Vu ailleurs

L’extrait de “The Newsroom” qui va plaire à tous les journalistes web

Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que The Newsroom, série sur le quotidien d’une chaîne info dont la troisième et ultime saison vient d’être diffusée par HBO, est plutôt ratée. Pour pas mal de raisons, sur lesquelles les critiques américains débattent encore.

Tout le monde est d’accord aussi pour dire que la série a ses bons moments. J’avoue avoir savouré en particulier un passage du sixième et dernier épisode (attention donc, spoiler ahead).

Voilà donc Neal, journaliste web qui a dû quitter les Etats-Unis pour éviter de devoir nommer une source au sein du gouvernement ou être poursuivi en justice.

Il vient d’être autorisé à rentrer chez lui et tombe, dans la rédaction, sur ses remplaçants aux commandes du site d’ACN, chargés par le nouvel actionnaire d’améliorer l’engagement de la chaîne avec son public (comprendre : le transformer en moulin à buzz).

https://www.youtube.com/watch?v=ovn2agVx8Z4

Bon, évidemment, refaire un site d’info en entier et en « une semaine » seulement, c’est une prouesse dont même les cadors du secteur seraient bien incapables…

Mais en France aussi, la chasse aux clics fait des ravages – au point que Metro n’hésite pas à faire croire à ses lecteurs sur Facebook qu’Isabelle Adjani est morte pour mieux promouvoir la nécro d’une actrice moins connue qu’elle.

Et débrancher totalement son propre site pour mieux repartir à zéro, c’est une idée qui a de quoi séduire, non ?

Je veux plus d’expertes en plateau, mais je ne les trouve pas assez bonnes”

Montage de captures d'écran de présentatrices de journal télévisé.
Montage de captures d’écran de présentatrices de journal télévisé.

50% de femmes derrière la caméra, et 20% seulement devant : ces chiffres, qu’on retrouve d’une étude à l’autre, voire d’un pays à l’autre, montrent l’ampleur de la sous-représentation des femmes à la télévision.

Sur ce thème se tenait un débat passionnant samedi aux Assises du journalisme, à Metz. Voici une synthèse des échanges.

Dominique Fackler (Ina Stats). A la demande du CSA, nous avons travaillé sur la représentation des femmes dans les journaux télévisés, à la télévision (grandes chaînes et chaînes info) et à la radio.

Nous l’avons fait une première fois en 2013, et une nouvelle fois début 2014. Près de 11 000 sujets télé et plus de 2 000 sujets radio ont été analysés.

On s’est intéressé d’abord aux journalistes qui signent les sujets, ce qui permet de mesurer la place des femmes dans les rédactions. Sur un an, elles sont un peu moins présentes à la télé, et un peu plus à la radio. Les plus fortes baisses sont pour Arte et France 2. Dans ce classement, France 3 est en tête, M6 est dernière.

Côté chaînes info, i‑Télé est en forte baisse, de 15 points. Côté radios, la plus forte hausse est pour RMC, la plus forte baisse pour France Inter.

On a cherché à savoir si les femmes journalistes étaient plus présentes sur certaines thématiques. Selon nos chiffres, ce n’est pas le cas mais les angles peuvent être différents, par exemple avec davantage de sources féminines interrogées.

La deuxième partie de notre étude concerne les intervenants, les personnes qui sont interviewées lors de ces journaux télévisé. Pour l’ensemble des médias, il y a moins de 20% de femmes parmi eux, soit une femme pour quatre hommes.

France 3 est en tête avec 23%, Canal+ dernière avec 16%. Côté chaînes infos, le bon élève est I‑Télé : côté radios, c’est France inter.

Quand on regarde qui sont les personnalités féminines les plus interviewées à la télévision, ce sont à 95% des femmes politiques. L’étude a eu lieu au premier trimestre 2014, pendant la campagne municipale, Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet sont donc très présentes.

On s’aperçoit que la radio interviewe très peu les femmes. Une seule radio a interviewé plus de trois la même femme sur la période étudiée, c’était France Inter.

Marlène Coullomb-Gully (professeur à l’université Toulouse II). On retrouve ce chiffre de 20% dans d’autres études. C’est une sous-représentation manifeste par rapport aux hommes, puisque les femmes représentent 52% de la population.

Finalement, le média le plus gender friendly, c’est la télévision. Les femmes ont de grosses difficultés à la radio, notamment à cause de la voix. Il y a même eu une période où les journalistes femmes étaient systématiquement retoquées : on considérait qu’une voix féminine n’avait pas assez de légitimité pour présenter les infos à la radio.

Si vous prenez les trois matinales les plus écoutées (France Inter, Europe 1 et RTL), il n’y a jamais eu de femmes à leur tête.

Ruth Elkrief (BFM-TV). France Info a eu Raphaëlle Duchemin et a aujourd’hui Fabienne Sintes…

M. C.-G. C’est vrai, mais pour les autres, c’est plus des matinales, mais des « matimâles ». Mais c’est encore pire en presse écrite, qui est plus focalisée sur la politique et l’économie, thèmes où les hommes sont en position de force.

Il y a une double ségrégation : d’abord verticale, c’est le « plafond de verre » ou « plancher collant » qui empêche les femmes de monter dans la hiérarchie ; ensuite horizontale, ce sont les domaines dans lesquels les femmes se retrouvent assignées.

R .E. Ça change, quand même : la campagne municipale à Paris en est la preuve, avec trois femmes qui s’affrontaient.

Quand on parle des médias, on parle aussi de la capacité à être audible, à passer à l’antenne.

Par principe, je ne fais pas de la discrimination positive. Et quand on trouve des femmes douées, qui connaissent les codes de la communication, qui prennent des risques et ne se limitent pas à  langue… alors on va les chercher autant que les hommes.

La question, c’est : est-ce qu’elles osent parler, prendre des risques ? Je me souviens qu’au début, les femmes politiques qu’on invitait ne venaient que si elles considéraient qu’elles avaient quelque chose à dire…

Quand elles venaient, elles étaient très langue de bois, très disciplinées. Ce n’est pas un hasard si la première à avoir explosé médiatiquement, c’est Ségolène Royal, qui accepte de prendre des risques.

Ça va avec la parité au gouvernement : si les femmes ministres osent assumer leur position de pouvoir, alors elles seront plus visibles.

Mais ça change, je m’aperçois parfois qu’en une semaine, j’ai eu à deux ou trois reprises des femmes sur mes plateaux.

M. C.-G. Même quand les femmes ne souhaitent pas mettre en avant le fait qu’elles sont des femmes, les médias les ramènent à leur condition de femmes.

Ça passe par des choses anodines, parfois. On les interroge en tant qu’épouse et mère, alors que les hommes ne sont jamais interrogés en tant qu’époux et père.

On mentionne leur apparence physique, leur robe, leur coupe de cheveux. On utilise le prénom : on parle de « Ségolène », du débat « Ségo/Sarko ». C’est symbolique : le prénom relève de l’espace personnel, privé ; désigner une femme par son prénom, c’est la renvoyer à cette sphère.

Ensuite, il y a cette liste de surnoms « typifiants » qu’on leur accole en permanence : « la pasionaria », « l’égérie », « la madonne », « la Walkyrie », « la muse »… On ramène les femmes politiques à des types.

Enfin, il y a les adjectifs. On dira d’un homme politique qu’il a du caractère, d’une femme politique qu’elle a mauvais caractère.  Un homme politique est autonome, une femme politique est incontrôlable – c’est ce qu’on dit souvent de Royal ou de Taubira.

On dit que dans le Panthéon grec, s’il y a beaucoup de déesses, le divin ne s’exprime qu’au masculin. De même, il y a des femmes politiques mais le politique ne s’exprime qu’au masculin.

Annette Young (présentatrice de The 51%, sur France 24). J’ai 51 ans, j’ai vu les choses beaucoup évoluer au sein des rédactions depuis trente ans .

Quand j’ai démarré, j’ai commencé dans l’équivalent du Monde en Australie : aucun rédacteur en chef n’était une femme. Depuis, les changements  ont été spectaculaires.

Mais une salle de rédaction reflète l’ensemble de la société. Et journaliste, c’est un métier où il faut disposer de temps, ce n’est pas facile de concilier vies personnelle et professionnelle.

Il faut aussi parler de l’aspect psychologique : les hommes de ma génération s’identifient, fréquentent, s’intéressent surtout aux autres hommes.

Nous sommes des êtres humains, empreints de subjectivité et façonnés par notre milieu, notre éducation.

Le cerveau prend des raccourcis pour se repérer dans le flux d’informations qui l’assaille : il jugera toujours un homme avec des cheveux gris plus crédible que moi, une femme brune. C’est ça, la grande injustice, et c’est ce qui est en train de changer.

Thierry Thuillier (directeur des programmes de France 2).  Mon chef de service quand j’ai commencé, c’était Ruth Elkrief, sur TF1… Et à France télévisions, j’ai remplacé une femme [Arlette Chabot, ndlr].

Pour autant, c’est vrai qu’il y a un problème pour les femmes au plus haut niveau de l’encadrement. J’ai nomme des femmes rédactrices en chef (Agnès Vahramian, Agnès Verdier-Molinier). C’est la première fois qu’une femme est en charge du JT de 20 heures sur France 2. C’est dire si on était en retard, c’est spectaculaire alors que ça ne devrait pas l’être.

On a pas mal féminisé aussi les éditorialistes, notre éditorialiste politique est une femme. Ça n’a pas été si simple : pas mal de ces femmes ont eu un premier réflexe de refus, trouvant la fonction très lourde, ne se sentant pas prête pour des raisons familiales. Pour la convaincre, j’ai dit à Agnès : « Moi aussi, j’ai des enfants, moi aussi, je veux rentrer plus tôt du travail pour m’en occuper. »

On enclenche quelque chose. Il faut tracer la route, pour que les femmes prennent leur place. Je suis optimiste : on a mis en place un baromètre en interne pour mesurer la place des témoins et experts femmes, quelque chose assez strict, mais un jour, il deviendra inutile.

On a mis en place cet outil parce que si on se contente de dire « allez, il faut trouver des experts femmes, aller en région, changer nos habitudes » tout le monde acquiesce, et puis tout le monde oublie.

On a donc fixé des objectifs et on fait des points trimestriels avec les chefs. Il faut y aller à marche forcée. Et je précise qu’on n’a pas attendu le CSA pour s’y mettre.

Donna Taberer (BBC). Dans notre rédaction, hommes et femmes sont à 50–50. Dans la hiérarchie, on a quelques directrices, mais la sous-représentation encore forte.

Récemment, une proposition de promotion interne a été publiée, concernant quatre postes. Sur les dix-sept candidats, un seul était une femme. Le responsable du recrutement a refusé d’aller plus loin, et a recommencé la procédure. Finalement, deux femmes ont été prises.

Mais ce n’est pas forcément un problème de sexisme, plutôt le signe que les femmes n’osent pas.

M. C.-G. Une étude réalisée au niveau européen montre que lorsqu’on on monte, le rapport femmes-hommes passe de 50%-50% à 70%-30% pour la hiérarchie intermédiaire et 10%-90% pour le top management.

R. E. A BFM-TV, on est obligés de faire attention à prendre des hommes pour les postes de base… Mais ce sont plutôt des hommes qui sont les patrons, c’est clair. Et les dernières nominations ont été des hommes.

La question, c’est la stratégie de pouvoir des femmes. J’étais le chef de Thierry Thuillier au début de sa carrière, et maintenant il est à un poste plus haut dans la hiérarchie.

Je n’ai pas aimé être chef, j’étais dans un rapport plus hédoniste à mon métier : je voulais me faire plaisir. Je ne me suis pas projetée dans une situation de pouvoir. C’est pourtant ce qu’il faut faire pour l’atteindre et y rester.

Il faut convaincre les femmes qu’elles peuvent avoir le pouvoir, et continuer à avoir une vie personnelle.

Il y a eu une époque de rêve, c’était avec Michèle Cotta, à TF1 ou France Télévisions. Ses chefs de service étaient pour moitié des femmes.

A. Y. Il faut faire du réseautage, profiter des relations. Les femmes s’en veulent souvent de ne pas être assez dures, elles sont dans l’autoflagellation, elles pensent manquer de contacts. Parfois, il faut s’en prendre à nous-mêmes.

La démographie change :en Grande-Bretagne aujourd’hui, beaucoup de quarantenaires ne sont pas mères. Elles s’absentent moins du lieu de travail et pourront être prises pour des postes à responsabilité. Elles seront un vrai cheval de Troie, ce sera déterminant pour la suite, pour la capacité des femmes à s’affirmer.

Ségolène Hanotaux (collectif Prenons la une).  Avec 50% de femmes journalistes dans les rédactions, pourquoi a‑t-on 20% d’interviewées seulement ?

M. C.-G. Pendant longtemps, le fait que le journaliste soit une femme n’avait pas d’impact dans le choix des personnes interviewées. Mais récemment, on a vu un infléchissement dans les études : les femmes journalistes commencent à avoir davantage tendance à interviewer des femmes.

C’est le signe que la question des rapports hommes/femmes a été conscientisée : on sait qu’il ne suffit pas d’être une femme pour être féministe.

T. T. Il y aussi des contraintes de temps qui expliquent ce conformisme : pour aller vite, on prend toujours les mêmes, des hommes. Du coup, à France Télévisions, on a travaillé sur un guide des expertes, qui contient  400 noms de femmes experts à disposition des rédactions, avec leur numéro de portable et leur adresse e‑mail. On l’a partagé avec les autres rédactions du groupe.

Ce guide est utilisé, au moins par une partie des journalistes : le combat contre le conformisme, c’est quelque chose qui doit être quotidien.

On a organisé des formations pour la hiérarchie, pour que cette ambition-là soit diffusée. Au début, on a eu beaucoup de mal à faire venir les hommes pour suivre ces sessions.

Mais si on ne fait pas tout ça, on devra passer par la loi, la contrainte, les quotas. Je préfère que ce soit nous qui nous prenions en main.

D. T. Nous avons lancé le programme Expert Women de la BBC Academy parce que nous avions les mêmes chiffres que vous, le plafond de 20%. Maintenant, on en est à trois hommes pour une femme [soit 25% de femmes, ndlr], c’est la preuve que ça peut changer.

On a lancé une chaîne YouTube, un espace sur LinkedIn, on a édité des bases de données, fait des cours solides et approfondis et oui, on a fait  un peu de discrimination positive.

Sur les 364 expertes formées à la BBC Academy, 74 ont percé, et sont apparus dans des centaines de reportages.

On leur a demandé ce qui se passait quand un journaliste les appelait avant qu’elles suivent cette formation. Beaucoup refusaient, renvoyaient vers un homme, même s’il était moins expérimenté. Il y a ce syndrome de l’usurpatrice, cette idée qu’un homme sera toujours meilleur qu’elles.

Pour moi, les quotas ne fonctionnent pas : il faut que les femmes expertes se fassent valoir elles-mêmes et feront de même.

T. T. A l’université France Télévisions, on forme les chefs, mais pas les expertes.

S. H. Est-ce que les gens du service des sports y vont ?

T. T. Le service des sports n’est pas sous ma responsabilité, mais je vois très bien à quoi à faire illusion…

R. E. J’ai souvent l’impression que les femmes se disent : « Je suis une élève appliquée, je fais bien mon travail, je n’ai pas besoin de passer à la télé. » Et ben si. Les médias structurent le monde, et vous pouvez avoir du pouvoir.

De mon côté, je me gendarme, je me police, je dis : « Ça fait quinze jours qu’il n’y a pas assez de femmes, c’est pas possible. »

C’est plus simple d’appeler les mêmes mecs : ils sont bons, il savent qu’il faut être clair, pas trop long. Sur une chaîne info, vous devez être percutant, vous devez aller vite. Je suis exigeante, sévère, parfois injuste. Je voudrais avoir davantage d’expertes dans certains domaines, mais je ne les trouve pas assez bonnes.

C’est pour ça que BBC Academy très bonne idée.

A. Y. Il y a un autre blocage : la volonté d’être aimé. Pour une femme, ça veut dire ne pas paraître comme autoritaire ou malpolie. On voit qu’on demande tout et son contraire aux femmes…

Comme présentatrice, c’est très dur de trouver des femmes à Paris qui parlent assez bien anglais et qui se sentent suffisamment en confiance pour passer dans mon émission sur France 24.

Et je me rends compte qu’il faut avoir un encadrement qui pense ces questions-là,  qui est conscient du problème et s’en occupe concrètement. La volonté doit venir d’eux. A France 24, on diffuse 24h/24, c’est comme une grosse moissonneuse batteuse, on ne sait pas ce qu’on va diffuser dans une heure, on ne peut pas penser à long terme ?

Du coup, je me demande s’il ne faut pas une obligation légale pour forcer les managers.

A. H. En France, elle existe en partie, d’ailleurs l’objectif du CSA est d’arriver à 30% d’expertes à la fin de l’année, on verra s’il déclenche les sanctions.

D. T. Je pense que les objectifs internes sont meilleurs que les quotas. A la BBC, la politique c’est d’avoir au moins un femme dans chaque station locale et une femme dans chaque émission de divertissement. C’est l’affaire de tous, des salariés lambdas au grand patron.

Mais il faut arrêter de dire que c’est dur, sinon c’est utilisé comme excuse. On est 52%, ce n’est pas si difficile.

T.  T. Le PDG de France TV a demandé qu’il y ait au moins une femme candidate quand un poste de direction est ouvert au recrutement. Moi aussi, je préfère que l’ensemble de l’entreprise s’engage.

M. C.-G. D’accord, mais on peut trouver que ça ne va pas très vite. On a hurlé quand la parité a été instaurée en politique ; pourtant, aujourd’hui, personne ne propose de la supprimer, et ça a permis aux choses de bouger. Il ne faut pas être systématiquement opposé à des quotas.

R. E. Pour moi, la sensibilisation est en train de fonctionner. Quand il y a une femme patronne dans une rédaction, elle donne envie, et elle sert de modèle. La compétence est importante, mais avoir des femmes à la tête des médias est important pour les salariées.

Je me souvient d’une phrase du juge Marc Trévidic, qui me rappelait que les femmes sont désormais ultra majoritaires dans la magistrature. « Bientôt il n’y aura plus que des femmes magistrats, donc bientôt il y aura des femmes aux postes plus prestigieux, c’est inévitable. » C’est la même chose pour les rédactions.

Après, le pouvoir réel, ce n’est pas forcément dans un comité de direction paritaire qu’il s’exerce. Parfois, c’est dans une discussion entre mecs dans un bureau fermé, avec un homme politique au téléphone. Je l’ai vécu, et c’est pour ça que je n’ai pas aimé être chef.

Les hommes sont programmés dès le plus jeune âge puis au fil de leurs études à se voir à un haut niveau de pouvoir.

Mais je ne suis pas favorable à une loi, en tout cas pas tout de suite. Laissons sa chance à la sensibilisation. Peut-être que dans cinq ans, j’aurai un autre avis.

D. F. Si on regarde l’évolution entre 2013 et 2014, on voit qu’elle est positive : on est passés de 18,9% à 20,1% de femmes parmi les interviewés pour les chaines généralistes. Pour les chaînes info, il y a stagnation. A la radio, on passe de 16,5% à 17,7%. RTL est en baisse, Europe 1 en hausse de 5 points.

R. E. Pour les invités politiques, c’est plus facile, grâce à la parité. Mais il y a des domaines où on y arrive pas.

Au passage, rappelons que les discriminations qui touchent les entreprises touchent aussi les entreprises de presse : les femmes représentent 54% des CDD et 58% des pigistes, par exemple. […]

Je voudrais revenir sur une chose : quand j’ai Nathalie Kosciusko-Morizet en plateau et que je lui dis : « Vous avez changé de coiffure », je ne considère pas que c’est du sexisme.

M. C.-G. Il faut que vous posiez la même question à Montebourg…

R. E. Quand j’ai reçu Bruno Lemaire, je lui en parlé de sa chemise, qu’il porte ouverte plus souvent depuis qu’il est candidat à la présidence de l’UMP, pour faire plus jeune. C’est aussi une analyse de leur com”.

Dans le public. Avoir plus de femmes journalistes, est-ce que ça change quelque chose au journalisme lui-même ?

T. T.  Sur les terrains dangereux, les femmes sont un peu plus déterminées et courageuses. Mais sinon, je ne vois pas de changement.

R. E. Je ne pense pas qu’il y ait un œil féminin sur l’information. Il peut y avoir des approches différentes ponctuellement. Ça me rassurerait qu’il n’y ait pas de généralisation. Il y a une formation, un professionnalisme qui peut se retrouver chez les hommes et chez les femmes.

D. T.  Si on ne reflète pas la diversité de l’audience, on perd en audience. Pour la BBC, il ne s’agissait pas que d’avoir plus des femmes, mais aussi d’avoir de nouveaux sujets, des sujets apportés par expertes femmes.

Du coup, on a organisé des rencontres entre journalistes et expertes, et on a donné le numéro de téléphone des premiers aux secondes. Et ça a changé le contenu des informations.

Dans le public. On n’a pas parlé de l’écart de rémunération, qui augmente quand on monte dans la hiérarchie…

R. E. C’est la même chose dans les médias que dans le reste des entreprises. Là, on rentre dans le dur.

M. C.-G. Les femmes négocient moins leur salaire que les hommes, elles vont moins souvent voir leur supérieur hiérarchique. Aux futures journalistes dans la salle, je dis : « Il faut aller négocier votre salaire. » Les femmes pensent souvent qu’elles doivent être reconnues d’elles-mêmes.

Une interview à la radio, c’est facile à filmer. Illustrer un journal entier, c’est plus dur”

Diffusé mardi sur France Inter, le billet de François Rollin sur la généralisation des caméras dans les studios radio était bien troussé et il a flatté le nostalgique de l’analogique qui sommeille en chacun de nous.

http://www.dailymotion.com/video/x27w1k0_le-billet-de-francois-rollin-la-radio-c-est-la-radio_news

Pourtant, à en croire les intervenants de l’atelier « Radio : micro ou vidéo ? » aux Assises du journalisme vendredi à Metz, les équipes des grandes stations se mettent plutôt de bonne grâce à la vidéo, qu’il s’agisse de filmer les échanges en studio ou de ramener des séquences prises en reportage.  Ma synthèse des échanges.

Frédéric Wittner (France Info). Ce que dit François Rollin, je l’ai beaucoup entendu. Ça nous pose des questions, forcément : quels moyens on met, en termes de lumière ou de cadrage ? Est-ce qu’on met en péril le « mystère de la radio » dont les gens parlent tant ? Est-ce qu’il faut tout filmer ?

Maude Descamps (Europe 1). Sur Europe 1, la montée en puissance de la vidéo s’est bien passée. On a commencé à filmer ce qui se passe en studio en 2007, et ça s’est généralisé en 2012. Les journalistes ont désormais l’habitude.

C’est vrai que les cadrages sont tout pourris parfois, mais on s’efforce d’éviter ça : il y a désormais une vraie régie vidéo, avec des réalisateurs, et pas seulement des caméras automatiques.

On cherche à mettre en scène les coulisses, à illustrer la « magie de la radio ». Il ne s’agit pas seulement de regarder pour écouter, mais aussi d’emmener dans les gens dans l’univers d’Europe 1. Ça leur plait beaucoup.

Devant le micro, la façon de travailler n’a pas changé. Certains présentateurs en jouent, par exemple en montrant une feuille à la caméra pendant la revue de presse. Mais ça ne se fait pas au détriment de l’auditeur, ça va enrichir l’émission.

Claire Hazan (Europe 1). Les réalisateurs sont plutôt demandeurs, ils viennent me voir en demandant : « Nous, on n’est pas filmés, comment on peut faire ? »

Nicolas Grébert (RMC). Côté RMC, ça s’est plutôt bien passé. Mais on est dans un cas de figure différent, parce que des émissions de la radio sont aussi diffusées à la télé : la matinale de Jean-Jacques Bourdin est en partie sur RMC Découverte et en partie sur BFM-TV. Du coup, on a les moyens de la télévision : du maquillage, des caméras…

Mettre une image sur des visages, c’est vrai que c’est curieux pour un amoureux de la radio. Mais si on peut regarder la télé sans le son, on ne peut pas le faire avec la radio filmée.

Alain Vicci (Lor’FM). Les équipes sont totalement impliquées, elles se sont emparé de la vidéo. On ne diffuse pas toute la journée, on le fait pour des showcases et les émissions de talk show. Les animateurs et les journalistes ne se sentent pas dérangés dans leur vie personnelle ou dans leur métier. Ils continuent à faire de la radio et ne se sentent pas « à la télévision ».

F. W. Je suis très attaché au terme « radio visuelle ». On peut toujours écouter sans voir, on n’impose à personne de regarder les images. Sur le site, on peut se brancher sur le direct radio ou le direct vidéo, au choix. On ne pénalise pas l’écoute radio.

Le terme « radio filmée » est très réducteur. Il ne s’agit pas de faire de la vidéo ou de la sous-télé. Ce que je veux faire sur France Info, et ça n’existe pas encore, c’est de la radio visuelle.

Il ne s’agit pas de filmer le studio et ce qu’il s’y passe : pour quelques moments intéressants, il y a plein de moments où la plus-value n’est pas évidente.

Il faut proposer une offre visuelle dans laquelle il y a de la vidéo, mais pas seulement. On est en train de faire du multimédia, on va agréger dans une offre visuelle tout ce qui apporte une plus-value à l’offre radio. Ça peut être une infographie, une photo, un texte, une info de  dernière minute…

N. G.  Le talk, c’est ce qu’il y a de plus simple à filmer : une interview, c’est simple en images. Illustrer des journaux entiers, c’est bien différent.

Jean-Jacques Bourdin est seul dans le studio pour faire l’interview politique, il y a une mise en scène prévue pour la télé mais elle renforce l’intensité des échanges, et la radio en profite aussi.

Didier Siammour (journaliste et chroniqueur). Filmer la radio, ça permet d’aller chercher un public qui aurait tendance à la délaisser ?

C. H. C’est vrai qu’un son est beaucoup moins consulté en ligne qu’une vidéo. Ça nous permet d’aller chercher des jeunes sur YouTube ou Dailymotion. Par exemple, la vidéo de Xavier Nolan s’exprimant sur le mariage gay a beaucoup circulé , pas sûr que ç’aurait été le cas avec le son seulement.

F. W. Les radios sont toutes confrontées au vieillissement de leur auditoire. Il faut convaincre les plus jeunes de venir.

N. G. Il n’y a pas de volonté de faire du buzz pour obtenir des vidéos virales. On travaille de la même manière. On fait essentiellement de la radio.

Après, on voit que les chaînes d’info grignotent de l’audience, notamment le matin, il faut en être conscients. Un son ne s’écoute pas, ou peu, sur le Web. Il faut une image, l’information s’y regarde. On peut perdre le moins possible d’auditeurs en intégrant ça.

F. W. On sait que si on a un très bon son, il faut lui coller une image prétexte pour en faire une vidéo afin qu’il circule, ça marchera mieux comme ça.

D. S. A. La radio en vidéo, ça donne aussi parfois une « télé du pauvre », non ? Souvent, le système est entièrement automatique, la caméra se déclenche quand le micro de la personne devant est ouvert…

C. H. C’est vrai que l’investissement de départ est important. A Europe 1, il y a au minimum quatre caméras par studio. Mais on n’a pas envie d’aller plus loin, on ne veut pas refaire un plateau télé et garder l’esprit « radio ».

M. D. On adapte la façon de filmer au format de l’émission. Pour l’émission de Wendy Bouchard, à la mi-journée, on va la voir se déplacer, interroger des gens dans le public. Mais pour la matinale, au moment où les gens se réveillent avec nous, ce sera quelque chose de plus calme, comme un cocon.

F. W. Sur le terrain, on demande déjà aux reporters de ramener de quoi illustrer les contenus sur le site Web. Quand Etienne Monin en Syrie, on peut illustrer son témoignage par des photos et de la vidéo.

Mais on ne va pas en demander plus à nos reporters. L’idée, ce n’est pas de multiplier les vidéos, mais de se mettre à la place des « audionautes », et se dire : qu’est-ce qu’ils attendent de nous ?

La promesse de France info en radio, elle est claire : en se branchant on est sûr d’avoir dans les minutes qui suivent un round up complet de l’actualité.

Mais sur un player vidéo, ils attendent quoi de nous ? La réponse, c’est montrer ce qui se passe dans le studio, montrer la carte du pays évoqué, montrer les dernières actus du jour, faire défiler une alerte info…

Après, il y a la question des moyens. Je travaille à la Maison de la radio, et il n’y a pas de studio télé. On fait avec les locaux existants, qu’on essaie de rendre compatibles avec la captation vidéo. D’où les insatisfactions légitimes de François Rollin.

On parle de compétences qui n’existent pas en interne. On fait appel à des prestataires extérieurs, ça coûte cher, on ne peut pas les faire venir tous les mois.

Mais on n’arrivera jamais à avoir une image aussi bonne qu’à la télé, et ce n’est pas le but.

D. S. A. Quand on bosse pour le groupe Next Radio [qui regroupe RMC, BFM, 01Net…, ndlr], on doit faire des arbitrages entre faire des images, prendre du son, écrire un texte ?

N. G. C’est la vraie question. Pour le sport, il y a eu la création d’une agence chargée d’alimenter tous les supports.  Mais du côté de la rédaction « IG » [informations générales, ndlr], on continue à faire de la radio.

Comment on présente un journal radio à la télé ? Contrairement à la matinale de Jean-Jacques Bourdin, on n’a pas une très bonne qualité de vidéo.

Et sur le terrain, est-ce que le journaliste doit partir avec un Nagra [enregistreur son, ndlr] et un JRI [journaliste reporter d’images, ndlr] ? Ou alors avec un Nagra et une caméra ?

On sait que le son en télé est généralement moins bon, parce qu’avec de l’image ça passe quand même, alors qu’on ne pourrait pas s’en contenter en radio.

M. D. A Europe 1, la rédaction web et rédaction radio ne font qu’un, même s’il y a des journalistes web et des journalistes radio. Ils sont répartis dans les services et travaillent autour de la même table.

Il y a fusion même s’ils ne travaillent pas sur le même support. Et une forme de mutualisation. Par exemple, un journaliste web va passer des coups de fils « en cabine » pour enregistrer le son. Mais il ne va pas forcément monter le sujet complet. De même,  un journaliste radio peut écrire des brèves pour le site. Le tout sur la base du volontariat.

Tous les reporters sont équipés d’un iPhone et incités à filmer pour apporter un plus. Au moment de la diffusion, certains moments ne seront pas dans le reportage radio, trop court. On va s’en servir pour la version web, qui ne sera pas une simple reprise de la version radio avec des images. On aura un vrai plus par rapport au produit diffusé à l’antenne.

D. S. A. Avec un journalisme aussi multitâche, il n’y a pas un risque d’appauvrissement d’une forme ou d’une autre ?

F. W. A France Info, on ne demande pas aux gens d’être multitâche. Sur certains reportages, le journaliste radio part seul, et peut fournir une photo, postée ensuite sur le site par quelqu’un d’autre. Ça se limite à ça : l’envoi, quand c’est possible – et uniquement quand c’est possible – d’une photo.

A côté, on a des techniciens de reportage qui ont compris que leur métier évoluait et risquait de disparaître. Plusieurs ont demandé à se former à la photo, puis la vidéo. On l’a fait, et on les a équipés.

N. G. La formation est un point important : par exemple, des journalistes nous demandent de suivre des formations pour apprendre à intervenir en plateau, par exemple.

Ce n’est pas forcément un appauvrissement. Un journaliste de RMC parti sur une bonne histoire peut être appelé par BFM-TV, qui a entendu son sujet et veut le faire intervenir. De plus en plus souvent, il est capable de répondre à cette demande. Même chose dans le sens inverse.

F. W. Ça vient des reporters eux-mêmes, ils ont compris l’intérêt du public. Si l’interview en vidéo, ils savent qu’elle a plus de chances d’exister. Pas besoin que je vienne leur dire « tu sais, tu devrais travailler sur le Web ». Ce n’est pas seulement inquiétant, c’est aussi un enrichissement.

D. S. A. Filmer la radio, ça permet aussi de dégager des revenus supplémentaires ?

C. H. Les pubs pre-roll [spots qui se déclenchent avant le visionnage d’une vidéo sur le Web, ndlr] sont vendus trois à quatre fois plus chers que les formats web classiques.

Ça permet à Europe 1 de se placer sur un marché pub différent, en évitant de jouer dans la même cour que Le Monde ou Le Figaro, qui sont en position de force, mais de se retrouver avec des acteurs comme Canal +.

F. W. Je n’ai pas d’éléments chiffrés, mais on a aussi pre-roll, qui génére revenus supplémentaires.

A. V. Moi, j’ai remarqué qu’un jeune qui regarde un article, il le zappe en quelques secondes. Alors quand je vois des pre-roll qui durent vingt secondes… Du coup, j’ai décidé de ne pas ajouter ces pubs sur les vidéos Lor’FM.

C. H. On a 7 à 10 millions de vidéos vues chaque mois, dont 40% directement sur Dailymotion et 60% sur le site d’Europe 1.

A. V. A Lor’FM, , depuis qu’on diffuse de la vidéo, on a 20% d’internautes extérieurs à notre région.

D. S. A. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de « starisation » ? Les radios peuvent être tentées d’embaucher des personnalités fortes pour incarner l’antenne…

N. G. Evidemment, la personnalisation est accentuée dans le cas de Jean-Jacques Bourdin, mais non, on ne va pas choisir animateur parce qu’il passe bien à la télé.

F. W. Sur France Info, on a longtemps considéré que la star, c’était l’info, et peu importe qui la délivrait. Ça a changé, on incarne un peu plus les différentes tranches, mais les personnalités ne sont pas choisies selon leur profil télévisuel.

D. S. A. C’est quoi, finalement, l’avenir de la radio ?

F. W. Je ne sais pas de quoi est fait l’avenir de la radio, mais en tout cas l’image y jouera un rôle. Les nouveaux usages ne vont pas disparaître, mais la radio qu’on a connu depuis des décennies ne va pas disparaître non plus.

La vraie question, c’est : est-ce qu’on est pas en train d’uniformiser les médias ? Sur le Web, les radios, les télés, les pure player… font un peu les mêmes choses, en tout cas ils se servent des mêmes outils.

M. D. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’avenir de radio, plutôt l’avenir du Web. La radio restera la radio.

N. G. On va vers des convergences de médias, en tout cas c’est ce qu’on pense à RMC. Mais je n’ai pas trop de crainte pour la radio à l’ancienne.

Journalistes, occupez-vous des marques ou elles s’occuperont de vous”

Parmi les rencontres proposées ce vendredi aux Assises du journalisme, à Metz, pas mal de conférences assez plan-plan, mais des bonnes surprises, comme l’atelier « Espoirs et craintes du brand content ». « Journaleux » et « pubeux » y ont échangé autour de ce nouveau concept qui suscite extase autant qu’effroi.

Je vous ai préparé une synthèse des échanges, mais pour ceux qui n’ont pas tout suivi, deux définitions préalables :

      • le brand content ou « contenu de marques », soit des articles, vidéos, infographies… réalisées par les marques en complément ou en remplacement d’une campagne publicitaire traditionnelle. Par exemple, Red Bull édite son propre magazine consacré (notamment) aux sports extrêmes, The Red Bulletin.
Exemple de “native advertising“ sur Quartz.
Exemple de “native advertising“ sur Quartz.
      • le native advertising est une des modalités du brand content. Ce sont des publicités qui adoptent une présentation proche, voire très proche, de celle des articles produits par la rédaction. Ces contenus peuvent être produits par  l’annonceur ou par le média lui-même (dans sa rédaction ou dans un service dédié). Parmi les articles publiés sur le site d’actualité économique Quartz – lancé par le groupe qui édite le mensuel The Atlantic –, certains sont ainsi payés par des marques.

L’excellent John Oliver explique très bien dans cette vidéo ce que la rapide montée en puissance du native advertising a d’inquiétant.

https://www.youtube.com/watch?v=E_F5GxCwizc

Maintenant, place aux extraits du débat.

Amaury de Rochegonde (Stratégies). Le patron de Forbes prétend avoir sauvé ce magazine de la faillite grâce au native avertising.

Pour d’autres, y compris parmi les publicitaires, on est dans un mélange des genres qui risque de bousculer le « contrat de confiance » entre le lecteur et son média, comme l’a expliqué le patron d’Havas, Yannick Bolloré.

L’essayiste Jean-Claude Guillebaud estime lui que Forbes s’est sauvé « au prix du journalisme », que ce dernier a été sacrifié dans l’opération.

Mais d’autres encore y voient une chance extraordinaire :  le native advertising intègre la publicité de façon plus habile dans le corps éditorial ; la demande de rédacteurs augmente, le journaliste peut  trouver sa place dans ce système.

Benoit Campagne  (L’Express/Votre argent). La banque en ligne BforBank a ouvert il y a trois ans, un espace « Mon argent m’intéresse » sur notre site. La rédaction en chef négocie, ou plutôt discute avec l’annonceur pour savoir quels contenus, liés à l’activité de l’annonceur, vont être publiés dans cet espace.

Je peux mettre mon veto. Dès le départ, j’ai refusé qu’on y mette des articles trop spécifiques, par exemple sur des produits que cette banque peut vendre. Cette règle a été respectée depuis.

A de R. Les contenus sont signés « Caroline de Francqueville, rédaction Bforbank », mais il n’a y a pas de mention « publicité ». Ce n’est pas une obligation légale ?

Stéphane Martin (Autorité de régulation professionnelle d ela publicité, ARPP , ex-BVP). Ce genre de mentions est l’un des critères, mais ce n’est pas le seul. On doit pouvoir identifier qui parle, si le contenu a un  caractère publicitaire. Est-ce que la mise en page est différente du reste du site ?

Il faut avoir en tête ces bonnes pratiques, la catégorie du contenu doit être immédiatement identifiable.

A. de R. Mais ces articles peuvent être partagés sur les réseaux sociaux, où ils apparaissent comme du contenu « L’Express/Votre argent ». On brouille les repères, une lecteur pressé peut penser que c’est un contenu de la rédaction. Les annonceurs profitent de cette ambiguïté ?

S. M. Il ne faut pas « rogner » la signature de la marque. Mais aujourd’hui, les annonceurs ont besoin de prendre la parole sur tous les canaux, et ce de plus en plus souvent. Il y a donc des risques, ça nécessite du contrôle, des validations, c’est un métier.

Charles Deffontaines (Adyoulike). Il y a une demande des marques de chercher de l’engagement avec les utilisateurs. « Rentrer » vers le contenu est le meilleur moyen d’en créer, plutôt que de diffuser autour des pavés, des bannières et d’autres formats classiques, qui touchent peu la nouvelle génération de consommateurs.

Notre logique, c’est d’être le plus transparent possible, pas de berner le consommateur. Nous proposons deux types de mentions, selon le contenu :

      • Une de type éditorial : « publi-communiqué », « actu de marque », « publicité »…
      • Une autre liée à la campagne : « proposé par », « suggéré par », « sponsorisé par » selon les cas.

Charles Gros (Tradelab). Le secteur est en pleine évolution. Prenez le « retargeting », cette pratique qui consiste à vous montrer sur un site une publicité pour un produit que vous avez vu sur un autre site [par exemple, un livre que vous avez failli acheter sur le site de la Fnac et que vous allez revoir dans une pub d’un site d’actu, ndlr].

C’est énormément utilisé, ça fonctionne, mais après réflexion c’est aujourd’hui massivement rejeté : l’apport réel n’est pas évident, la cible n’est pas assez connue. Et puis une mauvaise diffusion a pu détruire de la valeur pour l’annonceur.

Le native advertising est une solution intéressante, parce qu’il passe par un retour aux fondamentaux : « Qui je touche avec cette campagne ? » Avec quel message ? »

Dans le même temps, il y a de nouveaux systèmes d’achat, comme le real time bidding [des systèmes complexes d’enchères en temps réel pour les espaces pub disponibles, ndlr].

On est dans un monde de cookies, de fingerprinting, où l’on connaît finement le profil de l’internaute. Les vieux, ça peut leur faire peur, mais les jeunes sont très demandeurs : ils préfèrent avoir une publicité ciblée, avec la bonne « créa » diffusée au bon moment.

Pour moi, ces évolutions sont positives. Le but n’est pas de biaiser, et puis si le contenu est impactant, innovant, moi je trouve ça très bien.

A de R. Est-ce que ça va de pair avec la montée de ce qu’on appelle le « web de l’attention » ? L’idée est que l’annonceur paie en fonction du temps passé par l’internaute devant la publicité, et plus seulement du nombre d’affichages ou de clics…

C. D. Oui, tout ça va revaloriser le contexte dans lequel la publicité est affichée. Si le contenu de marque correspond à la même typologie que l’éditeur, l’impact est plus fort : par exemple, un article sport en lien avec l’activité de la marque au milieu de la rubrique sport.

Des KPI [key performance indicators, soit les données qu’on analyse pour savoir si une campagne a bien marché, ndlr] comme le temps passé ou le nombre de partages s’en trouvent revalorisés.

A. de R. Chez Adyoulike, les publireportages sont faits par qui ?

C. D. Ce sont des contenus écrits par des rédacteurs, et pas des journalistes.

Cyrille Franck (Mediaculture). Dans ce débat, j’ai une position intermédiaire entre les églises et  l’Etat. Le contenu de marque est intéressant, mais il risque d’abîmer la marque… du média qui le publie.

Il y a des annonceurs pour qui c’est compliqué à imaginer – si Areva veut faire du native ad sur l’environnement, ça me pose des questions. Et il y a des sujets sur lesquels c’est compliqué à imaginer.

On le voit avec l’exemple de L’Express/Votre argent : il faut que le journaliste ait le final cut. Mais au-delà, il faut aussi savoir qui apporte le sujet, comment il est validé ? A quel moment je dis stop ? Est-ce que j’ai a la possibilité de dire stop ?

Au-delà du débat « c’est bien » ou « c’est mal », la question du comment, du process est importante. On doit évangéliser les annonceurs, leur expliquer qu’ils ne peuvent pas mentir aux lecteurs, qu’il y a des choses qu’on ne fera pas, qu’il y a des offres qu’on ne prendra pas.

A. de R. Auparavant, le lien annonceur/support passait par la régie, et du coup on pouvait dire : « Il y a une muraille de Chine entre la rédaction et la publicité. » Dans ce que vous décrivez, on est dans la porosité…

C. F. Oui, il faut plus de communication avec la régie, par exemple faire un planning rédactionnel afin qu’ils puissent « vendre » les sujets marronniers très en amont, sans en changer le traitement.

Deux logiques se heurtent : celle du commercial, qui veut faire son chiffre à court terme, et celle du média, qui joue sa réputation à long terme.

Je dis aux journalistes : « Si vous ne vous occupez pas du brand content, c’est le brand content qui va s’occuper de vous. » Il ne faut pas laisser les commerciaux décider de l’équilibre.

A de R. A L’Express, le SNJ a publié un communiqué pour exprimer ses réserves sur ce sujet…

B. C. Il y a des discussions en cours, je ne sais pas où ils en sont. La direction de la rédaction doit répondre.

Paradoxalement, j’ai remarqué que ça posait peut-être plus question au sein de la régie, ils se disent : « Les journalistes vont faire la gueule, penser qu’on dérape, que la pub arrive dans les contenus. »

Pourtant, au sein de la rédaction, on est conscients de l’importance de la pub pour payer les salaires.

Après, il faut le faire intelligemment. C’est d’ailleurs arrivé qu’on dise « non » à des propositions d’opérations venues de la régie.

A de R. Certains annonceurs ont une puissance de feu considérable, il y a une possible manipulation de l’opinion possible. Comment l’ARPP peut vérifier si un message est vrai, s’il n’est pas orienté ?

S. M. Il ne faut pas négliger la force des récepteurs. Il y a un risque d’abîmer une marque en cas de retour de bâton, et ce n’est pas son intérêt : elle est là pour être pérenne, elle craint le « bad buzz ».

C’est aussi vrai au niveau légal : la RSE [responsabilité sociétale des entreprises, ndlr] s’impose à elles. Une seule bonne com” très efficace ne peut pas justifier d’abandonner des décennies d’effort pour construire une belle marque.

Et s’il y a trop de dérapages, il y aura une loi, comme il y a eu celle de 1973 sur la publicité mensongère.

B. C. S’il y a dérapage, il y a une sanction immédiate, celle du lecteur. Chez nous, les commentaires sont ouverts, y compris sur le brand content, ils peuvent écrire : « Là, vous êtes en train de nous arnaquer. » Et tout ça peut être relayé sur Twitter et Facebook…

C. G. Ça me fait penser à deux marques avec qui on travaille : le fabricant de montres Swatch et la banque Crédit mutuel. Toutes deux ont une peur bleue du numérique.

On leur dit : « On peut travailler avec L’Express, Le Figaro, des médias bien établis. » Mais Swatch, par exemple, ne veut pas que sa pub s’affiche à côté d’un article sur l’alcool ou les cigarettes.

Ils veulent une complète maîtrise du contenu, ils ont une peur panique de détruire leur marque en suscitant un mauvais buzz.

Du coup, il faut une vraie communication entre la marque, le média, et les utilisateurs. Et il faut arrêter certains dispositifs malsains et très négatifs.

C. F. L’analyse des résultats est importante. Trop souvent, le seul critère qui compte est « quanti » (le nombre de pages vues, de visites…). C’est un critère dépassé. Il faut évaluer la qualité de l’audience, l’engagement, le nombre de partages.

Il faut se mettre d’accord avec l’annonceur, lui dire : « J’ai des objectifs “quanti” mais aussi “quali”, par exemple “3% d’engagement sur cet article”. » Il va falloir être bon et négocier.

C. D. Quand le contenu est de qualité, ça ne pose aucun problème aux journalistes de le diffuser. Personne n’a refusé de diffuser du Red Bull, c’est presque un honneur pour un média de diffuser du Red Bull.

Avec l’expérience de 500 campagnes, on se rend compte que la force du contenu est extraordinaire : la diffusion est décuplée s’il est bien adapté..

C. G. Arrêtons d’avoir des « sapins de Noël » sur les sites, d’accumuler les formats partout sur la page : bannières, pavés, interstitiels… Autant diffuser moins de formats, mais des formats plus impactants. On réduit le nombre d’impressions, l’utilisateur est content ; la pub restante est plus visible, l’annonceur est content ;  les tarifs sont plus élevés, le média est content.

5 trucs fascinants que j’ai appris lors des conférences Digital Intelligence

Je rentre de Nantes où se tenait cette semaine Digital Intelligence, trois jours de rencontres et de conférences consacrées au numérique et ce qu’il change dans nos vies. Voilà cinq trucs que j’ai appris grâce aux interventions des chercheurs invités à exposer leurs travaux et leur vision des bouleversements actuels.

1. Les bébés font des calculs de probabilité

Prenez un bébé, âgé de dix mois environ. Mettez-le devant un écran, sur lequel une animation montre plein de boules rouges et une seule boule bleue – en vrai, il vaut mieux réaliser l’expérience avec quelque chose de plus attrayant pour un bébé que des boules, comme des poneys ou des licornes, mais le principe est le même.

Les boules se déplacent aléatoirement à l’intérieur d’un cercle percé d’un orifice à sa base, un peu comme pour le tirage du Loto. De temps en temps, une des boules tombe dans le trou. Si elle est rouge, le bébé s’en fout. Si c’est l’unique boule bleue, son visage réagit plus longtemps.

C’est la preuve que son cerveau est capable de faire des probabilités : il « sait » que l’événement « la boule bleue tombe » a moins de chances de se produire que l’événement « une boule rouge tombe ». Intérieurement, il fait des maths niveau lycée alors qu’il est incapable d’avaler un petit pot sans en mettre plein son bavoir.

Un bébé de 12 mois regarde plus longtemps un événement improbable qu'un événement probable.
Un bébé de douze mois regarde plus longtemps un événement probable qu’un événement improbable (College-de-france.fr)

L’expérience est racontée par Gérard Berry, professeur au collège de France. Ces algorithmes à l’œuvre très tôt dans notre cerveau sont un sujet d’études pour les neuroscientifiques, mais ces derniers ne sont pas les seuls à les utiliser de plus en plus souvent dans leurs recherches.

« Des spécialistes de la physique des particules veulent parfois se mettre à l’astronomie, mais on ne peut rien en faire parce qu’ils ne maîtrisent pas les algorithmes », a un jour confié une chercheuse à Gérard Berry.

Il vaut en effet mieux être familier de ce mode de raisonnement quand on doit simuler l’explosion d’une supernova grâce à des modèles mathématiques avancés.

2. Internet est en train de changer l’amour

Quand on étudie les sites de rencontre sur Internet, la mauvaise question à se poser, c’est : « Est-ce que ça marche pour trouver l’amour ? » C’est la conviction de Michael Sinatra et Marcello Vitali-Rosati, chercheurs à l’université de Montréal.

Pour que les algorithmes de Meetic ou d’Adopte un mec soient capables d’une telle prouesse, il faudrait déjà se mettre d’accord sur ce que c’est que l’amour – ce dont l’homme semble incapable, vu la quantité de littérature publiée sur le sujet sans qu’un réel consensus semble se dégager.

Pour ces chercheurs, il vaut mieux se demander à quoi ressemble l’amour sur Internet, et chercher les valeurs qui l’animent, la vision de la relation qui s’en dégage. Vitali-Rosati :

« Le rapport au tabac est intéressant, par exemple. C’est un point souvent mis en avant et pourtant, en quoi le tabagisme joue-t-il un rôle dans le fait d’ aimer une personne, et pas juste dans le fait de vivre avec lui au quotidien ? »

Les sites de rencontre sont conscients de cette évolution en cours, mais ont un discours encore ambivalent.

Ils promettent de tout mettre en œuvre pour que l’amour, le vrai, l’unique, se manifeste enfin – ce qui est une façon de reconnaître sa nature aléatoire, multiforme et tyrannique. Mais ils entendent aussi donner à leurs utilisateurs le contrôle sur votre vie sentimentale.

Ces Cyrano de Bergerac modernes aident l’aspirant Christian à trouver une Roxane à son goût puis à la séduire, l’annonce et le profil remplaçant la missive enflammée et la scène du balcon.

L’étude des « algorithmes de l’amour » à l’œuvre sur ces services permet d’ouvrir la boîte secrète de nos comportements amoureux.

Mais allons-nous aimer ce que nous allons y trouver ? On sait déjà l’importance des photos dans le choix du partenaire potentiel (données que Tinder exploite déjà sans états d’âme), alors que les annonces cherchent, elles, des « relations sérieuses » et des « complicités intellectuelles ».

3. Les artistes font de la recherche scientifique aussi

Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais les associations entre des créateurs et des scientifiques croissent et embellissent, à l’exemple du Senseable City Lab au MIT ou du programme de « recherche-création » Hexagram, au Québec.

Selon Chris Salter, chercheur à l’université Concordia de Montréal, c’est un changement de paradigme qui est à l’œuvre. Il passe par un dépassement de la conception institutionnelle de la recherche, avec ses disciplines et ses champs de recherche délimités, ses structures et modes de financements bien définis.

Associer les artistes, c’est surtout reconnaître qu’ils peuvent créer de la connaissance en faisant, et pas seulement en pensant :

« Vous faites des études et enuite, soit vous écrivez des livres et vous êtes un scientifique, soit vous fabriquez quelque chose et vous êtes un artiste. […] Face à une œuvre, nous disons : “C’est de l’art, mais peut-être est-ce de la connaissance aussi ?” »

De façon plus prosaïque, les créateurs se tournent vers une université ou un studio laboratory privé pour obtenir des financements qu’ils ne trouvent plus ailleurs.

C’est là que vont se croiser les regards, s’élaborer de nouvelles méthodes et se monter des expériences d’un genre nouveau – « le mot français “expérience” est bien utile, parce qu’il a à la foi le sens de création et de recherche », estime Salter.

« La plupart des artistes parlent de leur travail comme un événement, une rencontre, une relation, une incarnation… et pas comme une nouvelle connaissance », concède-t-il. Mais les frontières sont de plus en plus floues.

4. Les feux rouges vont disparaître des villes

Imaginez des voitures sans conducteur, qui passent vous prendre à la sortie du boulot et vous ramènent chez vous avant de charger un autre client.

Maintenant, imaginez une ville dont on aurait retiré 80% des automobiles, devenus utiles grâce à ce partage généralisé, pour ne garder que ces véhicules automatiques.

On pourra alors se débarrasser des feux rouges, les voitures se débrouillant toutes seules pour savoir où et quand tourner – une tâche que les algorithmes, encore eux, sont capables d’effectuer mieux que les humains.

C’est cet avenir que dessine une étude de l’université du Texas, dans une vidéo qu’on vous recommande de ne pas reproduire rue de Rivoli.

Mais ce qui frappe l’imagination, c’est que les connaissances et les technologies nécessaires à une telle utopie – ou un tel cauchemar si vous travaillez chez les taxis G7 – existent déjà.

L’algorithme du carrefour sans feux rouges est, paraît-il, en démonstration en ce moment dans le parc de la Villette, à Paris (mais je n’ai pas trouvé trace de cette expérience sur le Web). Quand à la Google Car, elle commence à prendre des passagers réels, et plus seulement des ingénieurs, le temps d’une vidéo de promotion.

Si Carlo Ratti, du MIT, a dessiné ce rêve urbain, Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur à l’IUT de La Roche-sur-Yon qui tient le blog Affordance.info, s’est chargé un peu plus tard de faire cauchemarder tout le monde avec une question piège.

Que doit faire votre voiture sans conducteur si elle détecte une collision prochaine avec un bus rempli d’enfants, si son algorithme estime que la seule façon de leur sauver la vie est de vous envoyer, vous, dans le décor ? Doit-elle sauver le maximum de vies possibles ? Préserver son occupant à tout prix ? Chercher quel scénario coûtera le moins cher à la collectivité ?

Comme Asimov avait imaginé des lois de la robotique pour protéger l’homme de ses propres création, il faut inventer une éthique de l’algorithme. « Dans le couple homme-machine, la machine est de plus en plus tentée de faire l’homme », estime, gaillard, Ertzscheid.

5. L’armée française surveille aussi le deep web

Thierry Berthier, de la Chaire de cyberdéfense et cybersécurité Saint-Cyr Sogeti Thales (ouf), a effrayé un peu tout le monde avec une série de chiffres montrant la multiplication des cyberattaques un peu partout dans le monde.

Il a aussi expliqué que l’armée française a préparé le pendant numérique de l’intervention de la coalition contre l’Etat islamique, en suivant notamment l’activité ennemie sur les réseaux sociaux.

Interrogé sur la possibilité de passer par le « deep web » pour échapper à cette surveillance, il a expliqué que les armées avaient déjà les moyens de surveiller les échanges sur TOR, navigateur alternatif censé couvrir les traces de ceux qui l’utilisent. « De notre point de vue, il vaut mieux que ses utilisateurs continuent à croire que TOR est sécurisé, comme ça ils continueront à s’en servir… »

280 heures de design pour refaire le bouton Like de Facebook

Les conférences TED font partie de mes plaisirs coupables, même si la mécanique trop bien rodée des interventions, le côté prédicateur et souvent angélique des conférenciers peuvent agacer.

Mais des choses intéressantes s’y disent parfois, notamment sur les pratiques des géants du Web, comme avec ce talk de de Margaret Gould Stewart, directrice du design de Facebook, que j’ai vu passer en août sur YouTube.

https://www.ted.com/talks/margaret_gould_stewart_how_giant_websites_design_for_you_and_a_billion_others_too#t‑68827

Pour les gens pressés, j’ai passé le filtre anti-bullshit et relevé points-clés et quelques chiffres éclairants.

22 milliards d’affichage par jour pour le bouton Like

  • L'ancien et le nouveau bouton LIke
    L’ancien et le nouveau bouton LIke

    Créer les petits éléments d’interface d’un site ou d’une application ne constitue pas la partie la plus séduisante du travail de designer, mais quand il s’agit d’un service utilisé quotidiennement par des centaines de millions d’utilisateurs, chaque détail compte.

  • Le bouton Like actuel s’affiche « 22 milliards de fois par jour sur plus de 7,5 millions de sites web », explique  Gould Stewart [ce qui permet au passage à Facebook de recueillir des informations sur ses utilisateurs…  et les autres, comme le rappelait déjà Erwan Cario en 2010 dans Libération, ndlr].
  • Ce micro-bouton a nécessité « 280 heures de travail sur plusieurs mois »,  pour ajuster sa largeur et sa hauteur, le traduire et vérifier qu’il s’affiche correctement sur les navigateurs les plus anciens (« attention aux jolis dégradés et aux bordures », prévient-elle).

Ces photos Facebook qui nous rendent « tristes »

  • Lorsque Facebook a donné la possibilité à ses utilisateurs de signaler une photo qui, selon eux, contrevenait aux « standards de la communauté », ses équipes se sont retrouvées submergées par des rapports inappropriés. Des photos gênantes pour la personne qui figure dessus, mais qui restent « dans les clous » : rien ne vous interdit de publier une photo de votre collègue de travail éméchée au pot de fin d’année (sauf bien sûr si elle est torse nu), mais c’est un autre problème.
  • Facebook a d’abord ajouté la possibilité d’envoyer un message à l”  »ami » concerné pour lui demander le retrait.  Echec : 20% seulement des personnes concernées l’ont utilisé.
  • C’est finalement un changement dans le formulaire de signalement lui-même qui a permis d’améliorer la situation. Désormais, quand il veut faire retirer une photo, l’utilisateur peut choisir l’option « Je n’aime pas cette photo de moi », puis préciser pourquoi, par exemple en sélectionnant « Elle me rend triste. » Le taux d’utilisation a grimpé à 60%, et les auteurs des contenus concernés ont mieux compris la réaction de leurs « amis » mécontents.
Le formulaire actuel de signalement de photos sur Facebook

Le data ne fait pas tout

  • Gould Stewart déteste qu’on dise que le travail de design sur un site comme Facebook n’est guidé que par la compilation de statistiques d’utilisation (approche « data driven »). « Les données peuvent vous aider à rendre un bon design encore meilleur », mais n’ont jamais remplacé l’intuition.

Faire avec la résistance au changement

  • « Je passe pratiquement autant de temps à faire le design du message qui avertit d’un changement qu’à faire celui du changement lui-même », plaisante Gould Stewart. Les gens peuvent s’habituer à un mauvais design, et même devenir très bons dans son utilisation, rappelle-t-elle. La frustration est encore plus grande quand la page est modifiée.
  • Avant de travailler chez Facebook, Gould Stewart s’est occupé du changement de notation des vidéos YouTube : d’une échelle de cinq étoiles, le site est passé à deux pouces, l’un vers le bas, l’autre vers le haut.  Pour une raison simple (que j’ai aussi pu constater à Rue89, lorsque les commentaires étaient notées de 1 à 5 boules rouges) : les utilisateurs ne se servaient que de la note la plus basse et de la note la plus haute, pas des étoiles intermédiaires. Ça n’a pas empêché la colère des « noteurs », obligeant YouTube à s’expliquer dans la presse spécialisée.
Google, YouTube et Facebook sur des téléphones ancienne génération
Google, YouTube et Facebook sur des téléphones ancienne génération

Penser aux nouveaux usages et aux pays pauvres

  • Penser le design d’un site pour les téléphones ancienne génération, c’est moins glamour que de lancer une nouvelle application chic pour trouver le nouveau café branché, explique en substance Gould Stewart. Mais ce sont ces interfaces qu’utilisent et utiliseront des millions d’utilisateurs dans les pays pauvres.
  • Pour prendre ces nouvelles contraintes en compte, « nous sortons de notre bulle et nous rencontrons les gens pour qui nous réalisons ces designs, nous testons nos produits dans d’autres langues que l’anglais, et nous nous efforçons d’utiliser ce type de téléphones de temps en temps », raconte-t-elle.

En France, la plupart des sites d’infos sont encore bien loin d’avoir une approche aussi soigneuse quand ils pensent leur interface et plus globalement leur expérience utilisateur, faute de moyens suffisants et d’expertise en interne. Ça donne des pages surchargées de publicités, des systèmes de commentaires dépassés ou des versions mobile mal fichues.

Mais les médias ont tout intérêt à s’y mettre, alors que la chasse au clic montre ses limites, et que des objectifs comme le temps passé sur la page ou la fidélité des internautes sont de mieux en mieux pris en compte – sur ce sujet, voir les explications du populaire service de statistiques en temps Charbeat.