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Je veux plus d’expertes en plateau, mais je ne les trouve pas assez bonnes”

Montage de captures d'écran de présentatrices de journal télévisé.
Montage de captures d’écran de présentatrices de journal télévisé.

50% de femmes derrière la caméra, et 20% seulement devant : ces chiffres, qu’on retrouve d’une étude à l’autre, voire d’un pays à l’autre, montrent l’ampleur de la sous-représentation des femmes à la télévision.

Sur ce thème se tenait un débat passionnant samedi aux Assises du journalisme, à Metz. Voici une synthèse des échanges.

Dominique Fackler (Ina Stats). A la demande du CSA, nous avons travaillé sur la représentation des femmes dans les journaux télévisés, à la télévision (grandes chaînes et chaînes info) et à la radio.

Nous l’avons fait une première fois en 2013, et une nouvelle fois début 2014. Près de 11 000 sujets télé et plus de 2 000 sujets radio ont été analysés.

On s’est intéressé d’abord aux journalistes qui signent les sujets, ce qui permet de mesurer la place des femmes dans les rédactions. Sur un an, elles sont un peu moins présentes à la télé, et un peu plus à la radio. Les plus fortes baisses sont pour Arte et France 2. Dans ce classement, France 3 est en tête, M6 est dernière.

Côté chaînes info, i‑Télé est en forte baisse, de 15 points. Côté radios, la plus forte hausse est pour RMC, la plus forte baisse pour France Inter.

On a cherché à savoir si les femmes journalistes étaient plus présentes sur certaines thématiques. Selon nos chiffres, ce n’est pas le cas mais les angles peuvent être différents, par exemple avec davantage de sources féminines interrogées.

La deuxième partie de notre étude concerne les intervenants, les personnes qui sont interviewées lors de ces journaux télévisé. Pour l’ensemble des médias, il y a moins de 20% de femmes parmi eux, soit une femme pour quatre hommes.

France 3 est en tête avec 23%, Canal+ dernière avec 16%. Côté chaînes infos, le bon élève est I‑Télé : côté radios, c’est France inter.

Quand on regarde qui sont les personnalités féminines les plus interviewées à la télévision, ce sont à 95% des femmes politiques. L’étude a eu lieu au premier trimestre 2014, pendant la campagne municipale, Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet sont donc très présentes.

On s’aperçoit que la radio interviewe très peu les femmes. Une seule radio a interviewé plus de trois la même femme sur la période étudiée, c’était France Inter.

Marlène Coullomb-Gully (professeur à l’université Toulouse II). On retrouve ce chiffre de 20% dans d’autres études. C’est une sous-représentation manifeste par rapport aux hommes, puisque les femmes représentent 52% de la population.

Finalement, le média le plus gender friendly, c’est la télévision. Les femmes ont de grosses difficultés à la radio, notamment à cause de la voix. Il y a même eu une période où les journalistes femmes étaient systématiquement retoquées : on considérait qu’une voix féminine n’avait pas assez de légitimité pour présenter les infos à la radio.

Si vous prenez les trois matinales les plus écoutées (France Inter, Europe 1 et RTL), il n’y a jamais eu de femmes à leur tête.

Ruth Elkrief (BFM-TV). France Info a eu Raphaëlle Duchemin et a aujourd’hui Fabienne Sintes…

M. C.-G. C’est vrai, mais pour les autres, c’est plus des matinales, mais des « matimâles ». Mais c’est encore pire en presse écrite, qui est plus focalisée sur la politique et l’économie, thèmes où les hommes sont en position de force.

Il y a une double ségrégation : d’abord verticale, c’est le « plafond de verre » ou « plancher collant » qui empêche les femmes de monter dans la hiérarchie ; ensuite horizontale, ce sont les domaines dans lesquels les femmes se retrouvent assignées.

R .E. Ça change, quand même : la campagne municipale à Paris en est la preuve, avec trois femmes qui s’affrontaient.

Quand on parle des médias, on parle aussi de la capacité à être audible, à passer à l’antenne.

Par principe, je ne fais pas de la discrimination positive. Et quand on trouve des femmes douées, qui connaissent les codes de la communication, qui prennent des risques et ne se limitent pas à  langue… alors on va les chercher autant que les hommes.

La question, c’est : est-ce qu’elles osent parler, prendre des risques ? Je me souviens qu’au début, les femmes politiques qu’on invitait ne venaient que si elles considéraient qu’elles avaient quelque chose à dire…

Quand elles venaient, elles étaient très langue de bois, très disciplinées. Ce n’est pas un hasard si la première à avoir explosé médiatiquement, c’est Ségolène Royal, qui accepte de prendre des risques.

Ça va avec la parité au gouvernement : si les femmes ministres osent assumer leur position de pouvoir, alors elles seront plus visibles.

Mais ça change, je m’aperçois parfois qu’en une semaine, j’ai eu à deux ou trois reprises des femmes sur mes plateaux.

M. C.-G. Même quand les femmes ne souhaitent pas mettre en avant le fait qu’elles sont des femmes, les médias les ramènent à leur condition de femmes.

Ça passe par des choses anodines, parfois. On les interroge en tant qu’épouse et mère, alors que les hommes ne sont jamais interrogés en tant qu’époux et père.

On mentionne leur apparence physique, leur robe, leur coupe de cheveux. On utilise le prénom : on parle de « Ségolène », du débat « Ségo/Sarko ». C’est symbolique : le prénom relève de l’espace personnel, privé ; désigner une femme par son prénom, c’est la renvoyer à cette sphère.

Ensuite, il y a cette liste de surnoms « typifiants » qu’on leur accole en permanence : « la pasionaria », « l’égérie », « la madonne », « la Walkyrie », « la muse »… On ramène les femmes politiques à des types.

Enfin, il y a les adjectifs. On dira d’un homme politique qu’il a du caractère, d’une femme politique qu’elle a mauvais caractère.  Un homme politique est autonome, une femme politique est incontrôlable – c’est ce qu’on dit souvent de Royal ou de Taubira.

On dit que dans le Panthéon grec, s’il y a beaucoup de déesses, le divin ne s’exprime qu’au masculin. De même, il y a des femmes politiques mais le politique ne s’exprime qu’au masculin.

Annette Young (présentatrice de The 51%, sur France 24). J’ai 51 ans, j’ai vu les choses beaucoup évoluer au sein des rédactions depuis trente ans .

Quand j’ai démarré, j’ai commencé dans l’équivalent du Monde en Australie : aucun rédacteur en chef n’était une femme. Depuis, les changements  ont été spectaculaires.

Mais une salle de rédaction reflète l’ensemble de la société. Et journaliste, c’est un métier où il faut disposer de temps, ce n’est pas facile de concilier vies personnelle et professionnelle.

Il faut aussi parler de l’aspect psychologique : les hommes de ma génération s’identifient, fréquentent, s’intéressent surtout aux autres hommes.

Nous sommes des êtres humains, empreints de subjectivité et façonnés par notre milieu, notre éducation.

Le cerveau prend des raccourcis pour se repérer dans le flux d’informations qui l’assaille : il jugera toujours un homme avec des cheveux gris plus crédible que moi, une femme brune. C’est ça, la grande injustice, et c’est ce qui est en train de changer.

Thierry Thuillier (directeur des programmes de France 2).  Mon chef de service quand j’ai commencé, c’était Ruth Elkrief, sur TF1… Et à France télévisions, j’ai remplacé une femme [Arlette Chabot, ndlr].

Pour autant, c’est vrai qu’il y a un problème pour les femmes au plus haut niveau de l’encadrement. J’ai nomme des femmes rédactrices en chef (Agnès Vahramian, Agnès Verdier-Molinier). C’est la première fois qu’une femme est en charge du JT de 20 heures sur France 2. C’est dire si on était en retard, c’est spectaculaire alors que ça ne devrait pas l’être.

On a pas mal féminisé aussi les éditorialistes, notre éditorialiste politique est une femme. Ça n’a pas été si simple : pas mal de ces femmes ont eu un premier réflexe de refus, trouvant la fonction très lourde, ne se sentant pas prête pour des raisons familiales. Pour la convaincre, j’ai dit à Agnès : « Moi aussi, j’ai des enfants, moi aussi, je veux rentrer plus tôt du travail pour m’en occuper. »

On enclenche quelque chose. Il faut tracer la route, pour que les femmes prennent leur place. Je suis optimiste : on a mis en place un baromètre en interne pour mesurer la place des témoins et experts femmes, quelque chose assez strict, mais un jour, il deviendra inutile.

On a mis en place cet outil parce que si on se contente de dire « allez, il faut trouver des experts femmes, aller en région, changer nos habitudes » tout le monde acquiesce, et puis tout le monde oublie.

On a donc fixé des objectifs et on fait des points trimestriels avec les chefs. Il faut y aller à marche forcée. Et je précise qu’on n’a pas attendu le CSA pour s’y mettre.

Donna Taberer (BBC). Dans notre rédaction, hommes et femmes sont à 50–50. Dans la hiérarchie, on a quelques directrices, mais la sous-représentation encore forte.

Récemment, une proposition de promotion interne a été publiée, concernant quatre postes. Sur les dix-sept candidats, un seul était une femme. Le responsable du recrutement a refusé d’aller plus loin, et a recommencé la procédure. Finalement, deux femmes ont été prises.

Mais ce n’est pas forcément un problème de sexisme, plutôt le signe que les femmes n’osent pas.

M. C.-G. Une étude réalisée au niveau européen montre que lorsqu’on on monte, le rapport femmes-hommes passe de 50%-50% à 70%-30% pour la hiérarchie intermédiaire et 10%-90% pour le top management.

R. E. A BFM-TV, on est obligés de faire attention à prendre des hommes pour les postes de base… Mais ce sont plutôt des hommes qui sont les patrons, c’est clair. Et les dernières nominations ont été des hommes.

La question, c’est la stratégie de pouvoir des femmes. J’étais le chef de Thierry Thuillier au début de sa carrière, et maintenant il est à un poste plus haut dans la hiérarchie.

Je n’ai pas aimé être chef, j’étais dans un rapport plus hédoniste à mon métier : je voulais me faire plaisir. Je ne me suis pas projetée dans une situation de pouvoir. C’est pourtant ce qu’il faut faire pour l’atteindre et y rester.

Il faut convaincre les femmes qu’elles peuvent avoir le pouvoir, et continuer à avoir une vie personnelle.

Il y a eu une époque de rêve, c’était avec Michèle Cotta, à TF1 ou France Télévisions. Ses chefs de service étaient pour moitié des femmes.

A. Y. Il faut faire du réseautage, profiter des relations. Les femmes s’en veulent souvent de ne pas être assez dures, elles sont dans l’autoflagellation, elles pensent manquer de contacts. Parfois, il faut s’en prendre à nous-mêmes.

La démographie change :en Grande-Bretagne aujourd’hui, beaucoup de quarantenaires ne sont pas mères. Elles s’absentent moins du lieu de travail et pourront être prises pour des postes à responsabilité. Elles seront un vrai cheval de Troie, ce sera déterminant pour la suite, pour la capacité des femmes à s’affirmer.

Ségolène Hanotaux (collectif Prenons la une).  Avec 50% de femmes journalistes dans les rédactions, pourquoi a‑t-on 20% d’interviewées seulement ?

M. C.-G. Pendant longtemps, le fait que le journaliste soit une femme n’avait pas d’impact dans le choix des personnes interviewées. Mais récemment, on a vu un infléchissement dans les études : les femmes journalistes commencent à avoir davantage tendance à interviewer des femmes.

C’est le signe que la question des rapports hommes/femmes a été conscientisée : on sait qu’il ne suffit pas d’être une femme pour être féministe.

T. T. Il y aussi des contraintes de temps qui expliquent ce conformisme : pour aller vite, on prend toujours les mêmes, des hommes. Du coup, à France Télévisions, on a travaillé sur un guide des expertes, qui contient  400 noms de femmes experts à disposition des rédactions, avec leur numéro de portable et leur adresse e‑mail. On l’a partagé avec les autres rédactions du groupe.

Ce guide est utilisé, au moins par une partie des journalistes : le combat contre le conformisme, c’est quelque chose qui doit être quotidien.

On a organisé des formations pour la hiérarchie, pour que cette ambition-là soit diffusée. Au début, on a eu beaucoup de mal à faire venir les hommes pour suivre ces sessions.

Mais si on ne fait pas tout ça, on devra passer par la loi, la contrainte, les quotas. Je préfère que ce soit nous qui nous prenions en main.

D. T. Nous avons lancé le programme Expert Women de la BBC Academy parce que nous avions les mêmes chiffres que vous, le plafond de 20%. Maintenant, on en est à trois hommes pour une femme [soit 25% de femmes, ndlr], c’est la preuve que ça peut changer.

On a lancé une chaîne YouTube, un espace sur LinkedIn, on a édité des bases de données, fait des cours solides et approfondis et oui, on a fait  un peu de discrimination positive.

Sur les 364 expertes formées à la BBC Academy, 74 ont percé, et sont apparus dans des centaines de reportages.

On leur a demandé ce qui se passait quand un journaliste les appelait avant qu’elles suivent cette formation. Beaucoup refusaient, renvoyaient vers un homme, même s’il était moins expérimenté. Il y a ce syndrome de l’usurpatrice, cette idée qu’un homme sera toujours meilleur qu’elles.

Pour moi, les quotas ne fonctionnent pas : il faut que les femmes expertes se fassent valoir elles-mêmes et feront de même.

T. T. A l’université France Télévisions, on forme les chefs, mais pas les expertes.

S. H. Est-ce que les gens du service des sports y vont ?

T. T. Le service des sports n’est pas sous ma responsabilité, mais je vois très bien à quoi à faire illusion…

R. E. J’ai souvent l’impression que les femmes se disent : « Je suis une élève appliquée, je fais bien mon travail, je n’ai pas besoin de passer à la télé. » Et ben si. Les médias structurent le monde, et vous pouvez avoir du pouvoir.

De mon côté, je me gendarme, je me police, je dis : « Ça fait quinze jours qu’il n’y a pas assez de femmes, c’est pas possible. »

C’est plus simple d’appeler les mêmes mecs : ils sont bons, il savent qu’il faut être clair, pas trop long. Sur une chaîne info, vous devez être percutant, vous devez aller vite. Je suis exigeante, sévère, parfois injuste. Je voudrais avoir davantage d’expertes dans certains domaines, mais je ne les trouve pas assez bonnes.

C’est pour ça que BBC Academy très bonne idée.

A. Y. Il y a un autre blocage : la volonté d’être aimé. Pour une femme, ça veut dire ne pas paraître comme autoritaire ou malpolie. On voit qu’on demande tout et son contraire aux femmes…

Comme présentatrice, c’est très dur de trouver des femmes à Paris qui parlent assez bien anglais et qui se sentent suffisamment en confiance pour passer dans mon émission sur France 24.

Et je me rends compte qu’il faut avoir un encadrement qui pense ces questions-là,  qui est conscient du problème et s’en occupe concrètement. La volonté doit venir d’eux. A France 24, on diffuse 24h/24, c’est comme une grosse moissonneuse batteuse, on ne sait pas ce qu’on va diffuser dans une heure, on ne peut pas penser à long terme ?

Du coup, je me demande s’il ne faut pas une obligation légale pour forcer les managers.

A. H. En France, elle existe en partie, d’ailleurs l’objectif du CSA est d’arriver à 30% d’expertes à la fin de l’année, on verra s’il déclenche les sanctions.

D. T. Je pense que les objectifs internes sont meilleurs que les quotas. A la BBC, la politique c’est d’avoir au moins un femme dans chaque station locale et une femme dans chaque émission de divertissement. C’est l’affaire de tous, des salariés lambdas au grand patron.

Mais il faut arrêter de dire que c’est dur, sinon c’est utilisé comme excuse. On est 52%, ce n’est pas si difficile.

T.  T. Le PDG de France TV a demandé qu’il y ait au moins une femme candidate quand un poste de direction est ouvert au recrutement. Moi aussi, je préfère que l’ensemble de l’entreprise s’engage.

M. C.-G. D’accord, mais on peut trouver que ça ne va pas très vite. On a hurlé quand la parité a été instaurée en politique ; pourtant, aujourd’hui, personne ne propose de la supprimer, et ça a permis aux choses de bouger. Il ne faut pas être systématiquement opposé à des quotas.

R. E. Pour moi, la sensibilisation est en train de fonctionner. Quand il y a une femme patronne dans une rédaction, elle donne envie, et elle sert de modèle. La compétence est importante, mais avoir des femmes à la tête des médias est important pour les salariées.

Je me souvient d’une phrase du juge Marc Trévidic, qui me rappelait que les femmes sont désormais ultra majoritaires dans la magistrature. « Bientôt il n’y aura plus que des femmes magistrats, donc bientôt il y aura des femmes aux postes plus prestigieux, c’est inévitable. » C’est la même chose pour les rédactions.

Après, le pouvoir réel, ce n’est pas forcément dans un comité de direction paritaire qu’il s’exerce. Parfois, c’est dans une discussion entre mecs dans un bureau fermé, avec un homme politique au téléphone. Je l’ai vécu, et c’est pour ça que je n’ai pas aimé être chef.

Les hommes sont programmés dès le plus jeune âge puis au fil de leurs études à se voir à un haut niveau de pouvoir.

Mais je ne suis pas favorable à une loi, en tout cas pas tout de suite. Laissons sa chance à la sensibilisation. Peut-être que dans cinq ans, j’aurai un autre avis.

D. F. Si on regarde l’évolution entre 2013 et 2014, on voit qu’elle est positive : on est passés de 18,9% à 20,1% de femmes parmi les interviewés pour les chaines généralistes. Pour les chaînes info, il y a stagnation. A la radio, on passe de 16,5% à 17,7%. RTL est en baisse, Europe 1 en hausse de 5 points.

R. E. Pour les invités politiques, c’est plus facile, grâce à la parité. Mais il y a des domaines où on y arrive pas.

Au passage, rappelons que les discriminations qui touchent les entreprises touchent aussi les entreprises de presse : les femmes représentent 54% des CDD et 58% des pigistes, par exemple. […]

Je voudrais revenir sur une chose : quand j’ai Nathalie Kosciusko-Morizet en plateau et que je lui dis : « Vous avez changé de coiffure », je ne considère pas que c’est du sexisme.

M. C.-G. Il faut que vous posiez la même question à Montebourg…

R. E. Quand j’ai reçu Bruno Lemaire, je lui en parlé de sa chemise, qu’il porte ouverte plus souvent depuis qu’il est candidat à la présidence de l’UMP, pour faire plus jeune. C’est aussi une analyse de leur com”.

Dans le public. Avoir plus de femmes journalistes, est-ce que ça change quelque chose au journalisme lui-même ?

T. T.  Sur les terrains dangereux, les femmes sont un peu plus déterminées et courageuses. Mais sinon, je ne vois pas de changement.

R. E. Je ne pense pas qu’il y ait un œil féminin sur l’information. Il peut y avoir des approches différentes ponctuellement. Ça me rassurerait qu’il n’y ait pas de généralisation. Il y a une formation, un professionnalisme qui peut se retrouver chez les hommes et chez les femmes.

D. T.  Si on ne reflète pas la diversité de l’audience, on perd en audience. Pour la BBC, il ne s’agissait pas que d’avoir plus des femmes, mais aussi d’avoir de nouveaux sujets, des sujets apportés par expertes femmes.

Du coup, on a organisé des rencontres entre journalistes et expertes, et on a donné le numéro de téléphone des premiers aux secondes. Et ça a changé le contenu des informations.

Dans le public. On n’a pas parlé de l’écart de rémunération, qui augmente quand on monte dans la hiérarchie…

R. E. C’est la même chose dans les médias que dans le reste des entreprises. Là, on rentre dans le dur.

M. C.-G. Les femmes négocient moins leur salaire que les hommes, elles vont moins souvent voir leur supérieur hiérarchique. Aux futures journalistes dans la salle, je dis : « Il faut aller négocier votre salaire. » Les femmes pensent souvent qu’elles doivent être reconnues d’elles-mêmes.

Une interview à la radio, c’est facile à filmer. Illustrer un journal entier, c’est plus dur”

Diffusé mardi sur France Inter, le billet de François Rollin sur la généralisation des caméras dans les studios radio était bien troussé et il a flatté le nostalgique de l’analogique qui sommeille en chacun de nous.

http://www.dailymotion.com/video/x27w1k0_le-billet-de-francois-rollin-la-radio-c-est-la-radio_news

Pourtant, à en croire les intervenants de l’atelier « Radio : micro ou vidéo ? » aux Assises du journalisme vendredi à Metz, les équipes des grandes stations se mettent plutôt de bonne grâce à la vidéo, qu’il s’agisse de filmer les échanges en studio ou de ramener des séquences prises en reportage.  Ma synthèse des échanges.

Frédéric Wittner (France Info). Ce que dit François Rollin, je l’ai beaucoup entendu. Ça nous pose des questions, forcément : quels moyens on met, en termes de lumière ou de cadrage ? Est-ce qu’on met en péril le « mystère de la radio » dont les gens parlent tant ? Est-ce qu’il faut tout filmer ?

Maude Descamps (Europe 1). Sur Europe 1, la montée en puissance de la vidéo s’est bien passée. On a commencé à filmer ce qui se passe en studio en 2007, et ça s’est généralisé en 2012. Les journalistes ont désormais l’habitude.

C’est vrai que les cadrages sont tout pourris parfois, mais on s’efforce d’éviter ça : il y a désormais une vraie régie vidéo, avec des réalisateurs, et pas seulement des caméras automatiques.

On cherche à mettre en scène les coulisses, à illustrer la « magie de la radio ». Il ne s’agit pas seulement de regarder pour écouter, mais aussi d’emmener dans les gens dans l’univers d’Europe 1. Ça leur plait beaucoup.

Devant le micro, la façon de travailler n’a pas changé. Certains présentateurs en jouent, par exemple en montrant une feuille à la caméra pendant la revue de presse. Mais ça ne se fait pas au détriment de l’auditeur, ça va enrichir l’émission.

Claire Hazan (Europe 1). Les réalisateurs sont plutôt demandeurs, ils viennent me voir en demandant : « Nous, on n’est pas filmés, comment on peut faire ? »

Nicolas Grébert (RMC). Côté RMC, ça s’est plutôt bien passé. Mais on est dans un cas de figure différent, parce que des émissions de la radio sont aussi diffusées à la télé : la matinale de Jean-Jacques Bourdin est en partie sur RMC Découverte et en partie sur BFM-TV. Du coup, on a les moyens de la télévision : du maquillage, des caméras…

Mettre une image sur des visages, c’est vrai que c’est curieux pour un amoureux de la radio. Mais si on peut regarder la télé sans le son, on ne peut pas le faire avec la radio filmée.

Alain Vicci (Lor’FM). Les équipes sont totalement impliquées, elles se sont emparé de la vidéo. On ne diffuse pas toute la journée, on le fait pour des showcases et les émissions de talk show. Les animateurs et les journalistes ne se sentent pas dérangés dans leur vie personnelle ou dans leur métier. Ils continuent à faire de la radio et ne se sentent pas « à la télévision ».

F. W. Je suis très attaché au terme « radio visuelle ». On peut toujours écouter sans voir, on n’impose à personne de regarder les images. Sur le site, on peut se brancher sur le direct radio ou le direct vidéo, au choix. On ne pénalise pas l’écoute radio.

Le terme « radio filmée » est très réducteur. Il ne s’agit pas de faire de la vidéo ou de la sous-télé. Ce que je veux faire sur France Info, et ça n’existe pas encore, c’est de la radio visuelle.

Il ne s’agit pas de filmer le studio et ce qu’il s’y passe : pour quelques moments intéressants, il y a plein de moments où la plus-value n’est pas évidente.

Il faut proposer une offre visuelle dans laquelle il y a de la vidéo, mais pas seulement. On est en train de faire du multimédia, on va agréger dans une offre visuelle tout ce qui apporte une plus-value à l’offre radio. Ça peut être une infographie, une photo, un texte, une info de  dernière minute…

N. G.  Le talk, c’est ce qu’il y a de plus simple à filmer : une interview, c’est simple en images. Illustrer des journaux entiers, c’est bien différent.

Jean-Jacques Bourdin est seul dans le studio pour faire l’interview politique, il y a une mise en scène prévue pour la télé mais elle renforce l’intensité des échanges, et la radio en profite aussi.

Didier Siammour (journaliste et chroniqueur). Filmer la radio, ça permet d’aller chercher un public qui aurait tendance à la délaisser ?

C. H. C’est vrai qu’un son est beaucoup moins consulté en ligne qu’une vidéo. Ça nous permet d’aller chercher des jeunes sur YouTube ou Dailymotion. Par exemple, la vidéo de Xavier Nolan s’exprimant sur le mariage gay a beaucoup circulé , pas sûr que ç’aurait été le cas avec le son seulement.

F. W. Les radios sont toutes confrontées au vieillissement de leur auditoire. Il faut convaincre les plus jeunes de venir.

N. G. Il n’y a pas de volonté de faire du buzz pour obtenir des vidéos virales. On travaille de la même manière. On fait essentiellement de la radio.

Après, on voit que les chaînes d’info grignotent de l’audience, notamment le matin, il faut en être conscients. Un son ne s’écoute pas, ou peu, sur le Web. Il faut une image, l’information s’y regarde. On peut perdre le moins possible d’auditeurs en intégrant ça.

F. W. On sait que si on a un très bon son, il faut lui coller une image prétexte pour en faire une vidéo afin qu’il circule, ça marchera mieux comme ça.

D. S. A. La radio en vidéo, ça donne aussi parfois une « télé du pauvre », non ? Souvent, le système est entièrement automatique, la caméra se déclenche quand le micro de la personne devant est ouvert…

C. H. C’est vrai que l’investissement de départ est important. A Europe 1, il y a au minimum quatre caméras par studio. Mais on n’a pas envie d’aller plus loin, on ne veut pas refaire un plateau télé et garder l’esprit « radio ».

M. D. On adapte la façon de filmer au format de l’émission. Pour l’émission de Wendy Bouchard, à la mi-journée, on va la voir se déplacer, interroger des gens dans le public. Mais pour la matinale, au moment où les gens se réveillent avec nous, ce sera quelque chose de plus calme, comme un cocon.

F. W. Sur le terrain, on demande déjà aux reporters de ramener de quoi illustrer les contenus sur le site Web. Quand Etienne Monin en Syrie, on peut illustrer son témoignage par des photos et de la vidéo.

Mais on ne va pas en demander plus à nos reporters. L’idée, ce n’est pas de multiplier les vidéos, mais de se mettre à la place des « audionautes », et se dire : qu’est-ce qu’ils attendent de nous ?

La promesse de France info en radio, elle est claire : en se branchant on est sûr d’avoir dans les minutes qui suivent un round up complet de l’actualité.

Mais sur un player vidéo, ils attendent quoi de nous ? La réponse, c’est montrer ce qui se passe dans le studio, montrer la carte du pays évoqué, montrer les dernières actus du jour, faire défiler une alerte info…

Après, il y a la question des moyens. Je travaille à la Maison de la radio, et il n’y a pas de studio télé. On fait avec les locaux existants, qu’on essaie de rendre compatibles avec la captation vidéo. D’où les insatisfactions légitimes de François Rollin.

On parle de compétences qui n’existent pas en interne. On fait appel à des prestataires extérieurs, ça coûte cher, on ne peut pas les faire venir tous les mois.

Mais on n’arrivera jamais à avoir une image aussi bonne qu’à la télé, et ce n’est pas le but.

D. S. A. Quand on bosse pour le groupe Next Radio [qui regroupe RMC, BFM, 01Net…, ndlr], on doit faire des arbitrages entre faire des images, prendre du son, écrire un texte ?

N. G. C’est la vraie question. Pour le sport, il y a eu la création d’une agence chargée d’alimenter tous les supports.  Mais du côté de la rédaction « IG » [informations générales, ndlr], on continue à faire de la radio.

Comment on présente un journal radio à la télé ? Contrairement à la matinale de Jean-Jacques Bourdin, on n’a pas une très bonne qualité de vidéo.

Et sur le terrain, est-ce que le journaliste doit partir avec un Nagra [enregistreur son, ndlr] et un JRI [journaliste reporter d’images, ndlr] ? Ou alors avec un Nagra et une caméra ?

On sait que le son en télé est généralement moins bon, parce qu’avec de l’image ça passe quand même, alors qu’on ne pourrait pas s’en contenter en radio.

M. D. A Europe 1, la rédaction web et rédaction radio ne font qu’un, même s’il y a des journalistes web et des journalistes radio. Ils sont répartis dans les services et travaillent autour de la même table.

Il y a fusion même s’ils ne travaillent pas sur le même support. Et une forme de mutualisation. Par exemple, un journaliste web va passer des coups de fils « en cabine » pour enregistrer le son. Mais il ne va pas forcément monter le sujet complet. De même,  un journaliste radio peut écrire des brèves pour le site. Le tout sur la base du volontariat.

Tous les reporters sont équipés d’un iPhone et incités à filmer pour apporter un plus. Au moment de la diffusion, certains moments ne seront pas dans le reportage radio, trop court. On va s’en servir pour la version web, qui ne sera pas une simple reprise de la version radio avec des images. On aura un vrai plus par rapport au produit diffusé à l’antenne.

D. S. A. Avec un journalisme aussi multitâche, il n’y a pas un risque d’appauvrissement d’une forme ou d’une autre ?

F. W. A France Info, on ne demande pas aux gens d’être multitâche. Sur certains reportages, le journaliste radio part seul, et peut fournir une photo, postée ensuite sur le site par quelqu’un d’autre. Ça se limite à ça : l’envoi, quand c’est possible – et uniquement quand c’est possible – d’une photo.

A côté, on a des techniciens de reportage qui ont compris que leur métier évoluait et risquait de disparaître. Plusieurs ont demandé à se former à la photo, puis la vidéo. On l’a fait, et on les a équipés.

N. G. La formation est un point important : par exemple, des journalistes nous demandent de suivre des formations pour apprendre à intervenir en plateau, par exemple.

Ce n’est pas forcément un appauvrissement. Un journaliste de RMC parti sur une bonne histoire peut être appelé par BFM-TV, qui a entendu son sujet et veut le faire intervenir. De plus en plus souvent, il est capable de répondre à cette demande. Même chose dans le sens inverse.

F. W. Ça vient des reporters eux-mêmes, ils ont compris l’intérêt du public. Si l’interview en vidéo, ils savent qu’elle a plus de chances d’exister. Pas besoin que je vienne leur dire « tu sais, tu devrais travailler sur le Web ». Ce n’est pas seulement inquiétant, c’est aussi un enrichissement.

D. S. A. Filmer la radio, ça permet aussi de dégager des revenus supplémentaires ?

C. H. Les pubs pre-roll [spots qui se déclenchent avant le visionnage d’une vidéo sur le Web, ndlr] sont vendus trois à quatre fois plus chers que les formats web classiques.

Ça permet à Europe 1 de se placer sur un marché pub différent, en évitant de jouer dans la même cour que Le Monde ou Le Figaro, qui sont en position de force, mais de se retrouver avec des acteurs comme Canal +.

F. W. Je n’ai pas d’éléments chiffrés, mais on a aussi pre-roll, qui génére revenus supplémentaires.

A. V. Moi, j’ai remarqué qu’un jeune qui regarde un article, il le zappe en quelques secondes. Alors quand je vois des pre-roll qui durent vingt secondes… Du coup, j’ai décidé de ne pas ajouter ces pubs sur les vidéos Lor’FM.

C. H. On a 7 à 10 millions de vidéos vues chaque mois, dont 40% directement sur Dailymotion et 60% sur le site d’Europe 1.

A. V. A Lor’FM, , depuis qu’on diffuse de la vidéo, on a 20% d’internautes extérieurs à notre région.

D. S. A. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de « starisation » ? Les radios peuvent être tentées d’embaucher des personnalités fortes pour incarner l’antenne…

N. G. Evidemment, la personnalisation est accentuée dans le cas de Jean-Jacques Bourdin, mais non, on ne va pas choisir animateur parce qu’il passe bien à la télé.

F. W. Sur France Info, on a longtemps considéré que la star, c’était l’info, et peu importe qui la délivrait. Ça a changé, on incarne un peu plus les différentes tranches, mais les personnalités ne sont pas choisies selon leur profil télévisuel.

D. S. A. C’est quoi, finalement, l’avenir de la radio ?

F. W. Je ne sais pas de quoi est fait l’avenir de la radio, mais en tout cas l’image y jouera un rôle. Les nouveaux usages ne vont pas disparaître, mais la radio qu’on a connu depuis des décennies ne va pas disparaître non plus.

La vraie question, c’est : est-ce qu’on est pas en train d’uniformiser les médias ? Sur le Web, les radios, les télés, les pure player… font un peu les mêmes choses, en tout cas ils se servent des mêmes outils.

M. D. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’avenir de radio, plutôt l’avenir du Web. La radio restera la radio.

N. G. On va vers des convergences de médias, en tout cas c’est ce qu’on pense à RMC. Mais je n’ai pas trop de crainte pour la radio à l’ancienne.

Journalistes, occupez-vous des marques ou elles s’occuperont de vous”

Parmi les rencontres proposées ce vendredi aux Assises du journalisme, à Metz, pas mal de conférences assez plan-plan, mais des bonnes surprises, comme l’atelier « Espoirs et craintes du brand content ». « Journaleux » et « pubeux » y ont échangé autour de ce nouveau concept qui suscite extase autant qu’effroi.

Je vous ai préparé une synthèse des échanges, mais pour ceux qui n’ont pas tout suivi, deux définitions préalables :

      • le brand content ou « contenu de marques », soit des articles, vidéos, infographies… réalisées par les marques en complément ou en remplacement d’une campagne publicitaire traditionnelle. Par exemple, Red Bull édite son propre magazine consacré (notamment) aux sports extrêmes, The Red Bulletin.
Exemple de “native advertising“ sur Quartz.
Exemple de “native advertising“ sur Quartz.
      • le native advertising est une des modalités du brand content. Ce sont des publicités qui adoptent une présentation proche, voire très proche, de celle des articles produits par la rédaction. Ces contenus peuvent être produits par  l’annonceur ou par le média lui-même (dans sa rédaction ou dans un service dédié). Parmi les articles publiés sur le site d’actualité économique Quartz – lancé par le groupe qui édite le mensuel The Atlantic –, certains sont ainsi payés par des marques.

L’excellent John Oliver explique très bien dans cette vidéo ce que la rapide montée en puissance du native advertising a d’inquiétant.

Last Week Tonight with John Oliver : Native Advertising (HBO)

The line between editorial content and advertising in news media is blurrier and blurrier. That’s not bullshit. It’s repurposed bovine waste.

Maintenant, place aux extraits du débat.

Amaury de Rochegonde (Stratégies). Le patron de Forbes prétend avoir sauvé ce magazine de la faillite grâce au native avertising.

Pour d’autres, y compris parmi les publicitaires, on est dans un mélange des genres qui risque de bousculer le « contrat de confiance » entre le lecteur et son média, comme l’a expliqué le patron d’Havas, Yannick Bolloré.

L’essayiste Jean-Claude Guillebaud estime lui que Forbes s’est sauvé « au prix du journalisme », que ce dernier a été sacrifié dans l’opération.

Mais d’autres encore y voient une chance extraordinaire :  le native advertising intègre la publicité de façon plus habile dans le corps éditorial ; la demande de rédacteurs augmente, le journaliste peut  trouver sa place dans ce système.

Benoit Campagne  (L’Express/Votre argent). La banque en ligne BforBank a ouvert il y a trois ans, un espace « Mon argent m’intéresse » sur notre site. La rédaction en chef négocie, ou plutôt discute avec l’annonceur pour savoir quels contenus, liés à l’activité de l’annonceur, vont être publiés dans cet espace.

Je peux mettre mon veto. Dès le départ, j’ai refusé qu’on y mette des articles trop spécifiques, par exemple sur des produits que cette banque peut vendre. Cette règle a été respectée depuis.

A de R. Les contenus sont signés « Caroline de Francqueville, rédaction Bforbank », mais il n’a y a pas de mention « publicité ». Ce n’est pas une obligation légale ?

Stéphane Martin (Autorité de régulation professionnelle d ela publicité, ARPP , ex-BVP). Ce genre de mentions est l’un des critères, mais ce n’est pas le seul. On doit pouvoir identifier qui parle, si le contenu a un  caractère publicitaire. Est-ce que la mise en page est différente du reste du site ?

Il faut avoir en tête ces bonnes pratiques, la catégorie du contenu doit être immédiatement identifiable.

A. de R. Mais ces articles peuvent être partagés sur les réseaux sociaux, où ils apparaissent comme du contenu « L’Express/Votre argent ». On brouille les repères, une lecteur pressé peut penser que c’est un contenu de la rédaction. Les annonceurs profitent de cette ambiguïté ?

S. M. Il ne faut pas « rogner » la signature de la marque. Mais aujourd’hui, les annonceurs ont besoin de prendre la parole sur tous les canaux, et ce de plus en plus souvent. Il y a donc des risques, ça nécessite du contrôle, des validations, c’est un métier.

Charles Deffontaines (Adyoulike). Il y a une demande des marques de chercher de l’engagement avec les utilisateurs. « Rentrer » vers le contenu est le meilleur moyen d’en créer, plutôt que de diffuser autour des pavés, des bannières et d’autres formats classiques, qui touchent peu la nouvelle génération de consommateurs.

Notre logique, c’est d’être le plus transparent possible, pas de berner le consommateur. Nous proposons deux types de mentions, selon le contenu :

      • Une de type éditorial : « publi-communiqué », « actu de marque », « publicité »…
      • Une autre liée à la campagne : « proposé par », « suggéré par », « sponsorisé par » selon les cas.

Charles Gros (Tradelab). Le secteur est en pleine évolution. Prenez le « retargeting », cette pratique qui consiste à vous montrer sur un site une publicité pour un produit que vous avez vu sur un autre site [par exemple, un livre que vous avez failli acheter sur le site de la Fnac et que vous allez revoir dans une pub d’un site d’actu, ndlr].

C’est énormément utilisé, ça fonctionne, mais après réflexion c’est aujourd’hui massivement rejeté : l’apport réel n’est pas évident, la cible n’est pas assez connue. Et puis une mauvaise diffusion a pu détruire de la valeur pour l’annonceur.

Le native advertising est une solution intéressante, parce qu’il passe par un retour aux fondamentaux : « Qui je touche avec cette campagne ? » Avec quel message ? »

Dans le même temps, il y a de nouveaux systèmes d’achat, comme le real time bidding [des systèmes complexes d’enchères en temps réel pour les espaces pub disponibles, ndlr].

On est dans un monde de cookies, de fingerprinting, où l’on connaît finement le profil de l’internaute. Les vieux, ça peut leur faire peur, mais les jeunes sont très demandeurs : ils préfèrent avoir une publicité ciblée, avec la bonne « créa » diffusée au bon moment.

Pour moi, ces évolutions sont positives. Le but n’est pas de biaiser, et puis si le contenu est impactant, innovant, moi je trouve ça très bien.

A de R. Est-ce que ça va de pair avec la montée de ce qu’on appelle le « web de l’attention » ? L’idée est que l’annonceur paie en fonction du temps passé par l’internaute devant la publicité, et plus seulement du nombre d’affichages ou de clics…

C. D. Oui, tout ça va revaloriser le contexte dans lequel la publicité est affichée. Si le contenu de marque correspond à la même typologie que l’éditeur, l’impact est plus fort : par exemple, un article sport en lien avec l’activité de la marque au milieu de la rubrique sport.

Des KPI [key performance indicators, soit les données qu’on analyse pour savoir si une campagne a bien marché, ndlr] comme le temps passé ou le nombre de partages s’en trouvent revalorisés.

A. de R. Chez Adyoulike, les publireportages sont faits par qui ?

C. D. Ce sont des contenus écrits par des rédacteurs, et pas des journalistes.

Cyrille Franck (Mediaculture). Dans ce débat, j’ai une position intermédiaire entre les églises et  l’Etat. Le contenu de marque est intéressant, mais il risque d’abîmer la marque… du média qui le publie.

Il y a des annonceurs pour qui c’est compliqué à imaginer – si Areva veut faire du native ad sur l’environnement, ça me pose des questions. Et il y a des sujets sur lesquels c’est compliqué à imaginer.

On le voit avec l’exemple de L’Express/Votre argent : il faut que le journaliste ait le final cut. Mais au-delà, il faut aussi savoir qui apporte le sujet, comment il est validé ? A quel moment je dis stop ? Est-ce que j’ai a la possibilité de dire stop ?

Au-delà du débat « c’est bien » ou « c’est mal », la question du comment, du process est importante. On doit évangéliser les annonceurs, leur expliquer qu’ils ne peuvent pas mentir aux lecteurs, qu’il y a des choses qu’on ne fera pas, qu’il y a des offres qu’on ne prendra pas.

A. de R. Auparavant, le lien annonceur/support passait par la régie, et du coup on pouvait dire : « Il y a une muraille de Chine entre la rédaction et la publicité. » Dans ce que vous décrivez, on est dans la porosité…

C. F. Oui, il faut plus de communication avec la régie, par exemple faire un planning rédactionnel afin qu’ils puissent « vendre » les sujets marronniers très en amont, sans en changer le traitement.

Deux logiques se heurtent : celle du commercial, qui veut faire son chiffre à court terme, et celle du média, qui joue sa réputation à long terme.

Je dis aux journalistes : « Si vous ne vous occupez pas du brand content, c’est le brand content qui va s’occuper de vous. » Il ne faut pas laisser les commerciaux décider de l’équilibre.

A de R. A L’Express, le SNJ a publié un communiqué pour exprimer ses réserves sur ce sujet…

B. C. Il y a des discussions en cours, je ne sais pas où ils en sont. La direction de la rédaction doit répondre.

Paradoxalement, j’ai remarqué que ça posait peut-être plus question au sein de la régie, ils se disent : « Les journalistes vont faire la gueule, penser qu’on dérape, que la pub arrive dans les contenus. »

Pourtant, au sein de la rédaction, on est conscients de l’importance de la pub pour payer les salaires.

Après, il faut le faire intelligemment. C’est d’ailleurs arrivé qu’on dise « non » à des propositions d’opérations venues de la régie.

A de R. Certains annonceurs ont une puissance de feu considérable, il y a une possible manipulation de l’opinion possible. Comment l’ARPP peut vérifier si un message est vrai, s’il n’est pas orienté ?

S. M. Il ne faut pas négliger la force des récepteurs. Il y a un risque d’abîmer une marque en cas de retour de bâton, et ce n’est pas son intérêt : elle est là pour être pérenne, elle craint le « bad buzz ».

C’est aussi vrai au niveau légal : la RSE [responsabilité sociétale des entreprises, ndlr] s’impose à elles. Une seule bonne com” très efficace ne peut pas justifier d’abandonner des décennies d’effort pour construire une belle marque.

Et s’il y a trop de dérapages, il y aura une loi, comme il y a eu celle de 1973 sur la publicité mensongère.

B. C. S’il y a dérapage, il y a une sanction immédiate, celle du lecteur. Chez nous, les commentaires sont ouverts, y compris sur le brand content, ils peuvent écrire : « Là, vous êtes en train de nous arnaquer. » Et tout ça peut être relayé sur Twitter et Facebook…

C. G. Ça me fait penser à deux marques avec qui on travaille : le fabricant de montres Swatch et la banque Crédit mutuel. Toutes deux ont une peur bleue du numérique.

On leur dit : « On peut travailler avec L’Express, Le Figaro, des médias bien établis. » Mais Swatch, par exemple, ne veut pas que sa pub s’affiche à côté d’un article sur l’alcool ou les cigarettes.

Ils veulent une complète maîtrise du contenu, ils ont une peur panique de détruire leur marque en suscitant un mauvais buzz.

Du coup, il faut une vraie communication entre la marque, le média, et les utilisateurs. Et il faut arrêter certains dispositifs malsains et très négatifs.

C. F. L’analyse des résultats est importante. Trop souvent, le seul critère qui compte est « quanti » (le nombre de pages vues, de visites…). C’est un critère dépassé. Il faut évaluer la qualité de l’audience, l’engagement, le nombre de partages.

Il faut se mettre d’accord avec l’annonceur, lui dire : « J’ai des objectifs “quanti” mais aussi “quali”, par exemple “3% d’engagement sur cet article”. » Il va falloir être bon et négocier.

C. D. Quand le contenu est de qualité, ça ne pose aucun problème aux journalistes de le diffuser. Personne n’a refusé de diffuser du Red Bull, c’est presque un honneur pour un média de diffuser du Red Bull.

Avec l’expérience de 500 campagnes, on se rend compte que la force du contenu est extraordinaire : la diffusion est décuplée s’il est bien adapté..

C. G. Arrêtons d’avoir des « sapins de Noël » sur les sites, d’accumuler les formats partout sur la page : bannières, pavés, interstitiels… Autant diffuser moins de formats, mais des formats plus impactants. On réduit le nombre d’impressions, l’utilisateur est content ; la pub restante est plus visible, l’annonceur est content ;  les tarifs sont plus élevés, le média est content.

5 trucs que les journalistes papier ne devraient plus jamais dire

Selon Pierre Desproges, les animaux ne savent pas qu’ils vont mourir. Pour les journalistes qui travaillent pour un support papier, ça devient compliqué de l’ignorer. Il leur suffisait par exemple de regarder l’excellent documentaire « Presse : vers un monde sans papier ? » diffusé fin août sur Arte.

On peut être très attaché au journal-qui-tache-les-doigts-avec-le-café-du-matin ou trouver sexys les hommes qui lisent Libération dans le métro, les faits sont têtus : quand même Le Canard enchaîné voit ses ventes baisser de 13% en un an, il est temps de prendre cette histoire de « transition numérique » au sérieux.

Pourtant, lorsque j’échange avec des collègues travaillant (uniquement ou principalement) pour la version papier de leur média, j’ai souvent l’impression d’une forme de déni rampant.

Le cerveau sait bien qu’en 2014, il n’y a pas un grand avenir pour un média qui doit, pour diffuser des informations, commencer par couper des arbres pour en faire de la pâte à papier, avant d’imprimer des lettres dessus puis de mettre le tout dans des camions.

Mais le cœur, lui, ne se résout pas à voir tout un folklore disparaître : le cérémonial du bouclage, le ballet hypnotique des pages sur les rotatives, les « chemins de fer » et autres « cromalins »

Pour les aider à faire leur deuil et s’adapter à leur époque, un bon début est d’arrêter de dire des bêtises dès qu’on parle digital. Voilà en tout cas cinq phrases qu’ils devraient vraiment arrêter de prononcer.

1. « Ce papier n’est pas terrible, mets-le sur le Web »

A lire vos témoignages sur Twitter,  c’est une scène encore courante dans les rédactions : le rédacteur en chef qui, après avoir relu un article un peu raté, à l’angle bancal ou écrit à la va-vite, le fait publier sur le site plutôt que le mettre simplement à la poubelle.

Ses raisons ? La place est chère dans les pages de l’édition papier, alors qu’elle est infinie sur Internet. Et puis il faut ménager l’ego de l’auteur, qui n’aura pas bossé pour rien.

Evidemment, l’effet est désastreux sur les journalistes qui aiment sincèrement travailler sur les supports numériques, fortement incités à mettre à jour leur CV et trouver un job dans un média qui n’insulte pas l’avenir.

Mon conseil. C’est plutôt sur le papier qu’il faut publier les articles les plus mauvais : après tout, quand il les lira, le lecteur aura déjà acheté votre canard, et les kiosquiers ne pratiquent pas le « satisfait ou remboursé ».

Ça bouchera un trou dans les pages et ça vous dégagera du temps pour préparer des contenus numériques assez marquants pour sortir enfin votre titre du XXe siècle.

2. « Twitter, c’est un truc de journalistes »

C’est une phrase que j’ai très souvent entendue lorsque j’animais des formations aux réseaux sociaux, – et je suis loin d’être le seul. Dernier exemple en date : Ariane Chemin, grand reporter au Monde, dans une interview aux Inrockuptibles :

« Twitter, je trouve ça chronophage et sidérant, mais ça m’amuse. Le petit monde de Twitter est endogame, il ne raconte pas la vraie vie mais celle des journalistes qui s’observent. »

Même si les estimations varient (comme le rappelle Cyrille Frank dans les commentaires), plusieurs millions de Français utilisent Twitter, qu’ils soient simples lecteurs ou « twittos » actifs.  Contre un peu plus de 36 000 titulaires d’une carte de presse. Les ados y sont très présents, mais on croise aussi des avocats, des chauffeurs de taxi, des entrepreneurs ou des pilotes d’avion.

Si les journalistes ont l’impression d’y parler entre eux, c’est qu’il y a une part inévitable d’endogamie dans tout réseau social, surtout quand on vient de s’y inscrire : on commence par suivre ses amis, ses collègues, sa famille…

Mais contrairement à un utilisateur lamdba, un reporter a tout intérêt à affûter sa veille et à diversifier ses abonnements, trouver de nouvelles sources et prendre le pouls du vaste monde.

Mon conseil. A chaque fois que vous décidez de suivre un journaliste sur Twitter, obligez-vous à suivre aussi un non-journaliste. Parce que penser que « Twitter, c’est un truc de journalistes », c’est vraiment un truc de journalistes.

3. « La priorité, c’est la nouvelle formule du papier »


Non. La priorité pour un titre papier aujourd’hui, ce n’est pas de retirer deux demi-pages à la rubrique culture pour les donner au service politique, de changer la couleur des intertitres ou de choisir une nouvelle typographie pour les « chapos ».

Une rédaction qui se lance dans une refonte du papier en 2014, c’est comme une compagnie de diligences qui décide de changer le velours des sièges pendant qu’on construit une ligne de chemin de fer sous son nez.

Mon conseil. Que vous travailliez ans un quotidien national, pour un mensuel professionnel ou dans un hebdo régional, le débat qui doit animer vos séminaires, vos conférences de rédaction et vos discussions à la machine à café, ce n’est pas l’édition papier. C’est : « Comment produire un travail journalistique suffisamment convaincant sur le numérique pour espérer survivre au grand basculement actuel ? »

4. « On perd de l’argent à cause du Web »

C’est la petite vengeance du journaliste papier quand il commence à se sentir largué : rappeler que depuis l’arrivée d’Internet au milieu des années 90, les services web ont été une source importante de pertes financières.

C’est d’autant plus vrai que beaucoup de médias se sont lancés dans de gros investissements mal maîtrisés, de projets coûteux que leurs équipes ont parfois du mal à digérer.

Dans leur Manifeste pour un nouveau journalisme, paru début 2013, les éditeurs de la revue XXI exploitent cette veine, estimant que la presse écrite a trop investi sur le numérique. C’est ce qu’expliquait alors Laurent Beccaria à Télérama :

« Le problème n’est pas d’opposer l’écran et le papier, les modernes et les anciens. Simplement, le numérique n’est pas ‘LA’ solution, y croire est dangereux. »

J’ai l’impression que les responsables des sites d’actu ont fini par intérioriser cette critique, se dire qu’ils « vivent aux frais de la princesse », la presse papier.

Mon conseil. Rédactions web, redressez la tête et arrêtez d’avoir honte de vos pertes ! Ce n’est pas comme si vous claquiez tout en notes de frais somptuaires ou en soirées de gala.

Vous avez un des jobs les plus difficiles au monde en ce moment : tenter de faire de l’info de qualité dans un secteur en pleine déconfiture.

Mais c’est vous qui avez une chance (même petite) de trouver de nouveaux lecteurs et d’assurer la pérennité de votre titre. Pas vos aînés du papier.

5. « Facebook rend débile, j’ai fermé mon compte »

C’est vrai, on a tous des moments où on regrette notre cerveau d’avant Internet. Mais de là à quitter Facebook, service utilisé par 26 millions de Français et d’où provient une part grandissante du trafic des sites d’actu, il y a un pas qu’il vaudrait mieux ne pas franchir.

Non, ce n’est vraiment pas le moment de jouer les snobs. C’est maintenant que vous devez comprendre comment vivent et prospèrent les  communautés en ligne, qu’il s’agisse de vos contacts sur Facebook, des stars de YouTube, des contributeurs de Wikipédia ou des parturientes de Doctissimo.

Ce sont eux, les nouveaux « voisins de bureau » des journalistes. Que vous l’aimiez ou non, c’est dans ce monde qu’il va vous falloir vous faire une place (et ça fait longtemps qu’ils ont arrêté de vous attendre).

Mon conseil. Faites le tri dans vos « amis », pour éviter au maximum les invitations à Candy Crush et les photos de Milk. Mais n’oubliez pas que ces gens bizarres qui s’agitent sur votre fil d’actualités, qui likent, commentent et partagent ce que vous publiez, ce sont aussi des lecteurs. C’est pour eux que vous avez choisi ce métier, il va bien falloir assumer.

6. Bonus ! D’autres phrases qui énervent les gens du Web

Vous avez été plusieurs à me signaler sur Twitter d’autres phrases de journalistes papier qui vous énervent :

« Bonjour, je suis bien au service informatique ? »

Via @ThomasBaietto, FranceTV Info

« Mais t’es quoi en fait toi ? Développeur ou journaliste ? »

Via @GurvanKris, Rue89

« Il est bien cet article, c’est dommage qu’il soit pas dans le journal plutôt que sur le Web… »

« Elle marche, l’imprimante ? »

« C’est pas mal de faire un papier sur le Web, en fait. Comme ça, t’as le plan de ton article pour le papier. »

Via un courageux anonyme

«  “T’as vu cette info ?” (Généralement un truc qu’on fait la veille ou deux jours plus tôt.) »

Via @PerrineST

« Tu nous fais ça juste pour le Web, hein. »

Via @BenjaminFerran, Figaro et MacGeneration

« Non, pas de place pour demain. File donc ça au web ! »

Via (@Mou_Gui)

« J’ai un problème avec mes mails, tu peux m’aider ? »

Via @Sychazot, Le Lab Europe 1

« Ça débordait de ma page du coup je t’ai mis le reste sur le Web »

Via @XavierLalu

«  “C’est là qu’ils mettent nos articles en ligne” : un journaliste print qui faisait visiter la rédac web à un autre journaliste print. »

@VCquz

« Internet ne sert à rien : un article ça se lit un crayon à la main »

@ARouchaleou, L’Humanité

« Tu peux me trouver Photoshop gratos ? »

@XavierLalu

«  “Dans le pire des cas, ça ira sur le Web” (au sujet d’un papier sans intérêt). »

@GaelVaillant, Le JDD

« On peut pas fermer les commentaires sur les articles ? »

@MarieAmelie, Le Figaro

Vous pouvez continuer l’exercice si ça vous amuse, sur Twitter avec le hashtag #perlespapier ou dans les commentaires.

Dans un souci d’équité, je prévois déjà une suite à cet article, consacrées aux phrases que les journalistes papier ne supportent plus d’entendre de la part de ces « putes à clic du web »…

MAJ le 3/10 à 18h10. Passage sur Libération retiré, après un échange avec Johan Hufnagel montrant que l’exemple n’était pas forcément pertinent.

MAJ le 4/10 à 18h10. Passage sur Twitter modifié, voir les remarques de Cyrille Frank dans les commentaires.


5 trucs fascinants que j’ai appris lors des conférences Digital Intelligence

Je rentre de Nantes où se tenait cette semaine Digital Intelligence, trois jours de rencontres et de conférences consacrées au numérique et ce qu’il change dans nos vies. Voilà cinq trucs que j’ai appris grâce aux interventions des chercheurs invités à exposer leurs travaux et leur vision des bouleversements actuels.

1. Les bébés font des calculs de probabilité

Prenez un bébé, âgé de dix mois environ. Mettez-le devant un écran, sur lequel une animation montre plein de boules rouges et une seule boule bleue – en vrai, il vaut mieux réaliser l’expérience avec quelque chose de plus attrayant pour un bébé que des boules, comme des poneys ou des licornes, mais le principe est le même.

Les boules se déplacent aléatoirement à l’intérieur d’un cercle percé d’un orifice à sa base, un peu comme pour le tirage du Loto. De temps en temps, une des boules tombe dans le trou. Si elle est rouge, le bébé s’en fout. Si c’est l’unique boule bleue, son visage réagit plus longtemps.

C’est la preuve que son cerveau est capable de faire des probabilités : il « sait » que l’événement « la boule bleue tombe » a moins de chances de se produire que l’événement « une boule rouge tombe ». Intérieurement, il fait des maths niveau lycée alors qu’il est incapable d’avaler un petit pot sans en mettre plein son bavoir.

Un bébé de 12 mois regarde plus longtemps un événement improbable qu'un événement probable.
Un bébé de douze mois regarde plus longtemps un événement probable qu’un événement improbable (College-de-france.fr)

L’expérience est racontée par Gérard Berry, professeur au collège de France. Ces algorithmes à l’œuvre très tôt dans notre cerveau sont un sujet d’études pour les neuroscientifiques, mais ces derniers ne sont pas les seuls à les utiliser de plus en plus souvent dans leurs recherches.

« Des spécialistes de la physique des particules veulent parfois se mettre à l’astronomie, mais on ne peut rien en faire parce qu’ils ne maîtrisent pas les algorithmes », a un jour confié une chercheuse à Gérard Berry.

Il vaut en effet mieux être familier de ce mode de raisonnement quand on doit simuler l’explosion d’une supernova grâce à des modèles mathématiques avancés.

2. Internet est en train de changer l’amour

Quand on étudie les sites de rencontre sur Internet, la mauvaise question à se poser, c’est : « Est-ce que ça marche pour trouver l’amour ? » C’est la conviction de Michael Sinatra et Marcello Vitali-Rosati, chercheurs à l’université de Montréal.

Pour que les algorithmes de Meetic ou d’Adopte un mec soient capables d’une telle prouesse, il faudrait déjà se mettre d’accord sur ce que c’est que l’amour – ce dont l’homme semble incapable, vu la quantité de littérature publiée sur le sujet sans qu’un réel consensus semble se dégager.

Pour ces chercheurs, il vaut mieux se demander à quoi ressemble l’amour sur Internet, et chercher les valeurs qui l’animent, la vision de la relation qui s’en dégage. Vitali-Rosati :

« Le rapport au tabac est intéressant, par exemple. C’est un point souvent mis en avant et pourtant, en quoi le tabagisme joue-t-il un rôle dans le fait d’ aimer une personne, et pas juste dans le fait de vivre avec lui au quotidien ? »

Les sites de rencontre sont conscients de cette évolution en cours, mais ont un discours encore ambivalent.

Ils promettent de tout mettre en œuvre pour que l’amour, le vrai, l’unique, se manifeste enfin – ce qui est une façon de reconnaître sa nature aléatoire, multiforme et tyrannique. Mais ils entendent aussi donner à leurs utilisateurs le contrôle sur votre vie sentimentale.

Ces Cyrano de Bergerac modernes aident l’aspirant Christian à trouver une Roxane à son goût puis à la séduire, l’annonce et le profil remplaçant la missive enflammée et la scène du balcon.

L’étude des « algorithmes de l’amour » à l’œuvre sur ces services permet d’ouvrir la boîte secrète de nos comportements amoureux.

Mais allons-nous aimer ce que nous allons y trouver ? On sait déjà l’importance des photos dans le choix du partenaire potentiel (données que Tinder exploite déjà sans états d’âme), alors que les annonces cherchent, elles, des « relations sérieuses » et des « complicités intellectuelles ».

3. Les artistes font de la recherche scientifique aussi

Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais les associations entre des créateurs et des scientifiques croissent et embellissent, à l’exemple du Senseable City Lab au MIT ou du programme de « recherche-création » Hexagram, au Québec.

Selon Chris Salter, chercheur à l’université Concordia de Montréal, c’est un changement de paradigme qui est à l’œuvre. Il passe par un dépassement de la conception institutionnelle de la recherche, avec ses disciplines et ses champs de recherche délimités, ses structures et modes de financements bien définis.

Associer les artistes, c’est surtout reconnaître qu’ils peuvent créer de la connaissance en faisant, et pas seulement en pensant :

« Vous faites des études et enuite, soit vous écrivez des livres et vous êtes un scientifique, soit vous fabriquez quelque chose et vous êtes un artiste. […] Face à une œuvre, nous disons : “C’est de l’art, mais peut-être est-ce de la connaissance aussi ?” »

De façon plus prosaïque, les créateurs se tournent vers une université ou un studio laboratory privé pour obtenir des financements qu’ils ne trouvent plus ailleurs.

C’est là que vont se croiser les regards, s’élaborer de nouvelles méthodes et se monter des expériences d’un genre nouveau – « le mot français “expérience” est bien utile, parce qu’il a à la foi le sens de création et de recherche », estime Salter.

« La plupart des artistes parlent de leur travail comme un événement, une rencontre, une relation, une incarnation… et pas comme une nouvelle connaissance », concède-t-il. Mais les frontières sont de plus en plus floues.

4. Les feux rouges vont disparaître des villes

Imaginez des voitures sans conducteur, qui passent vous prendre à la sortie du boulot et vous ramènent chez vous avant de charger un autre client.

Maintenant, imaginez une ville dont on aurait retiré 80% des automobiles, devenus utiles grâce à ce partage généralisé, pour ne garder que ces véhicules automatiques.

On pourra alors se débarrasser des feux rouges, les voitures se débrouillant toutes seules pour savoir où et quand tourner – une tâche que les algorithmes, encore eux, sont capables d’effectuer mieux que les humains.

C’est cet avenir que dessine une étude de l’université du Texas, dans une vidéo qu’on vous recommande de ne pas reproduire rue de Rivoli.

Mais ce qui frappe l’imagination, c’est que les connaissances et les technologies nécessaires à une telle utopie – ou un tel cauchemar si vous travaillez chez les taxis G7 – existent déjà.

L’algorithme du carrefour sans feux rouges est, paraît-il, en démonstration en ce moment dans le parc de la Villette, à Paris (mais je n’ai pas trouvé trace de cette expérience sur le Web). Quand à la Google Car, elle commence à prendre des passagers réels, et plus seulement des ingénieurs, le temps d’une vidéo de promotion.

Si Carlo Ratti, du MIT, a dessiné ce rêve urbain, Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur à l’IUT de La Roche-sur-Yon qui tient le blog Affordance.info, s’est chargé un peu plus tard de faire cauchemarder tout le monde avec une question piège.

Que doit faire votre voiture sans conducteur si elle détecte une collision prochaine avec un bus rempli d’enfants, si son algorithme estime que la seule façon de leur sauver la vie est de vous envoyer, vous, dans le décor ? Doit-elle sauver le maximum de vies possibles ? Préserver son occupant à tout prix ? Chercher quel scénario coûtera le moins cher à la collectivité ?

Comme Asimov avait imaginé des lois de la robotique pour protéger l’homme de ses propres création, il faut inventer une éthique de l’algorithme. « Dans le couple homme-machine, la machine est de plus en plus tentée de faire l’homme », estime, gaillard, Ertzscheid.

5. L’armée française surveille aussi le deep web

Thierry Berthier, de la Chaire de cyberdéfense et cybersécurité Saint-Cyr Sogeti Thales (ouf), a effrayé un peu tout le monde avec une série de chiffres montrant la multiplication des cyberattaques un peu partout dans le monde.

Il a aussi expliqué que l’armée française a préparé le pendant numérique de l’intervention de la coalition contre l’Etat islamique, en suivant notamment l’activité ennemie sur les réseaux sociaux.

Interrogé sur la possibilité de passer par le « deep web » pour échapper à cette surveillance, il a expliqué que les armées avaient déjà les moyens de surveiller les échanges sur TOR, navigateur alternatif censé couvrir les traces de ceux qui l’utilisent. « De notre point de vue, il vaut mieux que ses utilisateurs continuent à croire que TOR est sécurisé, comme ça ils continueront à s’en servir… »

Les sites d’info français et le mobile : qui est in et qui est out ?

On vous le dit, on vous le claironne : l’avenir des sites d’info se joue sur le mobile, et plus sur les ordinateurs.

Les chiffres de la dernière étude AT Internet, cités par Eric Mettout, directeur adjoint de L’Express sur son blog Nouvelle formule, sont impressionnants : encore quelques mois (et quelques centaines de milliers de smartphones et tablettes offerts à Noël) et certains articles seront davantage consultés sur le petit écran d’un smartphone plutôt que sur un laptop ou un ordinateur de bureau.

Mais les sites d’infos sont-ils prêts pour cette (énième) révolution ? J’ai dressé un tableau comparatif pour examiner les différentes stratégies adoptées par un échantillon (arbitraire) de 40 sites. Le résultat montre que sur le mobile, les médias avancent en ordre dispersé.

Quelques enseignements :

  • Les trois quarts des sites étudiés ne sont pas (encore) passés au responsive design, une proportion qui paraît élevée alors que les lecteurs les consultent sur des écrans de taille de plus en plus variable.
  • Sur les 40 sites étudiés, 8 ne proposent toujours pas un design adapté quand l’utilisateur se connecte depuis un mobile. Le lecteur subit un téléchargement plus long et doit ensuite zoomer sur la colonne contenant le texte à lire, après avoir fermé d’éventuels pop-ups et messages intrusifs. Ce choix peut être imposé par la régie pub, qui préfère utiliser des emplacements publicitaires classiques si les campagnes sont mieux rémunérés.
    La liste : L’Express, Jeuxvideo.com, Télérama, Premiere, PureMédias, Ouest-France, Les Inrockuptibles et le Journal du dimanche.
  • Les 40 médias de l’échantillon proposent tous une application iPhone, mais 5 d’entre eux ne disposent pas d’une application Android et 24 n’ont pas développé d’application Windows Phone.
  • Deux sites proposent une version mobile incluant un téléchargement pour une lecture offline ultérieure, fonctionnalité réservée aux utilisateurs des applications natives pour tous les autres : Le Monde et Rue89.
  • Un site seulement propose une version Web adaptée aux tablettes : Rue89. Les autres « servent » la version classique du site, même s’ils ont par ailleurs une application pour iPad ou tablettes Android.

Lorsqu’on veut adapter ses contenus au mobile, trois stratégies au moins sont en effet possibles :

  • Proposer des applications natives. C’est le choix longtemps privilégié . On compte alors sur les lecteurs pour installer l’application du média depuis les principaux store : iTunes pour un iPhone ou un iPad, Google Play pour un smartphone ou une tablette Android, Windows Store pour un appareil équipé de Windows Phone.
  • Proposer une version mobile. Bien souvent, le lecteur accède au site d’info depuis une autre application de son téléphone, qu’il s’agisse du navigateur ou des app des réseaux sociaux et autres agrégateurs. Une solution dans ce cas est de charger une version spéciale du site, située sur une URL spécifique (qui commence souvent par « m. » ou « mobile. », par exemple mobile.lemonde.fr).
  • Proposer un site responsif. Le site est dès le départ conçu pour s’adapter à  la largeur disponible au moment de l’affichage. L’URL est unique, et des cas supplémentaires peuvent être pris en compte (écrans de tablette, écrans très larges…). Les sites ayant connu une refonte récente ont pour la plupart choisi cette voie.

Un casse-tête et des coûts importants

Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients, qu’il serait trop long d’énumérer ici. Par exemple, il est plus simple d’ajouter des formats pub avancés et donc plus rémunérateurs, comme un clip vidéo plein écran, sur des applis natives. Mais opter pour une version mobile revient beaucoup moins cher : développer en parallèle deux à trois versions différentes du même produit fait exploser les coûts.

Choisir un design entièrement responsif est la solution la plus moderne, mais elle a des implications importantes : par exemple, le visuel d’un « habillage » publicitaire peut avoir une largeur fixe et ne pourra pas être activé sur un site dont la largeur n’est pas fixe. Et certains formats rédactionnels (infographies, diaporamas, cartes…) sont difficiles à adapter pour les journalistes qui les préparent.

Quelques précisions sur la méthode choisie – les données sont disponibles dans ce Google Sheet et au format CSV, n’hésitez pas à les réutiliser :

  • Je n’ai pas retenu la version mobile d’un site si l’utilisateur n’est pas automatiquement redirigé vers elles (cas de L’Express notamment).
  • Lorsqu’un média dispose de plusieurs application pour la même plate-forme, j’ai relevé la note de celle diffusant les articles du site, et pas d’autres contenus.
  • Je n’ai pas retenu les applications qui ne permettent que de téléchargger un numéro de l’édition papier.
  • J’ai retenu les applications non officielles, notamment sur Windows Phone.
  • Je n’ai pas classé parmi les sites responsifs ceux dont la maquette est « élastique » sans cependant s’adapter réellement en fonction de  (c’est le cas de Slate.fr par exemple).

Disclaimer : ancien rédacteur en chef adjoint de Rue89, j’ai participé au lancement des différentes applications et versions mobiles et tablettes de ce site.

N’hésitez à me signaler d’éventuelles erreurs ou oublis dans les commentaires.

7 fautes de français qui n’en sont pas, en fait

J’aurais pu titrer cette note « Confessions d’un emmerdeur ». Après ma sortie d’école de journalisme, j’ai été pendant plusieurs années secrétaire de rédaction, un travail qui comprend en général beaucoup de relecture de copie ou de pages.

Un TOP ou un Grevisse à portée de main, j’ai découvert quelques-unes des subtilités de la langue française, désuètes ou charmantes selon le point de vue.

Le problème avec ce type d’occupation professionnelle, c’est qu’elle tend à faire de vous un ayatollah, corrigeant par réflexe les fautes de ses amis à l’oral, et capable de partir en guerre sainte contre les impies qui enchaînent les solécismes sans réaliser l’horreur de leur sacrilège.

Mes années passées à bosser sur le Web m’ont profondément adouci. D’abord parce que relever une faute dans un article qui peut être corrigé, c’est moins douloureux, pour le lecteur comme pour l’auteur, que de la voir imprimée pour l’éternité.

Ensuite parce que j’ai découvert qu’il y avait deux sortes d’internautes qui signalaient les fautes d’orthographe :

  • ceux qui n’ont que mépris pour le journaliste coupable d’un faux pas,  « alors que c’est quand même votre métier d’écrire », et y voient la preuve définitive de votre incurable incompétence ;
  • ceux qui s’excusent vraiment de vous déranger, « mais il manque un mot dans le titre de l’article, je sais, je suis un peu obsessionnel et vous devez avoir d’autres chats à fouetter, encore pardon ».

Avec le temps et sauf misanthropie profonde, vous avez assez vite envie d’appartenir à la seconde catégorie plutôt qu’à la première.

Enfin, la fréquentation des blogs et forums spécialisés comme des ouvrages de référence m’a enseigné que dans bien des cas, il n’y a pas de règles implacables mais une série d’exceptions et de sous-exceptions.

Vous pouvez passer vos soirées à apprendre la dizaine de pages consacrées à l’accord du participe passé des verbes pronominaux que compte le TOP. Ou bien vous pouvez décider que vous avez mieux à faire de votre vie.

Mais le pire, c’est quand j’ai appris que certaines des règles que je chérissais tant étaient parfois discutables, d’autres fois à côté de la plaque. En voici un rapide florilège, que vous aurez sûrement à cœur de compléter ou de critiquer dans les commentaires.

1. « Par contre » est tout à fait correct

Martine Rousseau et Olivier Houdart, correcteurs au Monde.fr, le rappelaient déjà dans leur blog Sauce piquante en 2007 :

  « La locution “par contre”, malgré les attaques récurrentes dont elle est l’objet […] est tout à fait correcte. »

Portrait de Voltaire, auteur inconnue (Gallica.bnf.fr)
Portrait de Voltaire, auteur inconnu (Gallica.bnf.fr)

Un wikipédien véhément l’a d’ailleurs fait retirer de la notice Fautes de français destinée aux contributeurs de l’encyclopédie en ligne. « Par ailleurs » et « par avance » sont corrects, pourquoi pas « par contre », argumente-t-il.

« C’est une double préposition : c’est ça le problème, un problème de grammaire », réplique Rara dans un commentaire de cet article – preuve que les contempteurs du « par contre » n’ont pas déposé les armes. 

C’est paraît-il Voltaire qui est entré en guerre contre « par contre », et c’est donc la faute à Voltaire si je l’ai tant de fois remplacé par « cependant » ou « en revanche ».

Sur Langue-fr.net, on lira avec intérêt un décryptage de ce curieux ostracisme, défendu par Littré mais combattu par Grevisse :

« C’est plutôt une affaire de sociolinguistique : employer “en revanche” plutôt que “par contre” dénote l’appartenance culturelle à un milieu maîtrisant un code social, celui de l’expression — un code dont l’emploi est un signe de reconnaissance implicite pour “ceux qui savent”. »

Si vous écrivez « par contre » dans votre texte, vous rejoindrez un club qui compte notamment « Tocqueville, Stendhal, Maupassant, Gide, Giraudoux, Saint-Exupéry, Malraux, Bernanos, De Gaulle » parmi ses membres. Il y a pire compagnonnage.

2. On peut écrire « autant pour moi » si on veut

C’est l’un des sujets les plus polémiques sur les forums dédiés à la langue française. Beaucoup soulignent l’origine militaire de l’expression : si l’officier dirigeant un exercice se trompe dans ses consignes, il va demander à sa troupe de revenir « au temps » initial de la manœuvre, « pour moi » parce que c’est lui, et non les exécutants, qui s’est trompé.

Mais cette explication est elle-même contestée, et puis après tout,  si l’expression « autant pour moi » s’est imposée au fil du temps, c’est parce qu’elle a tout autant de sens que sa variante.

Je le confesse, j’aime bien écrire « au temps pour moi », par pure coquetterie. Mais je respecte et apprécie les partisans du camp d’en face.

3. « Une auteure », « une écrivaine », « une entraîneure »… et pourquoi pas ?

Il y a quelques années, croiser l’expression « une auteure » ou « une écrivaine » dans un texte me faisait pleurer des larmes de sang.

Mais alors que les combats féministes sont de mieux en mieux relayés dans la société ou sur les réseaux sociaux, j’avoue être en panne d’arguments contre vous si vous écrivez votre amour pour « l’écrivaine George Sand » ou votre respect envers Corinne Diacre, « première entraîneure d’une équipe de foot professionnelle française ».

Et je suis plutôt content d’utiliser une langue qui vit et évolue, plutôt qu’une collection de règles figées pour l’éternité dans quelque vieux grimoire de l’Académie française.

Je n’en suis pas à accorder chaque mot avec des tirets (« motivé-e‑s ») ou à prôner la règle de proximité pour l’accord de l’adjectif – quoique l’usage actuel n’ait rien de bien satisfaisant intellectuellement, qui oblige  à écrire : « Trois millions d’infirmières et un médecin se sont retrouvés dans la rue pour manifester. »

Quand je travaillais à Rue89, on s’était donné comme règle de ne pas en avoir, et de laisser l’auteur d’un article choisir de féminiser ou non certains mots, selon ses convictions personnelles. De même, Rue89 pouvait être du féminin ou du masculin selon le contexte (« le site d’information Rue89 » mais « les riverains de la Rue89 », par exemple).

4. Oui, on peut « supporter » une équipe de foot

Si j’avais gagné un centime d’euro à chaque fois que j’ai lu un tweet ou un commentaire dénonçant l’emploi du mot « supporter » au sens de « soutenir » dans un article sur le sport, j’aurais sans doute assez d’argent pour offrir des cours de français aux auteurs de ces réclamations.

« Supporter » figure pourtant bien dans le dictionnaire du CNRTL avec cette définition : « aider activement, donner son soutien moral ou matériel à » et « encourager, soutenir ». Avec un exemple d’emploi qui date de 1897.

Si j’essaie de ne pas recourir trop souvent aux anglicismes pour privilégier – quand c’est possible et que ça ne nuit pas à la compréhension – leur équivalent français, j’ai tendance à penser que leur traque systématique finit par ressembler au chantier d’un barrage contre le Pacifique.

Ou alors, pour faire bonne mesure, il faut aussi chasser les mots « algorithme » (qui vient de l’arabe), « bivouac » (emprunté à l’allemand) et « albinos » (d’origine espagnole). Bon courage.

5. Paris est belle et Paris est beau

Les noms de ville sont-ils féminins ou masculin ? Vous pouvez essayer de trouver une règle, ce qui vous amènera à des acrobaties comme celles repérées par Francaisfacile.com :

 « Quelques linguistes suggèrent parfois de se référer à la dernière syllabe : le nom d’une ville est en effet souvent féminin si ce nom se termine par une dernière syllabe muette (comme par exemple : Bruxelles, Rome), alors qu’il est souvent masculin si ce nom se termine par une dernière syllabe sonore (comme par exemple : Dakar, Oslo).

Toutefois, cela pourrait conduire à de mauvaises interprétations (par exemple : “La Nouvelle-Orléans” est féminin alors que la dernière syllabe est sonore).

D’autres linguistes suggèrent parfois de se référer à la dernière lettre : le nom d’une ville est en effet souvent féminin si ce nom se termine par une voyelle (comme par exemple : Rome), alors qu’il est souvent masculin si ce nom se termine par une consonne (comme par exemple : Dakar, Paris).

Toutefois, cela pourrait également conduire à de mauvaises interprétations (par exemple : “La Nouvelle-Orléans” est féminin alors que la dernière lettre est une consonne). »

Ou alors, vous vous souvenez que selon Tino Rossi, Paris est la « reine du monde » et que personne n’a embêté René Clément pour avoir titré son film « Paris brûle-t-il ? ». Et vous décidez de faire comme ça vous chante. Un peu de liberté langagière ne fait jamais de mal.

6. Pour « impacter » et « prioriser », le combat est déjà perdu

On est d’accord, « impacter » n’est pas un très joli mot. Il a cependant le mérite d’être efficace : on peut lui préférer « avoir des conséquences sur », par exemple, mais c’est un chouïa plus long (edit : “affecter » fait très bien l’affaire, me suggère Emmanuelle Ducros, journaliste à L’Opinion). Et « impacter » est désormais dans le Larousse.

Même chose pour « prioriser », que le Robert accueille désormais dans ses pages (plus prudent, le CNRL le donne parmi les synonymes possibles sans en avoir fait une entrée dans son lexique).

Je propose de cesser les hostilités contre ceux qui utilisent ces deux mots, et de concentrer le feu contre ceux qui s’obstinent à « pallier à un problème » et ceux qui utilisent le subjonctif après « après que ». Ceux-là méritent vraiment notre châtiment.

7. Lamartine aimait bien « le jour d’aujourd’hui »

Le combat contre l’abominable expression « au jour d’aujourd’hui » ne date pas du jour d’aujourd’hui, justement. Pierre Larousse s’échinait déjà à lui faire un sort dans son Grand dictionnaire du XIXe siècle, paru en 1864. Le texte est savoureux :

« Cet adverbe, composé de cinq mots, “à le jour de hui”, est peut-être l’exemple le plus frappant du principe d’agglutination suivant lequel se sont formés un grand nombre de mots de notre langue. […]

Hui” était évidemment suffisant pour rendre l’idée exprimée par le latin “hodie” ; mais, par une des redondances si fréquentes dans notre ancienne langue, on ajouta à cet adverbe les mots “au jour de”, et l’on eut “au jour de hui”, “aujourd’hui”.

Et ce pléonasme ne suffisant pas encore au peuple, il dit “au jour d’aujourd’hui”, comme nous le montre Vadé [un chansonnier de l’époque, ndlr] : “Les garçons du jour d’aujourd’hui savent si bien emboiser les filles que je devrions en être soules.”

Cependant Lamartine a su employer cette locution vicieuse avec une poétique énergie : “Dans ce cercle borné, Dieu t’a marqué ta place. / L’univers est à lui. / Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui.”

Il nous souvient même avoir entendu de nos propres oreilles “au jour du jour d’aujourd’hui”. N’est-ce pas ici le cas de dire : quand on prend du galon, on n’en saurait trop prendre ?

Voilà comment nous rendons, par une accumulation de mots que nos pères exprimaient par un monosyllabe. Qu’on vienne donc nous dire maintenant que le progrès consiste à simplifier. »

C’est vrai qu’à part chez Lamartine, on peine à trouver un usage élégant de « au jour d’aujourd’hui ». Mais après tout, comme le montre Larousse, « aujourd’hui » est déjà un pléonasme. Peut-être finirons-nous par apprendre à aimer « au jour d’aujourd’hui »,  qui écorche encore les oreilles cent cinquante ans plus tard ?

(Merci à l’intraitable Emmanuelle Bonneau, journaliste à Rue89 qui m’a soufflé quelques-uns des exemples de cet article.)

Comment j’ai fouillé dans des dizaines de milliers de notices Wikipédia

Pour réaliser le Top 50 des sites d’info les plus cités sur Wikipedia, j’ai utilisé une série d’outils dont je m’étais parfois déjà servi dans d’autres projets :

  • J’ai repéré des séries de notices intéressantes grâce à l’outil CatScan proposé par Wikipédia.
  • J’ai utilisé des techniques de data scraping pour parcourir automatiquement des milliers de notices avec l’extension Firefox Outwit Hub.
  • J’ai nettoyé les résultats obtenu grâce à Open Refine.
  • J’ai dressé les classements avec Google Sheets, le tableur de Google Drive.
  • J’ai réalisé les graphiques avec Datawrapper.
  • J’ai présenté les tableaux de façon interactive avec le plug-in JQuery Datatables.

Comme chacun de ces services peut vous intéresser, je reviens pas à pas dans cet article sur la méthode utilisée, en donnant des liens vers les fichiers de données obtenues.  N’hésitez pas à réutiliser ces dernières pour d’autres travaux, et tenez-moi au courant de vos trouvailles dans les commentaires.

A plusieurs reprises, j’ai fait des choix qui m’ont semblé cohérents avec l’objectif de ce projet. Que vous soyez wikipédien ou journaliste, vous aurez sans doute envie de les discuter, ce que je vous encourage fortement à faire, je suis là pour ça.

1. Bâtir un échantillon avec CatScan

La première difficulté, c’était de trouver une série de notices Wikipédia pertinentes.

J’ai d’abord pensé à programmer Outwit Hub pour en collecter de façon totalement aléatoires, en utilisant par exemple le lien « Explorer au hasard » de l’encyclopédie. Mais mon « robot » s’est vite perdu dans des fiches sans lien avec l’actualité ou dans diverses pages de listes.

J’ai alors découvert CatScan et je m’en suis servi pour obtenir les liens de notices figurant dans toute une série de catégories et sous-catégories. En partant la catégorie Evenement de Wikipédia, j’ai sélectionné les sous-catégories suivantes (elles-mêmes divisées en une multitude de sous-catégories :

  • Evénement en cours
  • Evénement à venir
  • Evénement récent
  • Journée commémorative ou thématique
  • Massacre
  • Evénement historique en météorologie
  • Salon
  • Marche
  • Controverse
  • Festival

CatScan m’a renvoyé une liste de 16741 notices (sur un total de plus de 1,6 million publiés sur la Wikipédia en français, soit environ 1%) sur des sujets très variés. La taille de cette liste m’a paru suffisante – au-delà, les différents logiciels dont je me suis servi n’aurait de toute façon pas pu fonctionner correctement.

2. Programmer un scraper avec Outwit Hub

Bien que l’interface de ce logiciel de scraping soit intimidante (euphémisme), Outwit Hub n’est pas si compliqué à utiliser, une fois qu’on a digéré les tutoriels de base. Il suffit d’identifier où se trouvent dans le code source les informations qu’on recherche et comment elles sont structurées en langage HTML.

En l’occurrence, les liens se trouvant dans les parties qui m’intéressaient (« Notes et références » et « Voir aussi » notamment) sont dans des balises liens (« a ») portant la classe CSS « external text ».

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Capture d’écran de Outwit Hub

Il suffit alors de créer un « extracteur »,en indiquant à Outwit Hub les chaînes de caractères se trouvant juste avant et juste après l’information ciblée.  Par exemple, pour l’URL externe :

<a class="external text" href="

et

">

Pour extraire plusieurs informations à la fois (l’URL, mais aussi le nom de domaine et le texte du lien), j’ai cependant dû construire une expression régulière. Sans vous faire un cours complet sur ces trucs-là (ce dont je serais bien incapable), sachez qu’on les croise un peu partout (de Yahoo Pipes à Adobe Indesign en passant par les différents languages de programmation).

Pour un non-développeur, c’est un peu pénible à apprendre, mais ça rend bien des services, ça en vaut donc la peine.  Après avoir pas mal transpiré, j’ai fini par bâtir l’expression suivante (sûrement perfectible, d’ailleurs) :

/class="external text".*href="(http://.*?)(/.*?)">(.*?)</a>/

Outwit Hub était alors paré pour le moment le plus agréable du projet, celui où l’ordinateur travaille à votre place : il a suffit de lui demander de passer cet extracteur sur chaque page de l’échantillon, puis d’exporter tous les résultats obtenus dans un gros fichier CSV (20 Mo).

3. Nettoyer les résultats avec Open Refine

Quand vous souhaiter intervenir sur de gros fichiers de données, les fonctionnalités les plus courantes (comme Rechercher / Remplacer) ne suffisent pas.

C’est là qu’Open Refine (anciennement Google Refine) se révèle particulièrement utile, parce qu’il permet de faire via une interface graphique très bien fichue des manipulations de tables qui doivent se faire sinon via des lignes de commande.

Là encore, il faut accepter de se plonger dans les tutoriels et les pages d’aide pour apprendre à effectuer les opérations souhaitées, mais c’est du temps bien investi, croyez-moi.

Dans le cadre de ce projet, je me suis servi de Google Refine pour présenter proprement chaque donnée dont j’avais besoin :

  • l’URL de la notice Wikipédia « scrapée »
  • l’URL du lien externe repéré
  • le nom de domaine du lien externe repéré (par exemple, slate.fr)
  • le texte du lien (souvent le titre de l’article)

J’ai aussi réparti ces noms de domaines en deux catégories : « Actu » et « Autres » (pour tous les liens vers des sites annuaires, institutionnels, ou personnels).

C’était l’étape la plus fastidieuse : pour éviter d’y passer la journée et de faire planter Open Refine, je me suis limité aux médias cités au moins 30 fois dans l’échantillon.

Certains sites dans cette liste avaient un statut ambigu : j’ai conservé ceux proposant à la fois des articles et des statistiques ou pages de référence (par exemple, Allociné), et d’exclure les purs annuaires (comme IMDB).

J’ai aussi pratiqué quelques regroupements, pour les sites possédant plusieurs sous-domaines (par exemple, en fusionnant les liens vers www.lefigaro.fr et elections.lefigaro.fr en lefigaro.fr).

Si ça vous intéresse d’explorer vous aussi ces données, vous pouvez télécharger l’intégralité des liens de l’échantillon ou l’intégralité des liens vers des sites de médias dans des fichiers CSV désormais nettoyés.

4. Dresser les classements avec Google Sheets

On approche du but : en important le CSV contenant tous les liens vers des sites de médias dans une feuille de calcul Google Sheets, il ne reste plus qu’à créer un rapport de tableau croisé dynamique chargé de compter le nombre de liens pour chaque nom de domaine.

Cette information est également disponible dans Open Refine, mais j’avais besoin d’une présentation par cellules pour pouvoir en faire un graphique dans la foulée.

(Je n’ai jamais vraiment compris comment fonctionnaient vraiment ces rapports, et je suis bien embêté quand je dois expliquer leur fonctionnement lors de formations. Je me contente d’essayer diverses combinaisons de lignes, de colonnes et de valeurs pour obtenir le résultat souhaité, ce qui finit toujours par arriver à force d’essais.)

5. Faire le graphique avec Datawrapper

Je ne sais pas s’il est possible de tomber amoureux d’un logiciel ou d’un service web, mais si c’est le cas, je dois confier une passion sans doute excessive pour Datawrapper – selon moi, Mirko Lorenz, son programmeur,  a déjà sa place réservée au paradis des développeurs.

Un copié/collé des données de Google Sheets et quelques réglages dans une interface merveilleusement bien pensée, et zou, le graphique est prêt.

6. Un tableau filtrable avec Datatables

A ma connaissance, il existe peu d’outils accessibles pour présenter de longues séries de données proprement à l’intérieur d’un article. Le plug-in JQuery Datatables fait ça vraiment très bien, mais il faut être suffisamment à l’aise en HTML, en CSS et en JQuery pour s’en servir.

J’ai donc récupéré le flux Json du Google Sheet pour bâtir dynamiquement le tableau contenant les 23 014 liens vers des sites de médias, et activé Datatables une fois la table terminée.

7. Des échantillons sur des thématiques

Pour continuer à explorer l’encyclopédie, j’ai choisi des thèmes plus précis et repéré des catégories (et leurs sous-catégories) de notices portant sur le sport, la politique, la Bretagne et la BD.

J’ai fait subir le traitement décrit ci-dessus aux liens externes ainsi repérés (ça va beaucoup plus vite la deuxième fois).

Voici les données récupérées, également dispos dans Google Sheet :

 

Le top 50 des sites d’info les plus cités sur Wikipédia

« Wikipedian protester », strip de XKCD (CC-BY-NC)

Les médias français et la version francophone de Wikipédia entretiennent une relation compliquée.  La fiabilité de l’encyclopédie collaborative a longtemps été mise en doute par des chroniqueurs et éditorialiste, mal à l’aise face à l’absence de « comité éditorial » ou d’instance dirigeante bien identifiée.

Certains journalistes n’hésitent pas à « vandaliser » des notices pour mieux appuyer leur démonstration, comme pour un reportage d’Envoyé spécial diffusé en novembre 2012 et qui avait hérissé le poil des Wikipédiens ou pour le livre La Révolution Wikipédia, publié sous la direction du chroniqueur littéraire Pierre Assouline en 2007.

Pourtant, les journalistes utilisent quotidiennement Wikipédia pour leurs recherches d’information, même s’ils en connaissent souvent mal le fonctionnement et le complexe système d’autorégulation. En formation, j’ai souvent dû prendre le temps de faire l’anatomie d’une notice, de la liste de sources en bas d’article à l’onglet « Discussion », en passant par la comparaison des différentes versions.

La « référence nécessaire », règle d’or de l’encyclopédie

Et les Wikipédiens eux-mêmes se servent largement des sites d’information pour sourcer le contenu de leurs notices. Les rédacteurs doivent en effet respecter une règle fondamentale : l’absence de travaux inédits dans le texte des notices. Tout savoir qui y est référencé doit s’appuyer sur une source existante, qu’il s’agisse d’un livre, d’une page officielle ou, bien souvent, d’un article de presse.

Un porte-clés Wikipédia (Cary Bass-Deschenes/CC-BY-SA)

C’est pour cette raison qu’on croise régulièrement la mention « (Réf. nécessaire) » [et non « citation nécessaire, merci Gilles, ndlr] dans le contenu d’une page, signe qu’un contributeur vigilant a édité la page pour signaler que l’information mentionnée n’était pas correctement sourcée.

En 2012, l’écrivain américain Philip Roth a pu mesurer toute l’intransigeance de cette règle quand il a tenté de modifier la notice d’un de ses romans, correction refusée par un administrateur de la Wikipédia anglophone. Un épisode qu’il a raconté dans le New Yorker.

L’existence d’un nombre d’articles suffisant traitant d’une personnalité ou d’un phénomène étant d’ailleurs un critère important pour juger de la « recevabilité » d’un nouvel article  – ce qui avait amusé Daniel Schneidermann lors d’une une émission d’Arrêt sur images sur ce sujet sensible.

Mais quelles sont leurs sources privilégiées ? J’ai mené une petite enquête en me basant sur un échantillon de plus de 16 500 fiches contenant en tout plus de 100 000 liens externes. Je reviens pas à pas sur la méthode utilisée dans un autre article de ce site, où je liste aussi l’ensemble des données utilisées – sachez juste que mon ordinateur a beaucoup ressemblé à ça ces dernières heures :

Voilà donc le top 50 des sites d’actu dont le contenu est le plus souvent cité en référence dans Wikipédia :

Si au lieu d’un échantillon « généraliste » de fiches, on se cantonne à des sélections resserrées, on peut voir comment cette liste de médias de référence évolue thème par thème – n’hésitez pas à me contacter ou à laisser un commentaire si vous souhaitez que j’explore d’autres thématiques.

Enfin, si vous êtes journaliste, vous avez peut-être envie de savoir quels contenus de votre média ou de son concurrent font désormais référence, peut-être pour l’éternité – c’est quand même plus chic que d’être cité dans un tweet de Nadine Morano, non ?

Vous pouvez chercher votre média et les notices dans lequel il est cité dans la liste complète des liens de l’échantillon « généraliste », soit 1% du total des fiches publiées sur Wikipédia. Si le tableau ne se charge pas, vous pouvez retrouver la liste complète dans cette Google Sheet.

Si vous trouvez des erreurs ou des bizarreries, contactez-moi ou laissez un commentaire que je puisse jeter un œil à vos trouvailles.

280 heures de design pour refaire le bouton Like de Facebook

Les conférences TED font partie de mes plaisirs coupables, même si la mécanique trop bien rodée des interventions, le côté prédicateur et souvent angélique des conférenciers peuvent agacer.

Mais des choses intéressantes s’y disent parfois, notamment sur les pratiques des géants du Web, comme avec ce talk de de Margaret Gould Stewart, directrice du design de Facebook, que j’ai vu passer en août sur YouTube.

Margaret Gould Stewart : How giant websites design for you (and a billion others, too)

Facebook’s « like » and « share » buttons are seen 22 billion times a day, making them some of the most-viewed design elements ever created. Margaret Gould Stewart, Facebook’s director of product design, outlines three rules for design at such a massive scale-one so big that the tiniest of tweaks can cause global outrage, but also so large that the subtlest of improvements can positively impact the lives of many.

Pour les gens pressés, j’ai passé le filtre anti-bullshit et relevé points-clés et quelques chiffres éclairants.

22 milliards d’affichage par jour pour le bouton Like

  • L'ancien et le nouveau bouton LIke
    L’ancien et le nouveau bouton LIke

    Créer les petits éléments d’interface d’un site ou d’une application ne constitue pas la partie la plus séduisante du travail de designer, mais quand il s’agit d’un service utilisé quotidiennement par des centaines de millions d’utilisateurs, chaque détail compte.

  • Le bouton Like actuel s’affiche « 22 milliards de fois par jour sur plus de 7,5 millions de sites web », explique  Gould Stewart [ce qui permet au passage à Facebook de recueillir des informations sur ses utilisateurs…  et les autres, comme le rappelait déjà Erwan Cario en 2010 dans Libération, ndlr].
  • Ce micro-bouton a nécessité « 280 heures de travail sur plusieurs mois »,  pour ajuster sa largeur et sa hauteur, le traduire et vérifier qu’il s’affiche correctement sur les navigateurs les plus anciens (« attention aux jolis dégradés et aux bordures », prévient-elle).

Ces photos Facebook qui nous rendent « tristes »

  • Lorsque Facebook a donné la possibilité à ses utilisateurs de signaler une photo qui, selon eux, contrevenait aux « standards de la communauté », ses équipes se sont retrouvées submergées par des rapports inappropriés. Des photos gênantes pour la personne qui figure dessus, mais qui restent « dans les clous » : rien ne vous interdit de publier une photo de votre collègue de travail éméchée au pot de fin d’année (sauf bien sûr si elle est torse nu), mais c’est un autre problème.
  • Facebook a d’abord ajouté la possibilité d’envoyer un message à l”  »ami » concerné pour lui demander le retrait.  Echec : 20% seulement des personnes concernées l’ont utilisé.
  • C’est finalement un changement dans le formulaire de signalement lui-même qui a permis d’améliorer la situation. Désormais, quand il veut faire retirer une photo, l’utilisateur peut choisir l’option « Je n’aime pas cette photo de moi », puis préciser pourquoi, par exemple en sélectionnant « Elle me rend triste. » Le taux d’utilisation a grimpé à 60%, et les auteurs des contenus concernés ont mieux compris la réaction de leurs « amis » mécontents.
Le formulaire actuel de signalement de photos sur Facebook

Le data ne fait pas tout

  • Gould Stewart déteste qu’on dise que le travail de design sur un site comme Facebook n’est guidé que par la compilation de statistiques d’utilisation (approche « data driven »). « Les données peuvent vous aider à rendre un bon design encore meilleur », mais n’ont jamais remplacé l’intuition.

Faire avec la résistance au changement

  • « Je passe pratiquement autant de temps à faire le design du message qui avertit d’un changement qu’à faire celui du changement lui-même », plaisante Gould Stewart. Les gens peuvent s’habituer à un mauvais design, et même devenir très bons dans son utilisation, rappelle-t-elle. La frustration est encore plus grande quand la page est modifiée.
  • Avant de travailler chez Facebook, Gould Stewart s’est occupé du changement de notation des vidéos YouTube : d’une échelle de cinq étoiles, le site est passé à deux pouces, l’un vers le bas, l’autre vers le haut.  Pour une raison simple (que j’ai aussi pu constater à Rue89, lorsque les commentaires étaient notées de 1 à 5 boules rouges) : les utilisateurs ne se servaient que de la note la plus basse et de la note la plus haute, pas des étoiles intermédiaires. Ça n’a pas empêché la colère des « noteurs », obligeant YouTube à s’expliquer dans la presse spécialisée.
Google, YouTube et Facebook sur des téléphones ancienne génération
Google, YouTube et Facebook sur des téléphones ancienne génération

Penser aux nouveaux usages et aux pays pauvres

  • Penser le design d’un site pour les téléphones ancienne génération, c’est moins glamour que de lancer une nouvelle application chic pour trouver le nouveau café branché, explique en substance Gould Stewart. Mais ce sont ces interfaces qu’utilisent et utiliseront des millions d’utilisateurs dans les pays pauvres.
  • Pour prendre ces nouvelles contraintes en compte, « nous sortons de notre bulle et nous rencontrons les gens pour qui nous réalisons ces designs, nous testons nos produits dans d’autres langues que l’anglais, et nous nous efforçons d’utiliser ce type de téléphones de temps en temps », raconte-t-elle.

En France, la plupart des sites d’infos sont encore bien loin d’avoir une approche aussi soigneuse quand ils pensent leur interface et plus globalement leur expérience utilisateur, faute de moyens suffisants et d’expertise en interne. Ça donne des pages surchargées de publicités, des systèmes de commentaires dépassés ou des versions mobile mal fichues.

Mais les médias ont tout intérêt à s’y mettre, alors que la chasse au clic montre ses limites, et que des objectifs comme le temps passé sur la page ou la fidélité des internautes sont de mieux en mieux pris en compte – sur ce sujet, voir les explications du populaire service de statistiques en temps Charbeat.