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J’ai repris la chasse aux clichés dans les médias et voilà ce que j’ai appris

Traquer les « cerise sur le gâteau », les « affaire à suivre » et les « grincer des dents » : c’était le thème de mon premier projet de datajournalisme. Dix ans plus tard, j’ai ressorti les pièges à loup du placard, et cherché à comprendre pourquoi les médias utilisaient autant ces expressions toutes faites.

7 fautes de français qui n’en sont pas, en fait

J’aurais pu titrer cette note « Confessions d’un emmerdeur ». Après ma sortie d’école de journalisme, j’ai été pendant plusieurs années secrétaire de rédaction, un travail qui comprend en général beaucoup de relecture de copie ou de pages.

Un TOP ou un Grevisse à portée de main, j’ai découvert quelques-unes des subtilités de la langue française, désuètes ou charmantes selon le point de vue.

Le problème avec ce type d’occupation professionnelle, c’est qu’elle tend à faire de vous un ayatollah, corrigeant par réflexe les fautes de ses amis à l’oral, et capable de partir en guerre sainte contre les impies qui enchaînent les solécismes sans réaliser l’horreur de leur sacrilège.

Mes années passées à bosser sur le Web m’ont profondément adouci. D’abord parce que relever une faute dans un article qui peut être corrigé, c’est moins douloureux, pour le lecteur comme pour l’auteur, que de la voir imprimée pour l’éternité.

Ensuite parce que j’ai découvert qu’il y avait deux sortes d’internautes qui signalaient les fautes d’orthographe :

  • ceux qui n’ont que mépris pour le journaliste coupable d’un faux pas,  « alors que c’est quand même votre métier d’écrire », et y voient la preuve définitive de votre incurable incompétence ;
  • ceux qui s’excusent vraiment de vous déranger, « mais il manque un mot dans le titre de l’article, je sais, je suis un peu obsessionnel et vous devez avoir d’autres chats à fouetter, encore pardon ».

Avec le temps et sauf misanthropie profonde, vous avez assez vite envie d’appartenir à la seconde catégorie plutôt qu’à la première.

Enfin, la fréquentation des blogs et forums spécialisés comme des ouvrages de référence m’a enseigné que dans bien des cas, il n’y a pas de règles implacables mais une série d’exceptions et de sous-exceptions.

Vous pouvez passer vos soirées à apprendre la dizaine de pages consacrées à l’accord du participe passé des verbes pronominaux que compte le TOP. Ou bien vous pouvez décider que vous avez mieux à faire de votre vie.

Mais le pire, c’est quand j’ai appris que certaines des règles que je chérissais tant étaient parfois discutables, d’autres fois à côté de la plaque. En voici un rapide florilège, que vous aurez sûrement à cœur de compléter ou de critiquer dans les commentaires.

1. « Par contre » est tout à fait correct

Martine Rousseau et Olivier Houdart, correcteurs au Monde.fr, le rappelaient déjà dans leur blog Sauce piquante en 2007 :

  « La locution “par contre”, malgré les attaques récurrentes dont elle est l’objet […] est tout à fait correcte. »

Portrait de Voltaire, auteur inconnue (Gallica.bnf.fr)
Portrait de Voltaire, auteur inconnu (Gallica.bnf.fr)

Un wikipédien véhément l’a d’ailleurs fait retirer de la notice Fautes de français destinée aux contributeurs de l’encyclopédie en ligne. « Par ailleurs » et « par avance » sont corrects, pourquoi pas « par contre », argumente-t-il.

« C’est une double préposition : c’est ça le problème, un problème de grammaire », réplique Rara dans un commentaire de cet article – preuve que les contempteurs du « par contre » n’ont pas déposé les armes. 

C’est paraît-il Voltaire qui est entré en guerre contre « par contre », et c’est donc la faute à Voltaire si je l’ai tant de fois remplacé par « cependant » ou « en revanche ».

Sur Langue-fr.net, on lira avec intérêt un décryptage de ce curieux ostracisme, défendu par Littré mais combattu par Grevisse :

« C’est plutôt une affaire de sociolinguistique : employer “en revanche” plutôt que “par contre” dénote l’appartenance culturelle à un milieu maîtrisant un code social, celui de l’expression — un code dont l’emploi est un signe de reconnaissance implicite pour “ceux qui savent”. »

Si vous écrivez « par contre » dans votre texte, vous rejoindrez un club qui compte notamment « Tocqueville, Stendhal, Maupassant, Gide, Giraudoux, Saint-Exupéry, Malraux, Bernanos, De Gaulle » parmi ses membres. Il y a pire compagnonnage.

2. On peut écrire « autant pour moi » si on veut

C’est l’un des sujets les plus polémiques sur les forums dédiés à la langue française. Beaucoup soulignent l’origine militaire de l’expression : si l’officier dirigeant un exercice se trompe dans ses consignes, il va demander à sa troupe de revenir « au temps » initial de la manœuvre, « pour moi » parce que c’est lui, et non les exécutants, qui s’est trompé.

Mais cette explication est elle-même contestée, et puis après tout,  si l’expression « autant pour moi » s’est imposée au fil du temps, c’est parce qu’elle a tout autant de sens que sa variante.

Je le confesse, j’aime bien écrire « au temps pour moi », par pure coquetterie. Mais je respecte et apprécie les partisans du camp d’en face.

3. « Une auteure », « une écrivaine », « une entraîneure »… et pourquoi pas ?

Il y a quelques années, croiser l’expression « une auteure » ou « une écrivaine » dans un texte me faisait pleurer des larmes de sang.

Mais alors que les combats féministes sont de mieux en mieux relayés dans la société ou sur les réseaux sociaux, j’avoue être en panne d’arguments contre vous si vous écrivez votre amour pour « l’écrivaine George Sand » ou votre respect envers Corinne Diacre, « première entraîneure d’une équipe de foot professionnelle française ».

Et je suis plutôt content d’utiliser une langue qui vit et évolue, plutôt qu’une collection de règles figées pour l’éternité dans quelque vieux grimoire de l’Académie française.

Je n’en suis pas à accorder chaque mot avec des tirets (« motivé-e‑s ») ou à prôner la règle de proximité pour l’accord de l’adjectif – quoique l’usage actuel n’ait rien de bien satisfaisant intellectuellement, qui oblige  à écrire : « Trois millions d’infirmières et un médecin se sont retrouvés dans la rue pour manifester. »

Quand je travaillais à Rue89, on s’était donné comme règle de ne pas en avoir, et de laisser l’auteur d’un article choisir de féminiser ou non certains mots, selon ses convictions personnelles. De même, Rue89 pouvait être du féminin ou du masculin selon le contexte (« le site d’information Rue89 » mais « les riverains de la Rue89 », par exemple).

4. Oui, on peut « supporter » une équipe de foot

Si j’avais gagné un centime d’euro à chaque fois que j’ai lu un tweet ou un commentaire dénonçant l’emploi du mot « supporter » au sens de « soutenir » dans un article sur le sport, j’aurais sans doute assez d’argent pour offrir des cours de français aux auteurs de ces réclamations.

« Supporter » figure pourtant bien dans le dictionnaire du CNRTL avec cette définition : « aider activement, donner son soutien moral ou matériel à » et « encourager, soutenir ». Avec un exemple d’emploi qui date de 1897.

Si j’essaie de ne pas recourir trop souvent aux anglicismes pour privilégier – quand c’est possible et que ça ne nuit pas à la compréhension – leur équivalent français, j’ai tendance à penser que leur traque systématique finit par ressembler au chantier d’un barrage contre le Pacifique.

Ou alors, pour faire bonne mesure, il faut aussi chasser les mots « algorithme » (qui vient de l’arabe), « bivouac » (emprunté à l’allemand) et « albinos » (d’origine espagnole). Bon courage.

5. Paris est belle et Paris est beau

Les noms de ville sont-ils féminins ou masculin ? Vous pouvez essayer de trouver une règle, ce qui vous amènera à des acrobaties comme celles repérées par Francaisfacile.com :

 « Quelques linguistes suggèrent parfois de se référer à la dernière syllabe : le nom d’une ville est en effet souvent féminin si ce nom se termine par une dernière syllabe muette (comme par exemple : Bruxelles, Rome), alors qu’il est souvent masculin si ce nom se termine par une dernière syllabe sonore (comme par exemple : Dakar, Oslo).

Toutefois, cela pourrait conduire à de mauvaises interprétations (par exemple : “La Nouvelle-Orléans” est féminin alors que la dernière syllabe est sonore).

D’autres linguistes suggèrent parfois de se référer à la dernière lettre : le nom d’une ville est en effet souvent féminin si ce nom se termine par une voyelle (comme par exemple : Rome), alors qu’il est souvent masculin si ce nom se termine par une consonne (comme par exemple : Dakar, Paris).

Toutefois, cela pourrait également conduire à de mauvaises interprétations (par exemple : “La Nouvelle-Orléans” est féminin alors que la dernière lettre est une consonne). »

Ou alors, vous vous souvenez que selon Tino Rossi, Paris est la « reine du monde » et que personne n’a embêté René Clément pour avoir titré son film « Paris brûle-t-il ? ». Et vous décidez de faire comme ça vous chante. Un peu de liberté langagière ne fait jamais de mal.

6. Pour « impacter » et « prioriser », le combat est déjà perdu

On est d’accord, « impacter » n’est pas un très joli mot. Il a cependant le mérite d’être efficace : on peut lui préférer « avoir des conséquences sur », par exemple, mais c’est un chouïa plus long (edit : “affecter » fait très bien l’affaire, me suggère Emmanuelle Ducros, journaliste à L’Opinion). Et « impacter » est désormais dans le Larousse.

Même chose pour « prioriser », que le Robert accueille désormais dans ses pages (plus prudent, le CNRL le donne parmi les synonymes possibles sans en avoir fait une entrée dans son lexique).

Je propose de cesser les hostilités contre ceux qui utilisent ces deux mots, et de concentrer le feu contre ceux qui s’obstinent à « pallier à un problème » et ceux qui utilisent le subjonctif après « après que ». Ceux-là méritent vraiment notre châtiment.

7. Lamartine aimait bien « le jour d’aujourd’hui »

Le combat contre l’abominable expression « au jour d’aujourd’hui » ne date pas du jour d’aujourd’hui, justement. Pierre Larousse s’échinait déjà à lui faire un sort dans son Grand dictionnaire du XIXe siècle, paru en 1864. Le texte est savoureux :

« Cet adverbe, composé de cinq mots, “à le jour de hui”, est peut-être l’exemple le plus frappant du principe d’agglutination suivant lequel se sont formés un grand nombre de mots de notre langue. […]

Hui” était évidemment suffisant pour rendre l’idée exprimée par le latin “hodie” ; mais, par une des redondances si fréquentes dans notre ancienne langue, on ajouta à cet adverbe les mots “au jour de”, et l’on eut “au jour de hui”, “aujourd’hui”.

Et ce pléonasme ne suffisant pas encore au peuple, il dit “au jour d’aujourd’hui”, comme nous le montre Vadé [un chansonnier de l’époque, ndlr] : “Les garçons du jour d’aujourd’hui savent si bien emboiser les filles que je devrions en être soules.”

Cependant Lamartine a su employer cette locution vicieuse avec une poétique énergie : “Dans ce cercle borné, Dieu t’a marqué ta place. / L’univers est à lui. / Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui.”

Il nous souvient même avoir entendu de nos propres oreilles “au jour du jour d’aujourd’hui”. N’est-ce pas ici le cas de dire : quand on prend du galon, on n’en saurait trop prendre ?

Voilà comment nous rendons, par une accumulation de mots que nos pères exprimaient par un monosyllabe. Qu’on vienne donc nous dire maintenant que le progrès consiste à simplifier. »

C’est vrai qu’à part chez Lamartine, on peine à trouver un usage élégant de « au jour d’aujourd’hui ». Mais après tout, comme le montre Larousse, « aujourd’hui » est déjà un pléonasme. Peut-être finirons-nous par apprendre à aimer « au jour d’aujourd’hui »,  qui écorche encore les oreilles cent cinquante ans plus tard ?

(Merci à l’intraitable Emmanuelle Bonneau, journaliste à Rue89 qui m’a soufflé quelques-uns des exemples de cet article.)