider les gens qui cherchaient des nouvelles de leur proches, en collaboration avec Google et la Croix Rouge.

J’ai globalement trouvé le travail au sein d’une rédaction très gratifiant, comparé à ce qu’on fait dans une start-up ou une ONG.

Mais j’ai fini par déménager à Londres pour rejoindre mon compagnon et travailler pour la BBC. Je travaille notamment sur la couverture des élections et sur des outils de narration interactive.

Aron Pilhofer. J’ai un parcours très classique, avant de commencer à m’intéresser aux données, au datajournalisme. C’est une spécialité qui peut se décliner de beaucoup de façons, et ce n’est pas forcément quelque chose de si nouveau.

Ce qui est de nouveau en revanche, c’est la capacité qu’on a désormais d’utiliser les données pour créer des récits qui ont une forme non traditionnelle. On est en train de voir apparaître de nouveaux formats.

Prenez la mode pour l’explanatory journalism [le journalisme pédagogique, que pratiquent aussi les Décodeurs du Monde, ndlr] : pour moi, les meilleurs dans ce domaine, c’est la rubrique Upshot du New York Times, parce qu’ils ne se contentent pas du texte mais travaillent aussi beaucoup sur le visuel.

« Ce n’est pas compliqué, mais sans licorne vous ne pourrez pas le faire »

Mais pour faire ça, il faut des journalistes ayant des compétences en développement, sinon, vous serez incapables de produire ce genre de contenu.

Prenez le projet Immigrants in Their Own Words, du Guardian. On a voulu que les immigrants prennent eux-mêmes la parole, alors que leur histoire est toujours racontée par d’autres.

Le résultat est plutôt basique : des textes et des images, le tout créé entièrement par les lecteurs du Guardian eux-mêmes.

Ça a l’air simple, mais ça met en œuvre pas mal de choses en coulisses. Il vous faut un CMS qui va gérer le cas où il y a une image avec le texte et celui où il n’y en a pas, mais aussi gérer le cas où l’image est au format portrait et celui où elle au format paysage.

Et tant qu’à faire, vous voulez que tout ça soit dans un gabarit qu’on puisse réutiliser plus tard.

Au final, rien de très compliqué, mais si vous n’avez pas une licorne dans votre rédaction, vous ne pourrez pas le faire.

La page qu’on a mise en ligne pour suivre tous les sondages publiés avant les élections en Grande-Bretagne vise à aider nos lecteurs à aborder une problématique qui peut sembler simple, mais qui est infiniment complexe si on va dans le détail.

On produit des synthèses graphiques de toutes les études d’opinion et de leur évolution dans le temps, et on montre les basculements qui sont en train de s’opérer circonscription par circonscription.

C’est un problème technologique, c’est un problème de design, et c’est un problème de journalisme.

Jacqui Maher. J’ai travaillé pour un journal papier et je travaille désormais pour une radio. Dans les deux cas, le fait d’avoir à s’occuper d’un autre mode de diffusion que le numérique est un handicap, bien sûr.

Mais à la BBC je trouve les gens globalement plus à l’aise avec la technologie, notamment parce que c’est une structure où les ingénieurs ont toujours joué un rôle important, au fil des innovations de la radio et de la télévision.

John Crowley.  Il y a un vrai changement en cours, on est en train de passer d’un traitement de l’information principalement centré sur le texte à quelque chose davantage fondé sur le visuel et les interactions.

La BBC a publié Syrian Journey, une sorte de jeu plaçant l’internaute dans la peau d’un réfugié syrien tentant de rejoindre l’Europe – dans beaucoup de cas, le voyage se termine par la mort.

Elle a été critiquée, certains ont trouvé malsain le fait de prendre une actualité tragique pour en faire quelque chose de ludique. L’idée que dans l’avenir, l’actualité sera jouée plutôt qu’elle sera lue peut être difficile à accepter pour beaucoup d’entre nous.

Pourtant, le jeu vidéo est pratiqué par une part grandissante de la population. Et désormais, c’est le principal concurrent des médias, puisqu’on peut consacrer son temps passé dans le métro le matin à l’un ou à l’autre, sur son smartphone.

« Hé, mon article est prêt, tu peux ajouter une illustration ? » Ben non.

Pour produire ce type de contenus, là encore, il faudra des licornes.

Mais il faut savoir travailler avec elles. Par exemple, ce qui ne marche pas, c’est de produire un article et ensuite de leur demander : « Hé, tu peux pas ajouter une illustration ? » Il faut les associer dès le départ au travail sur l’article.

Il faut aussi que les licornes apprennent à mieux communiquer sur leur travail. Par exemple, j’ai demandé à nos employés qui travaillent sur le visuel partout dans le monde d’envoyer un e‑mail à l’équipe à chaque fois qu’elles mettaient quelque chose en ligne, pour expliquer ce qui a été fait et comment ça a été fait.

Le Wall Street Journal embauche des développeurs, mais il y a encore parfois un sentiment que ce sont des personnes extérieures à la rédaction, qu’il y a « eux » et qu’il y a « nous ».

Ça me rappelle ce que j’ai vécu il y a quelques années, au Daily Telegraph, quand la direction avait fait venir « quelqu’un d’Internet » au sein de la rédaction papier. Certains de ses membres avaient dit : « Mais qu’est-ce que “quelqu’un d’Internet” peut bien nous apprendre ? »

Encore aujourd’hui, la production de datavisualisations ne colle pas toujours au mode de fonctionnement d’une rédaction, notamment au niveau des critères d’évaluation : pour un rédacteur classique, être un bon journaliste c’est écrire bien, sortir des scoops. C’est aussi cette culture qui est en train de changer.

J’ai travaillé pendant six mois sur 100 Years Legacies, collection de cent histoires sur la Première Guerre mondiale. Il y a assez de textes pour un petit livre, mais on ne peut pas le deviner sur la page d’accueil, c’est très fragmenté. On utilise dedans plein de petits modules interactifs, et chaque histoire peut être partagée séparément sur les réseaux sociaux.

On y a passé six mois et on a voulu capitaliser sur ce travail, du coup on a repris ce format après la mort de Robin Williams, pour multiplier les angles sur cet acteur.

« Des outils pour l’équipe, pas seulement des contenus pour les lecteurs »

Enfin, nos licornes ne produisent pas que des choses destinées au lecteur, mais aussi des outils pour l’équipe, par exemple un petit module qui permet de générer une carte de situation en quelques secondes.

Jacqui Maher.  C’est variable mais c’est une grosse partie de mon travail en ce moment. Par exemple, je trouve ça motivant de travailler sur des outils destinés aux journalistes d’investigation, il y a beaucoup à faire dans ce domaine.

J’aime ce qu’on peut faire avec le code, mais je n’aime pas l’utiliser sans avoir un but concret, juste pour optimiser un algorithme par exemple. Pour nos besoins, pas besoin d’être dans la programmation hardcore.

John Crowley. Pour filer la métaphore avec la licorne, je dirais qu’il ne faut pas essayer d’attraper un profil de ce type, plutôt le laisser venir.

Ce ne sont pas des gens qui veulent un boulot classique, chaque jour de 9 heures à 18 heures. Ils veulent changer les choses. Il faut aussi qu’ils tiennent bien la pression, parfois un développement doit être fait dans la journée, il faut avoir une dose de réflexes journalistiques.

Jacqui Maher.  C’est vrai que les deadline sont plus dures à gérer dans les rédactions que dans les entreprises technologiques comme Google, même si là-bas aussi il y a des délais à tenir.

[…]

Aron Pilhofer.  Le New York Times ne met pas souvent ses productions en open source parce que la plupart du temps, ce qui est produit n’a pas les caractéristiques d’un projet open source, ce n’est pas quelque chose que d’autres peuvent facilement décliner.

« L’open source, la règle au Guardian, l’exception au New York Times »

Le Guardian a une approche différente, à cause de la volonté affichée pratiquer l’open journalism : on peut dire qu’il pratique l’ouverture par défaut, alors que pour le New York Times ce sera l’exception.

Ce n’est pas une critique, d’ailleurs certains projets que le Guardian met sur Github [plateforme permettant de publier un programme et de le faire évoluer, ndlr] ne sont jamais utilisés par quelqu’un d’extérieur au Guardian.

Cela dit, je me rends compte grâce à cette conférence qu’on travaille sur un outil de cartographie simplifié, en même temps que le Wall Street Journal et se concerter, c’est un peu idiot.

[…]

John Crowley. C’est vrai que notre façon de travailler peut sembler difficilement durable d’un point de vue économique, d’autant que certains projets, comme celui qu’on a fait sur les archives de la Premiere League [le championnat de foot anglais, ndlr], n’ont pas marché.

Le jour où on a lancé 100 Years Legacies, je peux vous dire que j’ai serré les fesses, mais heureusement on a fait 3 millions de pages vues avec…

Aron Pilhofer.  C’est un vrai problème. A la base, il faut qu’il y ait une envie personnelle, et un soutien de la hiérarchie. Et après, il faut des gens pour le faire.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a aujourd’hui un nombre incroyable d’endroits où se former ou apprendre des outils. D’ailleurs, ces derniers se modernisent et sont plus faciles à prendre en main.

Je me souviens de l’époque où je recevais un coup de fil à minuit : « Hé, le truc qu’on a publié est planté, on fait quoi ? » Ce n’est plus comme ça aujourd’hui.

Nous, on travaille beaucoup avec Google Sheets [des feuilles de calcul qui contiennent les textes et nombres utilisés dans une infographie ou un mini-site, ndlr] pour gérer le contenu de nos productions, ça évite une complexité supplémentaire à gérer.

Beaucoup de gens avec qui je bosse viennent du service informatique, ils aiment travailler avec la rédaction sur des projets qui ont plus de sens pour eux que chercher à optimiser le chargement d’une partie du site.

Allez voir des gens avec des autocollants sur leur laptop qui parlent de trucs comme l’Open Knowledge Foundation [association militant pour la culture libre et l’open data, ndlr]. Je suis sérieux ! Allez dans les conventions, partez à la rencontre de ces univers.

« Si votre rédacteur en chef est enthousiaste, il trouvera un peu d’argent »

Si vous arrivez à enthousiasmer votre rédacteur en chef, ça marchera, il trouvera un peu d’argent coincé au fond d’un fauteuil pour prendre un freelance. Ensuite, cet enthousiasme se diffusera à l’ensemble de la rédaction, et puis vous avancerez pas à pas.

La chance que vous avez, c’est qu’il y a énormément de choses disponibles en open source : chaque ligne de code produite par Pro Publica [fondation américain finançant des investigations d’intérêt public, ndlr] ou encore les outils du Knightlab [laboratoire de la Knight Foundation, basée dans l’université Northwestern, ndlr].

[…]

Aron Pilhofer. Je ne connais pas la taille du marché du travail pour les licornes… Mais on ne leur demande pas que de faire des petits graphiques, l’idée c’est d’innover avec eux, d’affronter les évolutions en cours, y compris du point de vue du business model.

Je sais cependant que ce marché est infiniment plus grand qu’il y a dix ans,et qu’il va continuer à grandir très vite. Aujourd’hui, je serais incapable nommer toutes les équipes qui travaillent comme nous aux Etats-Unis, alors qu’à l’époque, on les comptait sur les doigts d’une seule main.

[…]

Aron Pilhofer. Mon obsession du moment, c’est de donner une meilleure visibilité aux contenus que nous produisons

Quand on travaille longtemps sur un projet, on est déçus si l’équipe chargée de composer la page d’accueil ne l’aime pas trop et le vire rapidement. Dès le début du projet, il faut se poser la question : « Est-ce que nos lecteurs vont aimer ? Est-ce que les éditeurs de la page d’accueil vont le mettre en valeur ? » Si la réponse est « peut-être », alors il y a un problème.

Il faut aussi se focaliser sur les autres accès possibles au contenu. Par exemple, notre équipe chargée des réseaux sociaux nous a fait refaire entièrement le sondage qu’on publie chaque année avant les Oscars. D’un année sur l’autre, l’audience s’est retrouvée décuplée ! Même chose quand on l’a rendu accessible sur les mobiles.

« Même un journaliste old school peut s’enthousiasmer pour une datavisualisation »

Il faut que tout le monde monte à bord, que ça fasse partie du traitement global de l’actualité proposé par le média, et que ce ne soit pas la dernière roue du carrosse. Sinon, c’est mort.

Mais on se rend compte que même un journaliste plutôt old school peut s’enthousiasmer pour ces nouvelles façons de raconter des histoires.

[…]

John Crowley. On s’est donné le principe de demander aussi souvent que possible à nos lecteurs si nous avons raté quelque chose sur un sujet donné. C’est devenu un réflexe.

[…]

Aron Pilhofer. On fait énormément de tests, on travaille sur l’expérience utilisateur, on organise des focus groupes, on lance des enquêtes.

Traiter une élection, on pourrait croire que les journalistes savent déjà faire. Pourtant, nos tests montrent que ce n’est pas le cas.

Mais le journalisme reste peu adapté à un travail par itérations, on peut le faire à la marge seulement. Ce qu’on fait est trop périssable, ce n’est pas comme un produit qu’on fait évoluer peu à peu dans le temps.

[…]

Jacqui Maher.  C’est vrai que c’est important de mesurer la réponse des utilisateurs, c’est une habitude que j’ai prise dans les start ups. Mais est-ce que ça veut dire qu’il faut abandonner un sujet s’il est peu lu ? C’est une question compliquée.

Aron Pilhofer.  Il faut tester, tester et encore tester, même si ça ne vous garantit pas le succès : vous allez vous planter au moins aussi souvent que vous allez réussir. L’idée c’est que votre boss ne le remarque pas trop.

Sur Facebook, la robe est blanche mais tous les médias sont gris

C’est une idée à creuser en ces temps de crise de la presse : pour faire des économies, une bonne partie des sites d’actu français pourraient confier leur page Facebook au même journaliste – de toute façon, ils y publient (souvent) la même chose.

Captures d'écran tirées d'une série de pages Facebook de sites d'actualité français.
Captures d’écran tirées d’une série de pages Facebook de sites d’actualité français.

NB. Je n’ai rien trouvé sur « la robe » sur les pages Facebook de La Croix, Rue89, Télérama, RFI, France 24, du Plus, du JDD et de quelques autres.

Photo de moutons en page d’accueil : Andy Farnsworth/Flickr/CC-BY-ND.

5 trucs que les journalistes papier ne devraient plus jamais dire

Selon Pierre Desproges, les animaux ne savent pas qu’ils vont mourir. Pour les journalistes qui travaillent pour un support papier, ça devient compliqué de l’ignorer. Il leur suffisait par exemple de regarder l’excellent documentaire « Presse : vers un monde sans papier ? » diffusé fin août sur Arte.

On peut être très attaché au journal-qui-tache-les-doigts-avec-le-café-du-matin ou trouver sexys les hommes qui lisent Libération dans le métro, les faits sont têtus : quand même Le Canard enchaîné voit ses ventes baisser de 13% en un an, il est temps de prendre cette histoire de « transition numérique » au sérieux.

Pourtant, lorsque j’échange avec des collègues travaillant (uniquement ou principalement) pour la version papier de leur média, j’ai souvent l’impression d’une forme de déni rampant.

Le cerveau sait bien qu’en 2014, il n’y a pas un grand avenir pour un média qui doit, pour diffuser des informations, commencer par couper des arbres pour en faire de la pâte à papier, avant d’imprimer des lettres dessus puis de mettre le tout dans des camions.

Mais le cœur, lui, ne se résout pas à voir tout un folklore disparaître : le cérémonial du bouclage, le ballet hypnotique des pages sur les rotatives, les « chemins de fer » et autres « cromalins »

Pour les aider à faire leur deuil et s’adapter à leur époque, un bon début est d’arrêter de dire des bêtises dès qu’on parle digital. Voilà en tout cas cinq phrases qu’ils devraient vraiment arrêter de prononcer.

1. « Ce papier n’est pas terrible, mets-le sur le Web »

A lire vos témoignages sur Twitter,  c’est une scène encore courante dans les rédactions : le rédacteur en chef qui, après avoir relu un article un peu raté, à l’angle bancal ou écrit à la va-vite, le fait publier sur le site plutôt que le mettre simplement à la poubelle.

Ses raisons ? La place est chère dans les pages de l’édition papier, alors qu’elle est infinie sur Internet. Et puis il faut ménager l’ego de l’auteur, qui n’aura pas bossé pour rien.

Evidemment, l’effet est désastreux sur les journalistes qui aiment sincèrement travailler sur les supports numériques, fortement incités à mettre à jour leur CV et trouver un job dans un média qui n’insulte pas l’avenir.

Mon conseil. C’est plutôt sur le papier qu’il faut publier les articles les plus mauvais : après tout, quand il les lira, le lecteur aura déjà acheté votre canard, et les kiosquiers ne pratiquent pas le « satisfait ou remboursé ».

Ça bouchera un trou dans les pages et ça vous dégagera du temps pour préparer des contenus numériques assez marquants pour sortir enfin votre titre du XXe siècle.

2. « Twitter, c’est un truc de journalistes »

C’est une phrase que j’ai très souvent entendue lorsque j’animais des formations aux réseaux sociaux, – et je suis loin d’être le seul. Dernier exemple en date : Ariane Chemin, grand reporter au Monde, dans une interview aux Inrockuptibles :

« Twitter, je trouve ça chronophage et sidérant, mais ça m’amuse. Le petit monde de Twitter est endogame, il ne raconte pas la vraie vie mais celle des journalistes qui s’observent. »

Même si les estimations varient (comme le rappelle Cyrille Frank dans les commentaires), plusieurs millions de Français utilisent Twitter, qu’ils soient simples lecteurs ou « twittos » actifs.  Contre un peu plus de 36 000 titulaires d’une carte de presse. Les ados y sont très présents, mais on croise aussi des avocats, des chauffeurs de taxi, des entrepreneurs ou des pilotes d’avion.

Si les journalistes ont l’impression d’y parler entre eux, c’est qu’il y a une part inévitable d’endogamie dans tout réseau social, surtout quand on vient de s’y inscrire : on commence par suivre ses amis, ses collègues, sa famille…

Mais contrairement à un utilisateur lamdba, un reporter a tout intérêt à affûter sa veille et à diversifier ses abonnements, trouver de nouvelles sources et prendre le pouls du vaste monde.

Mon conseil. A chaque fois que vous décidez de suivre un journaliste sur Twitter, obligez-vous à suivre aussi un non-journaliste. Parce que penser que « Twitter, c’est un truc de journalistes », c’est vraiment un truc de journalistes.

3. « La priorité, c’est la nouvelle formule du papier »


Non. La priorité pour un titre papier aujourd’hui, ce n’est pas de retirer deux demi-pages à la rubrique culture pour les donner au service politique, de changer la couleur des intertitres ou de choisir une nouvelle typographie pour les « chapos ».

Une rédaction qui se lance dans une refonte du papier en 2014, c’est comme une compagnie de diligences qui décide de changer le velours des sièges pendant qu’on construit une ligne de chemin de fer sous son nez.

Mon conseil. Que vous travailliez ans un quotidien national, pour un mensuel professionnel ou dans un hebdo régional, le débat qui doit animer vos séminaires, vos conférences de rédaction et vos discussions à la machine à café, ce n’est pas l’édition papier. C’est : « Comment produire un travail journalistique suffisamment convaincant sur le numérique pour espérer survivre au grand basculement actuel ? »

4. « On perd de l’argent à cause du Web »

C’est la petite vengeance du journaliste papier quand il commence à se sentir largué : rappeler que depuis l’arrivée d’Internet au milieu des années 90, les services web ont été une source importante de pertes financières.

C’est d’autant plus vrai que beaucoup de médias se sont lancés dans de gros investissements mal maîtrisés, de projets coûteux que leurs équipes ont parfois du mal à digérer.

Dans leur Manifeste pour un nouveau journalisme, paru début 2013, les éditeurs de la revue XXI exploitent cette veine, estimant que la presse écrite a trop investi sur le numérique. C’est ce qu’expliquait alors Laurent Beccaria à Télérama :

« Le problème n’est pas d’opposer l’écran et le papier, les modernes et les anciens. Simplement, le numérique n’est pas ‘LA’ solution, y croire est dangereux. »

J’ai l’impression que les responsables des sites d’actu ont fini par intérioriser cette critique, se dire qu’ils « vivent aux frais de la princesse », la presse papier.

Mon conseil. Rédactions web, redressez la tête et arrêtez d’avoir honte de vos pertes ! Ce n’est pas comme si vous claquiez tout en notes de frais somptuaires ou en soirées de gala.

Vous avez un des jobs les plus difficiles au monde en ce moment : tenter de faire de l’info de qualité dans un secteur en pleine déconfiture.

Mais c’est vous qui avez une chance (même petite) de trouver de nouveaux lecteurs et d’assurer la pérennité de votre titre. Pas vos aînés du papier.

5. « Facebook rend débile, j’ai fermé mon compte »

C’est vrai, on a tous des moments où on regrette notre cerveau d’avant Internet. Mais de là à quitter Facebook, service utilisé par 26 millions de Français et d’où provient une part grandissante du trafic des sites d’actu, il y a un pas qu’il vaudrait mieux ne pas franchir.

Non, ce n’est vraiment pas le moment de jouer les snobs. C’est maintenant que vous devez comprendre comment vivent et prospèrent les  communautés en ligne, qu’il s’agisse de vos contacts sur Facebook, des stars de YouTube, des contributeurs de Wikipédia ou des parturientes de Doctissimo.

Ce sont eux, les nouveaux « voisins de bureau » des journalistes. Que vous l’aimiez ou non, c’est dans ce monde qu’il va vous falloir vous faire une place (et ça fait longtemps qu’ils ont arrêté de vous attendre).

Mon conseil. Faites le tri dans vos « amis », pour éviter au maximum les invitations à Candy Crush et les photos de Milk. Mais n’oubliez pas que ces gens bizarres qui s’agitent sur votre fil d’actualités, qui likent, commentent et partagent ce que vous publiez, ce sont aussi des lecteurs. C’est pour eux que vous avez choisi ce métier, il va bien falloir assumer.

6. Bonus ! D’autres phrases qui énervent les gens du Web

Vous avez été plusieurs à me signaler sur Twitter d’autres phrases de journalistes papier qui vous énervent :

« Bonjour, je suis bien au service informatique ? »

Via @ThomasBaietto, FranceTV Info

« Mais t’es quoi en fait toi ? Développeur ou journaliste ? »

Via @GurvanKris, Rue89

« Il est bien cet article, c’est dommage qu’il soit pas dans le journal plutôt que sur le Web… »

« Elle marche, l’imprimante ? »

« C’est pas mal de faire un papier sur le Web, en fait. Comme ça, t’as le plan de ton article pour le papier. »

Via un courageux anonyme

«  “T’as vu cette info ?” (Généralement un truc qu’on fait la veille ou deux jours plus tôt.) »

Via @PerrineST

« Tu nous fais ça juste pour le Web, hein. »

Via @BenjaminFerran, Figaro et MacGeneration

« Non, pas de place pour demain. File donc ça au web ! »

Via (@Mou_Gui)

« J’ai un problème avec mes mails, tu peux m’aider ? »

Via @Sychazot, Le Lab Europe 1

« Ça débordait de ma page du coup je t’ai mis le reste sur le Web »

Via @XavierLalu

«  “C’est là qu’ils mettent nos articles en ligne” : un journaliste print qui faisait visiter la rédac web à un autre journaliste print. »

@VCquz

« Internet ne sert à rien : un article ça se lit un crayon à la main »

@ARouchaleou, L’Humanité

« Tu peux me trouver Photoshop gratos ? »

@XavierLalu

«  “Dans le pire des cas, ça ira sur le Web” (au sujet d’un papier sans intérêt). »

@GaelVaillant, Le JDD

« On peut pas fermer les commentaires sur les articles ? »

@MarieAmelie, Le Figaro

Vous pouvez continuer l’exercice si ça vous amuse, sur Twitter avec le hashtag #perlespapier ou dans les commentaires.

Dans un souci d’équité, je prévois déjà une suite à cet article, consacrées aux phrases que les journalistes papier ne supportent plus d’entendre de la part de ces « putes à clic du web »…

MAJ le 3/10 à 18h10. Passage sur Libération retiré, après un échange avec Johan Hufnagel montrant que l’exemple n’était pas forcément pertinent.

MAJ le 4/10 à 18h10. Passage sur Twitter modifié, voir les remarques de Cyrille Frank dans les commentaires.